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affiche Mathieu Almaric

Mathieu Almaric

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Genre : Interview

L'Actu

-      « On vous voit souvent comme un acteur / réalisateur or moi j'ai l'impression que c'est plutôt l'inverse que vous êtes déjà réalisateur avant de jouer. Quelle a été votre première envie de cinéma ? »

« Oui la vie a été comme ça, j'ai passé finalement plus de temps en tant que technicien de cinéma que comme acteur. Je suis tombé dans le cinéma grâce à un réalisateur géorgien incroyable mais peu connu, Otar Iosseliani qui a faitIl était une fois un merle chanteur  (1970). C'était ma première rencontre avec le cinéma en tant qu'acteur dans Les Favoris de la Lune en 1984. Il me connaissait depuis que j'étais gosse et à 17 ans il m'a demandé de jouer un petit rôle dans un de ses films et là ce fut la révélation : je voulais faire ce qu'il faisait, des films, s'occuper de tout.

Donc j'ai commencé par des courts métrages, j'ai travaillé comme stagiaire et j'ai eu la chance de commencer avec Louis Malle. »

-      «  Ca se ressent un peu dans votre façon de tourner, cette influence de Louis Malle, non ? »

 «  Ah oui peut-être, je ne m'en rends pas compte vous savez. Je sais qu'en tout cas, d'avoir eu la chance d'accumuler tous ces métiers de cinéma (accessoiristes, assistant monteur...) ça m'a aidé à comprendre le fonctionnement du cinéma, cet artisanat.

Vous savez en tant que réalisateur on essaye juste d'être le premier spectateur de son film : Est-ce que c'est intéressant ? Est-ce qu'on comprend ? Ou est-ce qu'on ne comprend pas et est-ce que c'est intéressant que l'on ne comprenne pas ? »

-      « Je trouve que sur votre dernier film vous avez fait un travail formidable. Vous avez su retranscrire la simplicité de la littérature de Simenon tout en en faisant quelque chose de très profond. »

 « Vous me touchez beaucoup parce que, vous savez, c'était ça que je voulais faire. Je voulais faire un film au premier degré. Je voulais retrouver ce qu'il y a de tellement bouleversant chez Simenon c'est-à-dire que tous les êtres humains sont des semblables. C'était un homme qui ne jugeait personne. Nous ne sommes pas les seuls à avoir des pulsions meurtrières ou des attirances sexuelles. Ce plaisir du polar, de l'angoisse, du suspense et de la sexualité,de l'obsession et de porter à l'écran ce moment d'une passion où on est quelqu'un d'autre ou on est ailleurs, on est hors les lois, hors du temps. Deux corps, une chimie qui advient et qui fait que plus rien d'autre n'existe et ça j'adorais cette idée. Moi j'ai vraiment essayé de faire un film de gare : quelque chose de simple mais qui demandait en effet beaucoup de préparation. Beaucoup de travail avec la police scientifique, avec de vrais juges d'instruction, avec des avocats, des greffiers, des gendarmes pour que l'on fasse un vrai dossier judiciaire. »

-      «  Parce qu'on est à la fois dans un film qui est presque un reportage documentaire et en même temps on est dans une fiction. C'est fabuleux ce mariage des deux genres et je trouve que très peu de réalisateurs le réussissent. »

«  Simenon adorait s'immerger dans les mondes professionnels et comme vous le savez, il adorait les juges. Il y a ce magnifique roman qu'il a écrit huit ans avant La chambre bleue qui s'appelle Lettre à mon juge qui est très proche de ce roman dans la communion qu'essaye d'avoir un accusé avec un autre être humain qui se trouve être juge. Il lui dit "dites moi que nous sommes pareils, que vous auriez fait la même chose, nous sommes les mêmes...." et ça j'ai essayé de le retranscrire notamment avec l'acteur magnifique qui joue le rôle du juge, Laurent Poitrenaux. »

-      « Comment arrivez-vous à retranscrire ça justement ? Est-ce que c'était écrit ? Surtout que vous ne donnez pas énormément de réponses et ça j'adore mais comment vous travaillez justement pour arriver à cette finesse ? »

 « Oui je donne peu de réponses mais Simenon en donne encore moins que le film. J'ai appuyé un tout petit peu une des hypothèses pour que les gens après s'engueulent pour savoir quel est le vrai du faux. J'aime quand des discussions peuvent avoir lieu après le visionnage du film. Et puis il y a cette idée chez Simenon que les amants seraient toujours des innocents.

