L’étranger
Genre : Drame
Pays : France
Durée : 2h
Réalisateur : François Ozon
Acteurs : Benjamin Voisin, Rebecca Marder, Pierre Lottin
« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier » L’étranger Albert Camus.
Le jeune Meursault apprend le décès de sa mère et se rend à l’asile pour enterrer celle qui lui donna le jour. Il semble n’avoir aucun sentiment suite à cette perte qui marquerait d’une douleur profonde bien des hommes. De retour en ville, il décide de nager et rencontre Marie, une jeune dactylo. Ils sortent le soir, pour voir Le Schpountz de Pagnol. Ils finiront la nuit ensemble. Meursault semble avancer dans la vie sans grand sentiment dans le cœur. Son voisin, Raymond Sintès, l’embarque comme témoin de moralité dans une affaire suite aux violences qu’il a fait subir à sa maîtresse.
C’est ainsi que les événements s’enchaînent comme un rocher dévalant la pente, conduisant Meursault au crime. C’est sous un soleil brûlant qu’il tue le frère de cette dernière, sans autre raison que le soleil et les vagues mourant sur la plage. Comment défendre un homme qui semble se soucier si peu du monde qui l’entoure, vide de sentiments, dans un monde qui en est rempli ?
« Je n'étais pas trop malheureux. Toute la question, encore une fois, était de tuer le temps. J'ai fini par ne plus m'ennuyer du tout à partir de l'instant où j'ai appris à me souvenir. » L’étranger Albert Camus.
François Ozon réussit l’impossible, adapter l’un des romans culte d’Albert Camus. En 1967, Luchino Visconti réalise une version en contradiction avec l’œuvre de Camus, en technicolor, à la caméra trop en mouvement, avec Marcello Mastroianni et Anna Karina dans les rôles principaux.
François Ozon choisit le noir et blanc, marquant ainsi deux éléments récurrents de l’œuvre de Camus, le soleil, et la mer. Le cadre se resserre sur Meursault, souvent en plan fixe, pour mieux montrer le thème central du roman, l’absurde. L’étranger appartient à une trilogie comprenant, un essai Le Mythe de Sisyphe, une pièce de théâtre Caligula, décrivant les fondements de la philosophie camusienne : l'absurde. C’est une exploration de l’absurdité de la vie, et le rapport d’un homme avec les conventions sociales et religieuses. On se demande souvent où se situe l’étranger dans le roman.
« J'ai secoué la sueur et le soleil. J'ai compris que j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage où j'avais été heureux. » L’étranger Albert Camus.
Meursault se trouve autant, étranger à lui-même, à la vie, que le frère assassiné. La première partie montre ce cheminement d’une vie sans avenir, d’un homme plus porté, plus fantôme qu’acteur. Quand Marie lui demande de l’épouser, il ne dit pas non. « Est-ce que tu m’aimes ? », il lui répond « toi ou une autre... » Au procès l’avocat dira « Est-il coupable d’avoir enterré sa mère ou tué un homme ? ».
Qu’est-ce que l’on juge ? Un homme en apparence sans sentiment ou un meurtrier sans mobile ? Le procès se concentre plus sur le manque de sentiments qu’il devrait avoir que sur le meurtre du frère. Ce dernier n’a pas de nom comme Meursault n’a pas de prénom. Meursault invoque le soleil que montre bien le plan sur le couteau, reflet de cette chaleur particulière à l’Algérie.
« J'ai pensé que c'était toujours un dimanche de tiré, que maman était maintenant enterrée, que j'allais reprendre mon travail et que, somme toute, il n'y avait rien de changé. » L’étranger Albert Camus.
Chaque plan suit ainsi le roman, avec des éléments ajoutés, comme le personnage de Marie, ce qui renforce encore cette idée d’absence. La mère, dans une séquence onirique finale, et quelques plans de corps chers à Ozon. À travers le choix du noir et blanc, l’économie de plans, en touchant comme le roman épuré à l’essentiel, il réussit une adaptation fidèle.
L’étranger reste un roman extrêmement complexe dans sa simplicité, dont tout le mystère n’a pas encore été percé. Comme le dit Mohammed Aîssaoui dans son dictionnaire amoureux de Camus : « Pour Sartre, cet antihéros algérois renvoie au titre du roman et est « un innocent », un étranger parce qu'il est différent « un de ces terribles innocents qui font les scandales d’une société par ce qu’ils n’acceptent pas les règles de son jeu ». Le sentiment d’absurdité provient du fait qu’il peut être notre semblable et qu’il est notre étranger. »
Patrick Van Langhenhoven
L’avis de Françoise
Dans un noir et blanc parfait, Ozon recrée Alger française de 1942. Qui est ce Meursault qui va, tel un automate froid, à l’enterrement de sa mère ? Et qui, sans motif personnel, tue un Arabe de sang-froid ?
Certes, nous n’aurons pas de réponse. Mais il y a quelque chose d’hypnotique dans la prestation de Benjamin Voisin, presque mutique, planté là, toujours un peu décalé, comme posé, tel un bibelot. Là ou ailleurs, quelle importance ? Il est d’autant plus troublant qu’il verbalise calmement, à plat, son état a-émotionnel.
Par contraste, on pressent que la ville est superbe et la lumière magnifique. Les scènes de baignade sont sensuelles, vibrantes. Mais tout cela ne semble pas toucher Meursault. Il les vit, un point c’est tout. Ça ou autre chose, qu’importe ? Il en sera de même pour la prison. Et cette absence d’affect remue le spectateur profondément.
En cela, Ozon réussit son film, un objet à part qui reste en tête, une bonne définition du cinéma.
Françoise Poul
Fiche technique
Titre original : L'Étranger
Réalisation : François Ozon
Scénariste : François Ozon, en collaboration avec Philippe Piazzo, d'après le roman L'Étranger d'Albert Camus
Musique : Fatima Al Qadiri
Décors : Katia Wyszkop
Costumes : Pascaline Chavanne
Photographie : Manuel Dacosse
Son : Jean-Paul Hurier, Julien Roig et Emmanuelle Villard
Montage : Clément Selitzki
Production : François Ozon
Sociétés de production : FOZ, en coproduction avec France 2 Cinéma, Gaumont, Lions Production et Service et Scope Pictures
Sociétés de distribution : Gaumont (France) ; Athena Films (Belgique), Filmcoopi (Suisse romande), Immina Films (Québec)
Pays de production : Drapeau de la France France, Drapeau de la Belgique Belgique
Langue originale : français
Format : noir et blanc — 1,66:1 — son 5.1
Genre : drame, policier
Durée : 122 minutes
Dates de sortie : 2 septembre 2025 ( Mostra de Venise) 29 octobre 2025
Distribution
Benjamin Voisin : Meursault
Rebecca Marder : Marie Cardona
Pierre Lottin[8] : Raymond Sintès
Denis Lavant[8] : Salamano
Swann Arlaud[8] : l'aumônier de prison
Christophe Malavoy : le juge
Nicolas Vaude : le procureur
Jean-Charles Clichet : l'avocat
Mireille Perrier : la mère de Meursault
Hajar Bouzaouit : Djemila
Abderrahmane Dehkani : Moussa
Jérôme Pouly : Céleste
Jean-Claude Bolle-Reddat : le concierge asile
Christophe Vandevelde : Masson
Jean-Benoît Ugeux : le directeur de l'asile