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affiche Viggo Mortensen

Viggo Mortensen

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Genre : Interview

L'Actu

1- « C'est le premier film que vous faites en tant que coproducteur ? »

« C'est la troisième fois, je souhaitais être coproducteur sur ce film pour protéger et soigner la vision de l'auteur, David Oelhoffen. C'est plus facile de faire ça lorsque l'on est producteur que lorsque l'on est comédien. »

2- « Vous étiez un lecteur de Camus avant le film ? »

« Oui j'ai commencé à lire Camus à l'école. Au début en anglais et puis à l'université je l'ai lu en français car j'apprenais le français dans les années 70. J'ai lu L'étranger, La Peste...
Avant de lire le scénario et de dire oui au réalisateur, j'ai lu les autres livres que je ne connaissais pas encore et j'ai relu certains ouvrages pour me plonger dans l'œuvre de Camus.»

3- « Est-ce que le film a changé votre vision de Camus ? »

« Non il a renforcé l'admiration que j'avais pour lui comme artiste et comme homme. Il n'avait pas peur de se faire des ennemis en conséquence de ses positions. »

4- « Est-ce que vous êtes content de l'esprit donné dans le film ? L'esprit de Camus... »

« Oui, la relation entre les personnages parle de la liberté d'expression, de la relation avec l'autre et de ne pas avoir peur de l'autre, et ça c'est tout à fait « camusien » selon moi. »

5- « C'est en accord avec les idées que vous défendez en tant qu'homme dans vos œuvres ? »

« Oui, j'aimerais être aussi courageux, aussi intelligent que Camus. Je l'admire et évidemment ça m'inspire. Je crois que Camus serait très content s’il avait pu voir que le film Loin des hommes était présenté en Algérie, au festival de Marrakech, prochainement en Israël etc. C'est beau ça, c'est son idée. On a beaucoup parlé de Camus pendant la préparation et le tournage et on continue maintenant. »

6- « Comment arrive-t-on à se fondre autant dans le personnage ? »

« On ne peut pas jouer une idée, on joue la réalité chaque jour et si on a de la chance, on a en face un comédien comme Reda Kateb qui est un bon comédien, intelligent et ça nous aide. Il y a beaucoup de contradictions dans le personnage de Daru et aussi dans le personnage de Mohamed. Je suis d'accord avec Camus lorsqu'il écrit que c'est plus facile de mourir de ses contradictions que de les vivre. J'aime beaucoup le fait qu'il n'y ait pas une réponse toute faite, une solution définitive, c'est le travail du bon réalisateur. C'était pareil avec David Cronenberg, c'est le travail des artistes de soulever des questions. Le spectateur prend son propre chemin par rapport au film. C'est un film qui ne donne pas des solutions aux problèmes du monde mais il peut aider un peu à provoquer une discussion plus ouverte en France sur l'histoire de l'Algérie et la France et sur le travail de l'œuvre de Camus. La position de Camus était difficile pour une partie de la gauche sartrienne. Il n’acceptait pas qu'il avait largement raison lorsqu'il parlait de la guerre d'Algérie ou des idéologies serrées comme celles de l'Union Soviétique. Il s'est trompé de temps en temps mais il essayait d'ouvrir les choses... »

7- « A propos de réalisation, vous avez un projet vous-même ? »

« Oui mais ce n'est pas encore fait. J'espère que ça sera faisable prochainement, je dois trouver l'argent et l'équipe. J'ai le scénario, des gens qui ont montré un certain intérêt. »

8- « Est-ce que le troisième millénaire sera spirituel ou ne sera pas ? »

«  Si on parle de s'ouvrir à l'autre pour moi c'est spirituel mais ce n’est pas facile. Si on voit ce film dans des pays comme Israël, la Palestine, la Syrie, l'Irak ça peut provoquer une ouverture, des discussions positives, en tout cas je l'espère. »

9- « Est-ce que votre propre histoire personnelle, celle des voyages, etc. vous aide ? »

« Oui je pense que ça m'aide dans mon travail. Le propre de mon travail est d'essayer de comprendre le point de vue de l'autre, différent de ma pensée et de ma façon de faire les choses. Lorsque l'on est enfant, c'est facile de jouer avec les autres, en tant qu'adulte c'est plus difficile mais mon travail d'acteur m'aide à faire cela. »

10- « Vous avez écrit de la poésie ? »

« Oui je suis éditeur aussi. J'aime aider les autres, c'est une valeur de travail d'équipe, aider l'autre à présenter sa vision du monde. J'apprends beaucoup grâce à ça. J'aime la discipline de la poésie car ça doit être simple, direct et discret à mon avis... Il y a une chose pudique dans la poésie que j'aime beaucoup. On peut trouver de la poésie dans le cinéma, dans la traduction même, on peut tous s'exprimer poétiquement. »

11- « On vous connaît bien en tant qu'acteur mais vous cherchez dans les autres arts à compléter d'autres émotions ? »

« Je pense que la vie est courte et qu’il faut en profiter pour faire beaucoup de choses différentes. Je veux essayer plein de choses pour m'exprimer. »

12- « Il y a une chose importante dans le film, c'est la place de l'école, la place de l'enseignant. C'est une chose qui vous a parlé tout de suite ? Il n'y a que par l'éducation et le savoir que l'on peut sortir de ces différences entre les gens ? »

« Oui c'est intéressant que le personnage soit instituteur. Si l'on pense à Camus, en 1957 lorsqu'il reçoit le Prix Nobel, il a parlé de son instituteur dans son discours, c'est très important pour lui. Dans le film on voit que dans l'école, il existe une connexion spéciale avec les communautés. On sent qu'il y a depuis dix ans une connexion entre Daru et la communauté. C'est pour ça que les colons ne comprennent pas la relation de Daru avec les Berbères. Cela pose des questions sur les origines, sur la vraie France, le patriotisme... on voit aujourd’hui le Front National qui parle de ça constamment, je trouve ça absurde. La France c'est des cultures qui se mélangent, comme dans  tous les autres pays. »

13- « Vous avez appris l'arabe pour le film ? »

« Oui j'ai dû apprendre phonétiquement et puis après, un peu plus. On ne sait jamais, si le réalisateur voulait un peu plus... J'aime le défi de travailler dans la langue de l'histoire, du personnage si c'est possible. »

14- « Daru a un peu l'esprit de la révolution. Il souhaite apporter la liberté par la connaissance, l'émancipation pour les peuples etc. »

« On ne peut pas jouer ça et je ne pense pas que Daru ait conscience de ça, il n'a pas conscience d'être un révolutionnaire. Il essaye juste d'apporter le bien, d'écouter les autres.

 Interview réalisée par Patrick Van Langhenhoven, retranscrite par Sarah Lehu et corrigée par Françoise Poul