Genre : Nécrologie
Le réalisateur français est décédé à Paris la semaine dernière à l’âge de 91 ans, laissant derrière lui une œuvre cinématographique énorme et marquant clairement le septième art de son emprunte. Godard lui-même avoua son admiration pour ce réalisateur, après la sortie d’Hiroshima, mon amour. Ce dernier fait d’ailleurs parti de cette génération dorée de la Nouvelle Vague française, sans vraiment faire partie du mouvement. Issu de la rive gauche, très engagée, avec Marker et Varda notamment, il n’est pas issu du courant né à travers les jeunes critiques des Cahiers du cinéma. Cinéaste plutôt expérimental il s’est tout au long de sa carrière remis en question, inventant ses propres codes et les imposant aux autres, avec notamment un nouveau langage visuel et une forme de narration particulière.
Alain Resnais ça n’est pas moins de dix-sept longs et vingt-six courts métrages. Né le 3 juin 1922, il a le malheur de connaître la vingtaine pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il est alors élève dans la première promotion de l’IDHEC et rêve de devenir comédien. De son malheur né l’un des premiers tournants de sa vie : un documentaire sur les camps de concentration sobrement intitulé Ombres et brouillard. Le Comité d’histoire de la Seconde Guerre Mondiale par l’intermédiaire de Michel Henri lui demande de réaliser l’une des premières œuvres s’attelant à ce sujet. Jean Cayrol, ancien résistant, ajoute son texte lu par Michel Bouquet (n’apparaissant pas au générique, par respect pour les victimes) à toutes ces images d’archives. Son retentissement est énorme. Il recevra l’année suivante, le prix Jean-Vigo et aujourd’hui rares sont les jeunes et moins jeunes à ne pas avoir vu cette œuvre unique. Pour l’histoire il du également faire face à la censure. De par les autorités françaises parce qu’étaient clairement montré leur responsabilité dans la déportation et celles allemandes pour la paix franco-allemande. Il sera présent à Cannes, mais hors-compétition. C’est son premier succès. Ce film illustre des débuts très politiques de sa part, avec également Guernica sur un village basque pendant la Seconde Guerre Mondiale mais aussi Les statues ne meurent jamais sur la place de l’art africain en France.
Puis vint l’année 1959 et son évidence : Hiroshima, mon amour, chef d’œuvre incontestable. L’un des (ou le, selon les avis) sommets de sa carrière, déjà atteint dès son premier long-métrage. C’est cette rencontre à Hiroshima entre deux protagonistes interprétés à merveille par Emmanuelle Riva et Eji Okada, aux passés lourds de souffrances, l’une à cause d’une relation avec un allemand pendant la Seconde Guerre Mondiale, l’autre à cause de la bombe nucléaire. Juste sublime.
Deux ans à peine après cela, le réalisateur français ne se laisse pas griser par sa réussite et sort L’année dernière à Marienbad. Cela devient également l’un de ses films références. Œuvre atypique un homme s’essaye de rappeler à une femme la liaison qu’il aurait eu avec elle dans cette même ville. Venise saura le reconnaître et lui attribua un Lion d’Or. Le premier trophée important d’une reconnaissance universelle, de Venise à Berlin, Cannes, au prix Louis-Delluc et Jean-Vigo jusqu’à un BAFTA.
Sa conscience politique resta au cœur de sa filmographie avec Muriel, le temps d’un retour (touchant à la guerre d’Algérie) et La Guerre est finie (chronique sur la guerre en Espagne). S’en suivra une véritable confirmation et des renouvellements intempestifs de Je t’aime, je t’aime à Mon oncle d’Amérique (Grand prix du Jury à Cannes, injustement son seul prix dans ce festival), en passant par Providence et son premier César du meilleur film et de meilleur réalisateur.
La vie est un roman est portée sur les écrans en 1983, et c’est surtout la première fois que Sabime Azéma, sa future femme joue dans l’un de ses films. Cela marque le début de son cinéma contemporain, où l’on retrouvera les mêmes acteurs, que sont Pierre Arditi (que l’on avait déjà vu dans les deux précédents) mais aussi André Dussolier, Fanny Ardant entre autres, ou encore Lambert Wilson. De là Alain Resnais et son attrait pour d’autres arts et entremêlent les styles et les genres, et réuni une sorte de « troupe de théâtre ». Ce sont des acteurs permanents que l’on retrouvera jusqu’à son dernier film. De cet art théâtral, il en utilisa les techniques mais aussi les textes. Cela débute un peu avec L’amour à mort, mais surtout avec Mélo. Et ce dernier n’est rien moins qu’une adaptation d’un texte de Bernstein.
En 1993 Smoking/No smoking déboussole. Nouvelle adaptation, d’une pièce d’Ayckbourn cette fois-ci. L’originalité est de mise : Azéma et Arditi jouent leur vie sous plusieurs versions et selon le fait qu’ils fument ou non. Exercice de style et expérimentalisme ne déplaisent pas, le film ne raflera pas moins de 5 Césars, dont meilleur film et réalisateur.
Succès critique mais aussi succès public (son plus grand), avec On connaît la chanson. Le duo Bacri-Jaoui au scénario (mais aussi en acteurs), diverses chansons populaires sont intégrées dans les dialogues. Le César du meilleur film encore une fois ne lui échappera pas.
Pour ses derniers films, entouré de ses acteurs chéris et thèmes de prédilection il tourna Pas sur la bouche, Cœurs et Les Herbes folles. Puis il y eut Vous n’avez encore rien vu, présent à Cannes et libre adaptation encore une fois d’une pièce de théâtre, l’Eurydice de Jean Anouilh. C’est l’histoire d’un passionné de théâtre qui par testament fait la demande à ses anciens acteurs de jouer cette pièce. Son dernier souhait, comme un adieu ? Surement.
Resnais reste comme un réalisateur total, adepte d’un montage fin et particulier pour lequel il accordait beaucoup d’importance. Si ses premiers films avaient un caractère étaient très engagés et rappelaient ce devoir de mémoire à travers ses documentaires, l’homme à l’éclatante chevelure blanche était aussi obsédé par un autre sujet : la mort. C’est en toute logique que dans ses derniers films il en jouait, sachant qu’elle n’avait jamais été aussi proche. Il a de ce fait préparé ses adieux.
Et comme un dernier hommage, à la fin du mois de mars sortira son dernier film, œuvre posthume Aimer, boire, chanter. Dans la lignée de son œuvre et de la tournure qu’elle prit à la fin, il fut même récompensé à la dernière Berlinale par le prix Alfred Bauer. Le réalisateur trop souffrant n’est pas venu chercher sa récompense mais c’est à son producteur Jean-Louis Livi que l’on remit ce prix pour le film qui « ouvre de nouvelles perspectives ». Car oui même à 91 ans, Alain Resnais continuait à ouvrir de nouvelles perspectives, creuser les sillons de ses doutes et de la mort qui approche. Les grands réalisateurs ne sont pas immortels, mais leurs oeuvres leur survivent et leur donnent une vie éternelle. Alain Resnais en fait partie, le cinéma ne peut que lui dire merci.
Clément SIMON