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affiche Alain Cavalier à Reims

Alain Cavalier à Reims

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Genre : Interview

L'Actu

L’immense réalisateur de Thérèse, Irène et de Pater notamment, Alain Cavalier, nous a fait l’honneur de sa présence le temps d’une soirée au cinéma Opéra de Reims, le jeudi 29 octobre. Avec une patience et une disponibilité précieuses, il a conté la genèse de son film, ses volontés et sa façon d’appréhender la relation entre Bartabas et son cheval. Grâce à sa caméra intimiste et un récit épuré, ce retour aux sentiments purs est un précis de tendresse, une ode à la nature et ses merveilles, même domestiquées.

L’émerveillement n’est pas une question d’âge ni d’expérience, mais bien de sentiments. Vous pouvez regarder la nature et continuer à vous émerveiller. L’histoire de Caravage en représente un bel exemple. La caméra s’avance lentement vers ce cheval et une voix le salue d’un « bonjour », avec de la gaité. Cette phrase sera l’une des rares du film, prononcée par le réalisateur, comme une porte d’entrée dans la vie bien rodée de cet étalon, Le Caravage. Cet animal ne tient de l’art pas uniquement son nom. Sa notoriété provient de son maître, Bartabas, grand dresseur et metteur en scène de spectacles équestres dont il tient la tête d’affiche.

Après plusieurs expériences dans la fiction, l’œuvre d’Alain Cavalier a marqué un tournant vers le documentaire. Sa façon de capter le réel, l’intime, avec des moyens simples a accouché d’un style propre, novateur voire expérimental, et souvent autobiographique, comme pour Le Filmeur ou encore Le Paradis. Le réalisateur octogénaire a rencontré Bartabas il y a une quinzaine d’années. Le Caravage procède à nouveau d’une histoire personnelle, pas uniquement celle entre les deux protagonistes du film. Venu initialement voir le travail effectué et filmer les exercices réalisés par le cheval, Alain Cavalier reconnaît être « tombé amoureux » de cet animal et avoir voulu alors en faire un film.

Une raison qui l’a poussé à opérer ce changement de genre : Alain Cavalier estime qu’il y a une puissance beaucoup plus forte dans le documentaire, dans la possibilité de filmer des moments que l’on ne pourrait même pas forcément saisir dans une fiction. Avec une petite caméra DV, il se permet alors d’aller au plus proche de l’animal, le scruter dans la répétition des efforts en préparation du spectacle, ne pas rater cet instant de beauté atypique. Le réalisateur de Libera me filme Le Caravage, en s’axant sur la relation intime qu’un maître entretient avec son sujet. Ou comment l’homme peut dompter ce flot de muscles pourtant si élégant. Un parallèle est fait dans l’acte de création, où la bienveillance de Bartabas envers son cheval est semblable à celle de Cavalier et sa caméra. Le bonheur et la liberté dont semble jouir le cheval contrastent avec ce statut imposé et imposant.

La relation qui en ressort est double. Au-delà de la déclaration du réalisateur envers le cheval, il y a un lien entre Alain Cavalier et son médium d’une part et le cheval de l’autre. Chacun semble s’adapter à l’autre. Le cheval tâtonne devant la caméra, avant de l’accepter dans un geste final inouï. Les mouvements de la bête donnent une ampleur à l’image avec leurs excès de grâce et de violence et à un Cavalier qui capte avec maîtrise le caractère insaisissable et imprévisible des réactions du cheval.

Les choix au montage s’avèrent une des clés du film, alors qu’il a intensifié ses prises deux années durant, possédant une quantité énorme de rushs. Le montage réussit véritablement à procéder à une évolution des différentes relations et à opérer une union entre les moments de travail et ceux plus personnels, - même parfois à faire rire, en intégrant des plans d’un âne. Oui, oui, il s’agit bien de la relation entre un cheval et un homme que l’on évoque ici. Les images peuvent paraître répétitives, d’une qualité pas optimale par moment, ou encore réservées uniquement aux passionnés d’équitation. Mais le point de vue et le savoir-faire de Cavalier leur donne une dimension d’œuvre d’art.

La partie personnelle a une part moindre, ce qui est notamment dû à Bartabas et son côté mystique et impénétrable. Les doutes sont néanmoins présents. Une nuit ou un matin très tôt, Bartabas se rend dans l’écurie où dorment les chevaux, dans un déroulement tenant de l’habitude. Délicatement, il se glisse dans leur univers, s’accroupit à leur niveau. Les chevaux se frottent à lui : un échange a lieu entre eux sans mot - mais avec la lumière pour les besoins du cinéma - il fait alors partie intégrante de leur vie et trouve du réconfort, comme Le Caravage après un exercice. Une complicité réelle se développant, voilà ce que Cavalier retransmet à l’image. Le tout en passant par des étapes logiques de leur collaboration : l’évolution de l’entraînement, la tendresse des gestes, les récompenses et les remontrances, les blessures… Leur relation possède la puissance du silence et la profondeur de l’amour réciproque. 

Alain Cavalier ne se montre pas bavard et n’use pas d’artifice, préférant accepter ces silences et laisser les images parler d’elles-mêmes. La musicalité est faite par le cheval, son écuyer, la musique du spectacle, les claquements de sabots et autres sifflets. Le réalisateur ne parlera qu’une seconde fois : pour exprimer sa joie, celle de l’acceptation du film par le cheval, qui va alors lécher l’écran, dans un moment surprenant, drôle et fort - avec Bartabas au fond du plan observant cela. Le Caravage développe l’idée d’un retour à l’expression même de la nature et aux vrais sentiments. Un retour également à un cinéma simple, où une petite caméra suffit comme médium.

 Clément SIMON

Crédit photos : Michel Haumont pour l'avant première à Reims