Après Limbo une version en noir et blanc de la fange, du territoire noir de Hong-Kong, Soi Cheang prend des couleurs pour explorer la ville des ténèbres. De nouveau, le chaos et l’ordre s’affrontent dans un combat éternel. La Citadelle de Kowloon devient un personnage avec ses habitations suspendues dans un monde en équilibre instable, comme les habitants survivant aux tempêtes de la vie. Nichée dans la péninsule, elle était une enclave d’émigrés chinois au milieu de la colonie de Hong Kong, jusqu'à sa démolition au début des années 1990. C’est un lieu convoité par les triades de la cité honorable comme Big. Un équilibre interdit à ce dernier d’y pénétrer, comme au cœur des églises autrefois. C’est l’histoire d’un homme sans pays, sans avenir qui trouve dans cet espace de misère, un chemin, un endroit pour espérer trouver le bonheur.

Le passé et le poids de la faute de nos pères se mêlent au présent et à la dette à payer. Les fils sont responsables des erreurs de leurs pères. La chute de la Citadelle annonce un monde nouveau et des codes d’honneur différents. Le pardon est un autre sentiment qui demande de plonger dans la nuit de nos tourments pour apaiser nos âmes. Les enjeux sont ceux d’une humanité nouvelle à bâtir, comme le renouveau de Kowloon quittant le noir et blanc du chaos pour les couleurs de la vie. Nous retrouvons les personnages torturés, toujours aux limites de l’existence comme dans les derniers films de Soi Cheang. Il réussit à redonner du souffle à ce cinéma de nos jeunes années, faites de bataille et d’honneur quand un jeune disciple débarquait en ville pour venger un père, un maitre, un seigneur, une pauvresse, une école de Kung-Fu.

 La mise en scène est spectaculaire. Les corps filent dans les rues infiniment étroites, s’envolent, frappent comme dans ce bon vieux cinéma Kung-fu d’autrefois. C’est un ballet de violence, parfois extrême, mais toujours jubilatoire. Il est inspiré du manhua City of Darkness par le manhuajia chinois spécialisé dans les histoires d'arts martiaux, Andy Seto. Le film ne se contente pas d’une succession de combats épiques, mais dresse le portrait social et humain d’une cité en bordure du monde. Soi Cheang construit un univers visuel particulier dans la lignée de la nouvelle vague hongkongaise, John Woo, Johnnie To, Tsui Hark, Wong Kar-wai, à suivre.

Patrick Van Langhenhoven