-      « Ca c'est le côté sexuel de Simenon qui ne comprenait une femme qu'en faisant l'amour avec elle. »

«  Ah oui, il y a ça dès l'ouverture du roman, c'est pour ça qu'il y a dans le film ce plan que j'appelle L'origine du monde de Courbet parce que c'est la dixième ligne du roman. »

-      «  C'est le plan avec le collier et son bout de corps, ce plan est fabuleux. Et d'ailleurs, puisque vous parlez peinture, vos plans ne sont que des tableaux…»

«  Alors ça c'est l'écriture encore de Simenon qui nous a inspiré ça. C'est-à-dire les plans fixes pour montrer que nous sommes uniquement dans la tête de Julien. On n’est jamais dans la tête ni de sa maîtresse, ni de sa femme. Il y a une sorte d'isolement, de prison, de silence : on ne sait jamais ce qu'il se passe dans la tête de l'autre. Ca m'inspirait des plans fixes et également ce format ancien, se format carré qui est du 1:33 qui était aussi le format des films noirs. On a aussi beaucoup beaucoup regardé, avec Stéphanie Cléau,des films de la RKO, de Jacques Tourneur. Ca ça m'a beaucoup beaucoup excité et nous avons beaucoup travaillé sur tout ça.

Il faut être à la hauteur de la précision de Simenon et si l'on veut que le spectateur s'amuse il ne faut pas qu'il y ait de failles dans l'enquête. Il ne faut pas que le spectateur se dise, "ah non mais attends ça ne tient pas debout"parce que sinon tout le plaisir s'écroule. »

-      « Là on y croit. On y croit et d'ailleurs sans cesse vous nous baladez, on se pose des questions tout le temps. »

 «  Ah ça j'adorais ça à la lecture du livre. Cette structure à rebours qui est tellement réussie. Cette fameuse phrase : La vie est différente quand on la vit et quand on l'épluche après coup . De devoir mettre des mots sur des choses. En effet, il y a visiblement eu un crime, on ne sait pas qui est mort et on ne sait pas qui est coupable. Et c'est très excitant. »

-      «  Le travail sur l'espace et la lumière est aussi fabuleux, sur ces contre-jours, ces morceaux d'éclairage qui arrivent dans la chambre, quand ils sont tous les deux nus face à la gare etc. »

« Alors ça c'est l'avantage de tourner léger. Comme ça on peut attraper les miracles que donne la nature. Pour le premier baiser avec le coucher de soleil automnal, il a plu toute la journée. On a donc cherché un certain érotisme dans la pluie. Et tout à coup, on avait fini la scène...tout à coup, le soleil est apparu derrière les nuages. Ca a duré quoi, 25 minutes et avec Christophe Beaucarne qui est un génie et un ami, on a tout recommencé. On a tourné en 25 minutes et on a attrapé ça. C'est des signes qui ne trompent pas et qui donnent la force d'avancer. 

La lumière ça a été l'envie de tourner sur deux saisons, d'attraper le chaud et le froid qui, je trouve, est l'un des thèmes de Simenon. Comme il dit à un moment : je ne savais pas que cette femme était comme ça, je la prenais pour une femme froide, une femme hautaine, une statue. Donc on s'est dit on va tourner en été aux Sables-d'Olonne et on a eu de la chance car il a fait très beau. On a d'ailleurs tourné dans l'hôtel où Simenon allait passer ses vacances qui est cité dans le roman. Et pour la suite je me suis dis que c'était bien de le tourner à une époque plus froide, on a donc attendu novembre pour tourner la suite. On a tourné deux semaines en été et trois semaines en novembre, ce qui est assez rapide tout de même. »

-      « D'ailleurs vous jouez avec cette chaleur, cette eau, ces corps qui transpirent ça rappelle un peu la fièvre au corps. Les scènes érotiques sont belles car elles sont poétiques et effrayantes à la fois. »

 « Oui c'était la question : comment en effet filmer ça ? Ca vient aussi de la complicité que j'ai avec le chef opérateur. Et puis le fait que l'actrice et lui soient amants dans la vraie vie, ça aide. Le tournage se passe mieux, c'est presque un jeu : je vais jouer ta maîtresse, tu vas jouer mon amant. Il aimait donc vraiment la filmer. »

-      « Oui et même avec Léa Drucker qui joue votre femme, quand vous attrapez ces regards, on a l'impression qu'elle sait sans savoir... »

