Cine-Region.fr
affiche Sébastien Betbeder - Réalisateur de 2 Automnes 3 Hivers

Sébastien Betbeder - Réalisateur de 2 Automnes 3 Hivers

___

Genre : Interview

L'Actu

C.R : Comment vous est venue l’idée de faire ce film. Est-ce dans la continuité de votre précédent métrage « Les nuits avec Théodore » ?

Sébastien Betbeder : Ce n’était pas vraiment une continuité même si chaque film se nourrit un peu de l’autre. J’avais justement envie de faire un film différent. Après, la première ambition pour ce film était de raconter une histoire d’amour, de la rencontre jusqu’à la décision de vivre ensemble avec toutes les étapes de la vie amoureuse. Et pour autant, je n’avais pas du tout envie de le faire de manière traditionnelle puisque c’est un sujet universel et archi-rabattu. Lorsque j’ai commencé à écrire, — c’était la première fois que j’écrivais si simplement et si rapidement — je ne cherchais pas à penser à l’objet filmique, je me laissais aller à l’écriture de choses qui représentaient en gros quinze années de ma vie. Ce n’est pas une histoire autobiographique dans le sens où ce n’est pas mon histoire mais plutôt des histoires que j’ai eues, que mes proches ont eues. En tout cas, tout ce qui est dans le film est nourri d’une expérience réelle mais est tout de suite transformé pour rentrer dans la fiction. J’ai surtout écrit un objet littéraire, mélange entre le portrait et les anecdotes, qui était au début un seul monologue, une seule voix et au fur et à mesure que j’écrivais, six personnages ont commencé à émerger. C’est à ce moment que j’ai centré ma réflexion sur la mise en scène : « Comment faire de cet objet littéraire un film ?».

C.R : Quel est votre rituel d’écriture ? Est-ce que vous êtes plutôt de ceux qui écrivent et décrivent tout avec une trame précise ou de ceux qui filment plus à l’instinct ?

S.B : C’était très précisément écrit. Après, j’ai eu un processus d’écriture assez fragmenté. Une fois le premier jet fini, je savais bien que le film ne tiendrait pas dans cette relation de face à face pendant une heure et demie avec le spectateur, rythmiquement ce n’était pas faisable. L’étape suivante a donc été de gommer des parties entières du monologue pour faire survenir des séquences qui correspondent aux séquences in situ dans les décors naturels, où les comédiens échangent entre eux, comme ce qu’on voit traditionnellement au cinéma.

C.R : Une écriture pour le moins riche au vu du découpage extrême du film. Parties, chapitres, numérotation fonctionnent presque comme un compte à rebours.

S.B : Oui complètement. Cette idée est arrivée bien plus tard au montage. Vous parlez de compte à rebours mais dans toute la première partie du film, les numéros vont dans l’ordre chronologique et ils décroissent à partir de la deuxième partie. C’est un film dans lequel, dés qu’on finit une séquence, on peut partir sur une autre séquence. Il y a ce côté comme ça éternel. D’ailleurs j’ai cherché un moyen de faire sentir au spectateur qu’on allait vers la fin du film. C’est venu donc assez tard cette idée d’aller en descendant dans la deuxième partie. Et même si des gens s’en rendent compte très tard, j’aime bien cette idée la de toucher différemment le spectateur.

C.R : Ajouté au découpage, vous imposez un rythme soutenu en multipliant les supports, les points de vue, les pistes, le tout monté de façon dynamique. Vous redoutez l’ennui du spectateur ?

