Fantôme Utile
Genre : Fantastique
Pays : Thaïlande
Durée : 2h10
Réalisateur : Ratchapoom Boonbunchachoke
Acteurs : Mai Davika Hoorne, Witsarut Himmarat, Apasiri Nitibhon
Depuis la mort de sa femme, March perd pied et sombre lentement dans le néant. La providence vient à son aide sous la forme d’un aspirateur hanté. Nat, comme d'autres, n’a rien trouvé de mieux que de hanter un aspirateur fantôme. Elle n’est pas la seule. Depuis la mort violente d’un employé de l’usine de la famille de March, lui aussi est devenu aspirateur fantôme. Il complique la vie de la petite entreprise transformée en maison hantée. C’est cette histoire que raconte un réparateur d’aspirateurs venu dépanner un universitaire homosexuel.
Malgré la pression de sa famille, March décide de vivre le grand amour avec sa femme, l’aspirateur fantôme. Tout ceci n’est pas du goût de sa mère et du reste de la famille. Le fantôme de Nat échappe au désenvoutement quand un ministre passe un deal avec March et Nat. Depuis un moment, les fantômes mènent la vie dure au ministre et certains de ses amis. Les moines bouddhistes n’arrivent pas à chasser ces démons en colère. C’est ainsi que Nat le fantôme devient chasseuse de ses semblables. Tout ceci risque de mal finir, car on ne joue pas avec les revenants sans risque…
Vous l’avez compris, il est bien difficile de résumer cette histoire aux nombreuses ramifications, qui semble perdre la tête. C’était d’ailleurs l’une des surprises du dernier festival de Cannes qui lui valut une récompense méritée à la Semaine de la critique. Au premier abord, avec ses effets faits maison, Fantôme utile apparaît comme un objet filmé intriguant voire absurde. On pense au cinéma du Suédois Roy Anderson, spécialiste des histoires absurdes et d’une photographie plutôt froide. Il y a aussi du Jacques Tati dans la construction du film. Au départ, c’est un récit anecdotique sous forme de flash-back d’un réparateur d’aspirateurs servant de tête de chapitre. Dans un article précédent, nous vous parlions de l’importance de la métaphore dans le cinéma asiatique.
Elle prend ici toute son importance dès la première image, une fresque à la gloire du pays. Elle revient de temps en temps et semble sans importance. Et pourtant, elle est l’une des clefs à l’explication finale. Tous ces éléments bizarroïdes, sans rapport les uns avec les autres, prennent leur sens dans le dernier chapitre. On comprend que Fantôme utile est une parabole, un plaidoyer pour les opprimés de l’histoire du pays et contre la répression de certaines communautés. Le film stigmatise la perte du rêve et une forme d’oubli de la mémoire collective par ses dirigeants. Les stigmatisés prennent la forme de fantômes, d'être aimé, des martyrs, des ouvriers exploités, réclamant réparation. C’est un film improbable. Il peut s’apparenter à la bande dessinée underground, contemporaine, souvent inclassable.
Ce long métrage est ancré dans la tradition thaïlandaise, et plus particulièrement celle des films de fantômes, un genre particulier en soi. C’est un regard sur le capitalisme d’aujourd’hui et l’exploitation des foules. Dans l’argot thaï, la poussière omniprésente désigne les gens qui ne valent rien, les oubliés de l’histoire. Le fantôme qui refuse de quitter notre monde pour revenir peut se voir comme un cri de protestation. À la fin, fantômes et vivants finissent par se confondre, la frontière entre les deux mondes semblant avoir disparu. Le film est un melting-pot bigarré de différentes influences aussi bien cinématographiques, politiques, sociales, qu’humaines, le tout non dénué d’une certaine poésie. Il est certain que chaque spectateur trouvera matière à sa propre réflexion et que la discussion se prolongera longtemps après.
Patrick Van Langhenhoven
L'avis de Françoise
En Thaïlande, comme dans beaucoup de pays d’Asie, il est fréquent de vivre avec ses fantômes. Lorsque ceux-ci ne veulent pas partir, quand les vivants ne veulent pas les oublier.
C’est ce qui se produit quand March perd son épouse, Nat, dont la famille est propriétaire d’une usine d’appareils électroménagers où l’on fabrique, entre autres, des aspirateurs.
C’est également un aspirateur qui fera qu’un jeune homme convoquera un réparateur, séduisant, qui fera le lien entre ces deux histoires.
Passé les quelques minutes nécessaires à l’immersion, on monte dans le train-fantôme avec un plaisir croissant qui, comme dans le film, toucherait presque à l’orgasme !
L’auteur arrive à tricoter une charge féroce et très drôle contre le patronat, la religion, la répression des minorités et le capitalisme dans des scènes inattendues, burlesques, à forte charge érotique, en passant par une espèce de science-fiction. Vu d’une fenêtre occidentale, on pourrait penser à Jean-Pierre Mocky ou au Kubrick d’Orange Mécanique.
Sur le plan formel, c’est du grand art. Boonbunchachoke navigue et slalome entre différents genres qui s’emboitent très bien. Et dans les deux heures dix que dure le film, il développe à sa façon la révolte d’un peuple malmené par le pouvoir autoritaire en place.
Il prend fait et cause pour les rejetés du système et, à force de rebondissements, lance un désaveu cinglant envers les traîtres qui sont les pires, en désavouant leurs semblables à des fins personnelles.
Un film étonnant, finement travaillé et plutôt jouissif.
Françoise Poul
Fiche technique
Titre français : Fantôme utile (ou Un fantôme utile lors de sa projection à Cannes
Titre original thaï : ผีใช้ได้ค่ะ, Pee Chai Dai Ka
Réalisation : Ratchapoom Boonbunchachoke
Scénario : Ratchapoom Boonbunchachoke
Musique : Chaibovon Seelukwa
Photographie : Pasit Tandaechanurat
Montage : Chonlasit Upanigkit (th)
Décors : Maria Tourskaïa
Production : Cattleya Paosrijaroen, Tan Si En, Zorana Mušikic, Karim Aitouna
Sociétés de production : 185 Films, Momo Film Co, Mayana Films, Haut Les Mains Productions
Pays de production : Drapeau de la Thaïlande Thaïlande - Drapeau de la France France
Langue originale : thaï
Format : couleurs - 1,66:1 - son Dolby Digital
Durée : 130 minutes
Genre : comédie noire et fantastique
Dates de sortie : 17 mai 2025 (Festival de Cannes) 27 août 2025 Distribution
Distributions
Davika Hoorne : Nat, la femme-fantôme
Witsarut Himmarat (th) : March, le mari
Apasiri Nitibhon (th) : Suman, la belle-mère
Wanlop Rungkumjad : Krong, le réparateur d'aspirateurs
Wisarut Homhuan : universitaire transgenre
Distinctions
Festival de Cannes 2025 : Grand prix de la Semaine de la critique
Sélections
Festival de Cannes 2025 : sélection de la Semaine de la critique, en compétition pour la Queer Palm et pour la Caméra d'or
Oscars : proposé à l'Oscar du meilleur film international 2025