 «  Oui il fallait une femme aussi intelligente et pleine d'humour que Léa pour être complice à ce point là. C'est cette femme qui garde le silence, qui ne dit rien. Il espère presque qu'elle le libère, qu'elle lui dise mais non elle ne le fait pas. Elle a peur de quoi ? De casser l'image d’Épinal qu'ils ont façonné. Une vie parfaite... à priori, en surface. Transparente avec cette maison transparente pour qu'il montre à tout le monde qu'il a réussi. Il n'est pas du même monde que sa maîtresse et elle  le lui dit d'ailleurs. Il a mis beaucoup d’énergie dans la construction du bonheur de carte postale mais les fondations étaient pourries. On est tous prisonniers de ça, de l'argent, on a tous des crédits, on a des angoisses. »

-      « On sent aussi que la grande thématique c'est l'habitude. »

« C'était l'angoisse de Simenon aussi ça. C'est un auteur infini qui ne triche pas avec la nature humaine. »

-      « Et qui ne juge pas ses personnages puisqu'à la fin on ne les voit pas coupables. »

«  Au départ lorsque l'on a commencé à travailler sur le scénario avec Stéphanie on a été porté par le fait aussi qu'il est un écrivain sensoriel. Les sons et les odeurs dans ses romans sont stupéfiants et sur le scénario on les a recopié exactement avec ses mots à lui, pour ne rien perdre.

Et c'est pareil pour la musique, c'est merveilleux. A un moment donné du montage, on s'est rendu compte que le film acceptait la musique et il l'a accepté. J'ai donc demandé au musicien Grégoire de s'inspirer d'un morceau de Ravel et de faire une musique au premier degré. Et quand on arrive à ne pas regretter Ravel, c'est un tour de force : et il l'a fait. »

- « Votre souhait était vraiment de montrer comment même que dans la noirceur il reste quelque chose de beau dans tous les humains. »

 «  Oui, c'est ça voyez comment il parle du juge, c'est un être humain et ça se voit et ça se sent. »

-      «  Juste une dernière question par rapport à cette église, c'est ce dernier plan qui m'a frappé, on dirait une église et non un tribunal. Alors je ne sais pas si ça a été fait exprès ? En tout cas ça marche. »

 « Peut-être. C'est dû à la musique de Bach qui est une musique religieuse. Moi je n’ai pas pensé Eglise mais j'ai pensé au côté irréel du procès, au côté théâtre, comme dit Shakespeare, la vie est un théâtre. Visiblement les deux sont passés de l'autre côté, surtout quand elle lui dit : "tu vois Julien ils ne nous ont pas séparé". Ils reçoivent le verdict mais on dirait que ça leur passe par dessus. Pour ça, c'est Stendhal qui m'a beaucoup aidé parce que j'ai découvert que je ne savais pas que Simenon était un dingue de Stendhal. La fin du procès m'a fait beaucoup penser à la scène de fin dans Le rouge et le noir et c'est pour cela que j'ai appelé le personnage Julien.

Dans ma bibliothèque j'ai cinq rayonnages avec que du Stendhal ; et je vais reprendre mon adaptation  du livre  Le rouge et le noir.

C'est parce que le producteur m'a demandé si je voulais tourner un film en trois semaines que j'ai pensé à Simenon car lui écrivait en 11 jours. J'ai donc repris sa technique et j'ai tourné vite, j'ai laissé le film se faire, m'échapper. Ma rencontre avec le fils de Simenon a été le déclencheur aussi, le courant est tout de suite passé et il y a eu de la confiance. »

-      « Je trouve que là vous touchez à la grâce de Simenon : il y a le côté documentaire et l'onirisme de ses histoires. »

 « Qui est dans La nuit des carrefour aussi, l'un des tout premiers films adaptés. Comme vous le savez Simenon et Renoir était très amis et Simenon voulait faire du cinéma. Il a eu ensuite un rapport clinique avec le cinéma car il en a été écœuré. Il a voulu réaliser un film et on l'a empêché de le faire. Lorsqu'on lit du Simenon, on peut croire que c'est cinématographique mais, le côté cinéma n'est pas dans l'intrigue chez lui, il est dans les sensations. Ce sont les odeurs, les sons et les gestes et la province éternelle. Ca le touchait énormément. Il inventait des lieux qui pourraient être partout en France.

D'ailleurs on a usé de quelques trucages de cinéma pour correspondre aux lieux qu'il avait imaginé car vous imaginez bien par exemple que l’on n’ a pas trouvé de chambre qui donnait sur une gare ;  du coup pour l'extérieur on a filmé ailleurs. La chambre est filmée sur fond vert, on a incrusté une gare. »

Interview de Patrick Van Langhenhoven Retranscrit par Sarah Lehu et corrigé par Frédérique Dogué