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Les délivrés

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Genre : Ciné région

L'Actu

Un documentaire de Thomas Grandrémy  

Sur LCP 4 mars à 20 h 30 dans la case débat Doc. 

 Ça commence comme un film de Claude Sautet, et finit comme un film de Carpenter ou  Sidney Lumet. Damien, Clément, Saïd, des sans-papiers et les autres travaillent pour des plates-formes de livraison Uber Eats et Deliveroo. Ils sont séduits par le système, une grande flexibilité, un bon salaire et une certaine indépendance. Très vite le petit bonheur se transforme en cauchemar. La plupart découvrent le monde du travail et ses fausses promesses d’un libéralisme radieux. Devant les conditions, ils font bloc et découvrent un autre univers, celui de la lutte sociale. Elle est longue la route, mais elle les grandit humainement, politiquement et socialement. Dans cette lutte du pot de terre contre le pot de fer, le gagnant n’est pas forcément celui que l’on croit.

 Thomas Grandrémy relance le débat sur l’ubérisation du travail à travers ce parcours de trois jeunes en quête de reconnaissance. Il nous livre une mise en scène classique, soignée, aux jeux de lumière recherchés. C’est plus le fond qui nous interpelle que la forme. Il joue entre ombre et lumière vacillante, souvent dans le fond du cadre. Elle nous rappelle peut-être un paradis inaccessible. Le monde bouge. Pour notre confort, nous réclamons toujours plus. C’est plus de facilité pour profiter d’une fin d’après-midi paisible.

Nous ne nous posons pas la question du prix à payer et surtout qui. La révolution des algorithmes ubérisant le monde se trouve loin de notre problématique. Le petit livreur à vélo est là pour notre bien-être avant tout. Qu’importe le prix qu’il paye pour un travail semblable à celui du tâcheron d’autrefois. L’adage dit « le client est roi ». La mort d’un petit livreur ne fera même pas la Une du vingt heures, juste un encart dans l’édition du soir. L’uberisation du système comme les Gafa nous promet le paradis au prix de l’enfer. Un président valorise ce travail d’esclave ces 60, 70 heures pour souvent moins qu’un SMIC. Il apporterait la dignité paraît-il ! Les délivrés aborde de nombreuses questions humaines, économiques, sociales, droit du travail. Il dévoile une situation proche de l’esclavage.

Le livreur corvéable à merci se retrouve piégé par de fausses promesses avec un loyer et des charges. Surveillance proche du flicage, primes dérisoires à la petite semaine, aucune protection et encore moins avec la Covid. Vous êtes bienvenu au pays des statistiques, paradis de l’argent avec à sa droite, le fils biftons et à sa gauche, la fille notation. On appâte avec une promesse de salaire entre 3000 et 4000 euros bruts pour plus de 20 h. Quelles que soient les conditions climatiques, le petit livreur pédale au prix de conditions semblables aux premières heures de l’industrialisation, à la fin du XIXe siècle. L’heure de la révolte sonne. Cinq livreurs partent de Bordeaux jusqu’à la capitale pour porter leur cahier de doléances. Uber Eats et Deliveroo manient l’art de Machiavel avec talent.

Portés par leurs ainés, une partie des esclaves derrière leur Spartacus souffle un vent de révolte. C’est une lutte fragile, vouée à l’échec sans la volonté des damnés de la Terre de braver la tempête. Comme le dit un sénateur communiste « c’est du salariat déguisé pour les plates-formes ». Est-ce que nous sommes incapables de respecter l’autre, de lui offrir des conditions dignes, une vraie protection sociale ? Bienvenue dans un monde libéral. Il est bien loin du meilleur des mondes promis avec ce troisième millénaire. Il nous interroge sur la société que nous souhaitons quand la crise ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Bon point, la création de coopérative, Just Eat proposera 4500 CDI de livreurs dans les plus grandes villes. Cela laisse entrevoir une lueur d’espoir. Désormais le petit livreur à vélo sera moins anonyme pour vous.

 Patrick Van Langhenhoven