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affiche Interview Guillaume Canet - Blood Ties

Interview Guillaume Canet - Blood Ties

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Genre : Interview

L'Actu

Ciné Région : Qu’est-ce qui vous a motivé à faire un remake des Liens du Sang ?

Guillaume Canet : Je ne suis pas fan du terme « remake », parce que dans la traduction littérale ça veut dire « refaire » et je n’avais pas dans l’idée de refaire le travail de Jacques Maillot. Ca a une connotation un peu négative, comme si le film était pas bien et qu’il fallait le refaire. Pour moi, c’était plutôt une autre interprétation. Comme lorsqu’on lit un bouquin, chacun va interpréter l’histoire à sa manière, on va imaginer un décor, des acteurs, chacun va avoir son adaptation personnelle. Je n’ai jamais eu dans l’idée de raconter deux fois la même histoire. Et c’est lorsque j’ai lu le scénario original qui avait été écrit pas les frères Papet pour nous aider à bien comprendre les personnages, j’ai découvert tout un autre pan de leur histoire. Et même si j’ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec Jacques Maillot, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours vu cette histoire dans le New-York des années 70. C’est vrai qu’il y a eu une volonté de ma part d’enlever des personnages, d’en rajouter, de changer la fin, vraiment de le revisiter et de ne pas être dans la démarche de remake. Il y avait une volonté de changer d’atmosphère.

C.R : Pourquoi avoir co-écrit avec James Gray ?

G.C : La rencontre avec James Gray s’est faite pour d’autres raisons. On s’est rencontré à Paris, on est devenu ami assez rapidement. Le jour où se projet est devenu plus concret dans ma tête, je lui en ai parlé pour lui demander s’il connaissait quelqu’un qui pourrait m’aider à être le plus crédible possible dans cette période là, quelqu’un qui connaisse bien New-York, qui puisse m’aider dans les dialogues etc. Et lui, ayant grandi à New-York, s’est tout de suite proposé, ce qui m’a beaucoup étonné car il n’avait jamais fait ça avant, d’écrire pour quelqu’un d’autre. Pour moi, c’était la personne idéale car il a le même amour que moi pour cette période. C’était une complicité et un échange très intéressant.

C.R : A quel moment la musique vous vient-elle en tête ?

G.C : Tout de suite. Et d’ailleurs, si on regarde les films que j’ai réalisés jusqu’à présent, les bandes originales sont très seventies. C’est vrai que j’écris en musique, c’est elle qui me donne l’humeur, le rythme, l’émotion d’une scène. A chaque fois que j’écris une scène, j’écris le découpage en parallèle et j’écoute la musique en boucle. Et quand j’arrive sur le plateau, je la fait écoute à l’équipe, aux acteurs, aux machinistes. Ici aussi, je voulais que la musique tienne une part importante puisqu’à cette époque, New-York était baigné dans la musique. Je tenais à ce que visuellement il y ait des tourne-disques, des platines et qu’on ait ce sens de la musique.

C.R : Comment avez-vous vécu l’expérience cannoise ?

G.C : Très mal et pas pour les raisons qu’on peut imaginer. Mais la projection a été un cauchemar pour moi parce que, quand on présente un film à Cannes, il y a souvent une urgence, ce qui était le cas là. Du coup, on se précipite dans une période qui est très délicate, celle dans laquelle on n’a plus aucun recul par rapport au film. Et là où j’ai vraiment vu mon film, c’était à Cannes. Ca a été un sentiment terrible, je voulais aller voir chaque personne dans la salle pour m’excuser et leur dire que j’allais tout recommencer. Cette expérience a été à la fois très douloureuse et enrichissante pour moi parce qu’elle m’a permis de me rendre compte que le film n’était absolument pas terminé et de retourner au travail pour couper 17 minutes.

C.R : Le casting était celui du départ ou il a évolué ?

G.C : Non il a énormément évolué, il y a eu des directions totalement différentes. Au départ, on s’est dirigé vers Mark Wahlberg puisqu’il avait vraiment envie de faire le film et je n’ai pas vraiment pu contrôler cette décision puisqu’on m’a dit qu’il voulait travailler avec moi. Je suis allé au rendez-vous un peu à reculons, alors que je suis un grand fan de Mark Wahlberg, mais je trouvais qu’une histoire co-écrite avec James Gray sur deux frères avec lui, ça ne sonnait pas très original et ça n’allait pas dans ce que je voulais. Finalement, c’est lui qui m’a convaincu, il a adoré le scénario et on est parti comme ça. Donc dés sa participation rendue officielle, on a pu avoir un financement rapidement et très facilement. Et puis, quand finalement au bout de six mois et deux mois avant le tournage, il réalise qu’en effet ce film est proche de ce qu’il a fait, qu’il a un autre film en vue et qu’il vous plante, à ce moment là, tout chute dont le financement. Ce qui est bien, c’est que ca permet de se recentrer sur les choses essentielles. On a donc pu monter un film avec des financiers européens et aller vers des acteurs qui me paraissaient essentiels pour le rôle.

C.R : En tant que réalisateur, qu’est-ce que vous avez appris sur le tournage américain et le cinéma américain en général ?

G.C : Sur ce film, j’ai l’impression d’avoir muri dans le sens où dans mes films précédents j’avais tendance à me couvrir, à faire plusieurs prises et me dire que mon film allait naitre au montage, ce qui n’était pas le cas sur ce film là puisque je n’avais rien le temps de faire et je ne pouvais pas prendre ce risque là. Il fallait que chaque scène soit pensée et réfléchie dés le départ. Du coup, ça m’a obligé à avoir des vrais partis pris et des choix radicaux sur ce que j’allais faire et à me recentrer sur l’histoire. J’ai l’impression d’avoir appris des choses. Après, par rapport au cinéma américain, je trouve qu’il a énormément changé. Il y a ce sentiment de surconsommation qu’on retrouve dans tout, même dans le processus de fabrication d’un film. Aujourd’hui, vous faites un film à New-York, un technicien n’est plus habitué à passer deux mois et demi de tournage. J’ai ma script qui, après deux semaines, m’a appris le jour-même qu’elle ne serait plus là le lendemain, elle passait sur un autre film, alors que j’avais passé trois semaines à faire des castings de script pour trouver un complice et un partenaire. Un autre jour, j’ai pas de perchman, parce qu’elle est allé à un mariage. C’est leur façon de travailler.

C.R : La fin différente, c’est vous qui l’avez souhaitée ?

G.C : Oui, pour le coup je n’étais pas fan de la fin des Liens du Sang pour la simple raison que les frères Papet sont toujours vivant. J’avais envie de montrer la relation familiale qui n’a pas forcément besoin qu’il y en ai un des deux qui disparaisse pour que ça devienne une douleur. Ca restera une douleur quoi qu’il arrive puisque quoi qu’il arrive il aura toujours son grand frère qui lui pourrira la vie. C’est une tragédie grecque cette histoire.

Entretien réalisé et retranscrit par Eve BROUSSE

Critique de Blood Ties