S.B :Ah oui, ça été la question essentielle qui m’a guidé quand j’écrivais et qui nous a guidé jusqu’à la fin du montage. Il fallait énormément se soucier du rythme pour éviter une certaine lassitude. C’est un film dans lequel il fallait que je trouve des solutions narratives et formelles pour être toujours surprenant. Un des dispositifs que j’ai trouvé assez tôt était que le film mélangerait les supports et mélangerait beaucoup de natures d’images différentes. J’avais le sentiment que c’était ça qui allait contribuer à faire passer la pilule du dispositif. Dans le film, il y a quelque chose comme huit, neuf ou dix supports différents, sachant que j’utilise principalement le numérique, format du cinéma de maintenant et le 16 mm, qui est l’image de l’histoire du cinéma. C’était primordial pour moi que le 16 mm soit présent dans mon film puisque ça me semblait rentrer en écho aussi avec la thématique et les préoccupations des personnages. Il y a ce sentiment de fragilité, d’authenticité et l’idée aussi que quelque chose se finit. Sur le tournage, on avait tout le temps deux caméras, une en numérique et une en 16 mm et on avait volontairement choisi de ne pas décider quelle séquence allait être filmée avec quel format. Ca a contribué également au rythme du film pour briser la linéarité des images.

C.R : A côté de ça, vous le faites prendre part à l’action par le biais des monologues confidence face caméra et de la voix-off. Pour vous, qu’est-ce que ces procédés apportent à la narration ?

S.B : C’était indispensable, c’était le fondement du projet. Comme je disais, j’ai commencé l’écriture en écrivant un monologue. Alors dans un film, le monologue aurait pu être une simple voix off qui aurait couru sur tout le long, mais ça ne m’intéressait pas. J’avais vraiment envie de créer entre les personnages de mon film et le spectateur une sorte de pacte et je crois beaucoup au pouvoir de l’échange par le regard caméra. Il y avait quelque chose de particulier aussi à l’écriture, c’est lorsque les comédiens commentent l’action et vivent l’action au présent, alors qu’on a plus l’habitude de commentaires au passé comme un flashback. J’ai demandé aux comédiens de jouer ces monologues au présent pour créer un rapport au pacte entre le spectateur et eux.

C.R : Comment avez-vous choisi vos comédiens ? 

S.B : C’est primordial pour moi le choix d’un comédien, je n’ai jamais eu l’idée de commencer un film sans être absolument sûr de mes comédiens. Je les ai tous choisi individuellement, souvent parce que je les avais vu dans des films ou des court-métrages. Pour Vincent Macaigne, mon rôle principal, mon producteur et moi avons pensé à lui assez immédiatement donc je lui ai envoyé le scénario, il m’a dit qu’il n’était pas disponible donc j’avais tristement renoncé à lui. J’ai ensuite vu près de trente comédiens à Paris et j’ai fait passer des essais, ce que je n’aime pas trop faire parce que pour moi il y a une évidence ou non. Il y en avait une avec Vincent, c’est sûr. Et un jour, je sortais du cinéma et j’ai reçu un sms de Vincent qui disait : « En fait j’ai lu le scénario » (donc il n’avait pas lu apparemment)  « et je le trouve super, rencontrons-nous ». On s’est donc rencontré et j’ai eu tout de suite la certitude que j’avais trouvé Armand. Pour les autres comédiens, j’ai remarqué Maud dans des films notamment dans Louise Wimmer et le seul que j’ai vraiment rencontré pour le film est Bastien que je ne connaissais et qui était pour moi la découverte du film.

C.R : Vous semblez accorder une certaine importance à la nature. Déjà à travers vos films précédents notamment Les nuits avec Théodore et Les Buttes Chaumont et ici aussi, vous faites partir l’intrigue d’une rencontre dans un parc, vous montrez un Paris aux rues désertes et dés que vous en avez l’occasion, vous fuyez en Auvergne ou en Suisse. Pour vous, la vie urbaine n’est pas un bon milieu pour une histoire d’amour ?

S.B : Les nuits avec Théodore est un film très particulier car c’est un film qui se tourne à Paris mais qui est peut-être un des films qui parle le plus de la nature. Avant ça, j’avais une espèce d’incapacité à filmer Paris en particulier. Et là j’enchaine quand même deux films qui se déroulent à Paris… Après, c’est vrai que j’ai beaucoup de mal à construire une histoire qui se passerait totalement dans la ville et j’ai toujours cette nécessité narrative de faire partir les personnages ailleurs. Ca fait un peu moins de quinze ans que j’habite à Paris et j’avais envie de parler de choses que je connais, je pense que je commence à connaître cette ville et à l’apprécier comme un lieu de fiction. Après, je pense que ça a à voir avec mon histoire : je ne suis pas né à Paris, j’ai grandit à la campagne et j’ai un besoin assez naturel de quitter au bout d’un moment la vie parisienne.

C.R : Vous cultivez dans le film cette notion de temps qui passe, avec le titre d’une part, les saisons, le découpage, les anniversaires… Est-ce que vous-même accordez beaucoup d’importance au temps qui passe ou vous préférez laisser faire ? Ne serait-ce qu’au regard de votre travail.

S.B : Oui, pour moi c’est vraiment le sujet de 2 Automnes, 3 Hivers. Ca faisait partie du dispositif, j’ai très vite décidé d’occulter les saisons estivales et de raconter trois ans de la vie des personnages en créant des ellipses, des trous dans leur vie, ce qui est assez inhabituel. Ca me semblait intéressant de retrouver des personnages après un tel trou et de les faire grandir et évoluer. Je pense que le Armand qui court dans le parc au début du film est très différent du Armand qui pleure à la fin.

C.R : Vous avez jonché votre film de références artistiques, musicales, cinématographiques. Pourquoi avoir choisi ces noms en particulier ?

S.B : Ces références et citations sont très importantes pour moi parce que, comme je disais, j’avais l’ambition par ce film de traiter de trois ans de la vie des personnages, ce sont des personnages que j’aime et qui ressemblent aux gens qui sont importants pour moi et les gens que je fréquente ont ce rapport à la culture très fort, elle fait complètement partie de leur vie. Donc pour moi, ça aurait été absurde que la culture n’ait pas de place dans mon film. Très souvent, dans le cinéma français, on a tendance à mettre sous le tapis les références, comme si les personnages ne lisaient pas, n’allaient pas au cinéma. Après le choix de ces références s’est joué très différemment pour tout. On peut parler par exemple de La Salamandre de Tanner que j’avais vu adolescent, qui m’avait énormément marqué et que j’avais un peu oublié. J’ai éprouvé le besoin de le revoir à l’écriture de 2 Automnes, 3 Hivers et je pense qu’il a nourrit mon écriture.

C.R : Est-ce que pour vous, les goûts et les couleurs sont le reflet d’une personne ?

S.B : Complètement oui. Je sais que je me suis souvent fait la réflexion quand j’écrivais le film, comme quoi je pouvais dire des choses essentielles sur un personnage en lui faisant dire par exemple qu’il aime Joy Division. Ca me semble plus signifiant qu’un long discours psychologique. Effectivement, je trouve que les goûts et les couleurs tiennent une part essentielle dans les relations humaines. Je crois que je pourrais me fâcher avec quelqu’un qui n’a pas les mêmes goûts que moi.

C.R : Comment avez-vous vécu l’expérience cannoise ?

S.B : L’expérience cannoise a préexisté bien avant Cannes pour moi, parce que le film s’est produit avec très peu d’argent donc avec une prise de risque de la part du producteur et de toute l’équipe qui a accepté de travailler dans des conditions précaires financièrement. Mais mon producteur et moi avons toujours cru et espéré que le film soit à Cannes et, en gros, c’était au bout d’un moment une question vitale puisque si le film n’avais pas été à Cannes, on n’aurait peut-être eu du mal à trouver un distributeur et on n’aurait pas eu d’argent supplémentaire pour finir le film après Cannes. Donc on a basé toute la post-production du film avec ce décompte là, ce qui fait qu’on a réellement terminé le film seulement cinq jours avant de le présenter à Cannes. On était très épuisé mais on avait réussi notre pari, donc Cannes a été vécu un peu comme une libération et comme quelque chose de joyeux et porteur. D’autant que le film était attendu et ça s’est très bien passé.

C.R : Quels sont vos projets futurs ?

S.B : Je suis en train de finir un court-métrage — parce que j’aime bien alterner long et court — sur deux Inuits à Paris, un film très particulier qui me tient beaucoup à cœur. Et je suis en train d’écrire un prochain long métrage qui sera une comédie romantique aussi.

Entretien réalisé et retranscrit par Eve BROUSSE