La danseuse tourne sur la scène ; sa silhouette se multiplie à l’infini sur l’écran. Le violoncelle se lamente de la noirceur du monde. Le tic-tac de l’horloge égrène les heures, les minutes, les secondes aux portes de l’apocalypse.
C’est le temps des discours, des choix dans un monde où la culture et les indépendants font de plus en plus figure de résistants. Dans ce paysage où le rien devient une valeur, sonder l’âme des femmes, des hommes, d’une famille, d’un pays peut être une utopie. Le maire de Deauville renouvelle sa volonté d’un cinéma libre d’une pensée qui nous bouscule et nous fait avancer. « Partager » nous dit la directrice de Hopscotch, rassembler nos différences pour qu'elles s’épousent et créent un nouvel espace. Dans cet esprit, la nouveauté cette année, une journée consacrée aux professionnels pour partager nos savoir-faire et savoir-être.
Après la parole, c’est le temps des hommages. Saluons les carrières des aînées, mais aussi des jeunes femmes et d’un homme plein de promesses. Les talents d’hier, d’aujourd’hui et de demain ont toujours fait le bonheur de Deauville. C’est dans la compétition, avec une majorité de premiers films, que se cachent les diamants du futur. Ce soir, c’est une icône qui monte sur scène pour recevoir une standing ovation et ce ne sera pas la dernière du festival. Pamela Anderson, on la voulait bimbo, on la voulait façonnée à l’image d’Hollywood, elle se révèle la rebelle et nouvelle égérie du cinéma indépendant. La fille de la plage disparaît dans le soleil couchant de Malibu et c’est une grande actrice qui apparaît sur les écrans. « Je vis un moment inspirant ; je n'ai plus peur et je veux savoir de quoi je suis faite », nous confie Pamela Anderson.
La soirée s’achève sur le film d’ouverture, une histoire de libre-échange qui tourne au vinaigre. Entre les mots, les gestes et les faits, la réalité n’est pas forcément celle que l’on voudrait accepter. Il n’est pas facile l’amour libre quand on tient à l’autre. La leçon, c’est tout simplement de lui dire.
Samedi
En face de ma chambre, le vieil arbre dans la prairie est toujours là. Il laisse passer les rayons du soleil qui se perdent dans la fourrure de ma petite chienne. On croit tenir l’éternité, le bonheur sans fin. Je la regarde, je profite de ce temps qui me dit que l’éternité n’existe pas. C’est ce que vont nous dire entre autres, de nombreux films de la compétition. Il est temps de saisir la valeur du ici et maintenant de chaque instant pleinement.
« The New West », premier film de la compétition. Là-bas dans le Dakota du Sud, vivent les oubliés de l’Amérique dans ces territoires les moins peuplés avec le Wyoming. Seuls les chevaux galopent dans la prairie. Tabatha recueille toutes les âmes blessées. Ces adolescents au bord du gouffre trouvent dans cette mère de substitution et ses chevaux une nouvelle espérance. C’est un magnifique regard sur ces marginaux et le Dakota du Sud. Le film est servi par des figures de femmes fortes qui ont su trouver et imposer leur place dans un monde d’hommes.
Un petit tour sur les planches pour profiter de l’air marin et nous voilà de nouveau dans la salle.
Sur l’écran blanc de nos journées blanches défilent d’autres histoires.
« Omaha » confirme que la compétition sera rude et que le jury devra malgré tout, choisir dans une sélection qui s’annonce forte en émotions. C'est le road-movie d'un père, sa fille, son fils et leur chien. C'est la famille américaine dans son idéal que les films d'hier nous montraient solides, résistant à l'impossible. Cette famille sera mise à mal dans la compétition. On abandonne d'abord le chien et après, je vous laisse deviner l’effroyable… Il suffit d'une loi comme les Américains savent les inventer, pour que le rêve prenne un coup dans l'aile et tombe. Nous aurions dû voir les signes de cette Amérique au bord du gouffre. Ils pointaient déjà dans d'autres films des compétitions précédentes. Aujourd'hui, ils se dévoilent au grand jour.
Avant la remise du prix INA numérique à la présidente du jury Farahani Golshifteh, c’est un hommage à une des dernières icônes d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Elle aura été l’une des blondes d’Alfred Hitchcock, inoubliable dans « Vertigo » aux côtés de James Steward, le double visage de Judy et Madeleine. Ce film décidera Kim Novak à quitter Hollywood pour se livrer à un autre art : la peinture. Elle préférera une quête intérieure à travers la peinture au monde des apparences d'Hollywood.
Golshifteh Farahani a choisi l'exil et la liberté. Elle tombe le voile pour une production américaine et la voilà interdite au pays. Cette femme engagée, à la carrière déjà impressionnante dans des choix variés, incarnant divers personnages dans un cinéma sans frontière, ni barrière, grand public et intimiste. Elle a su imposer sa silhouette et ne nous décevra pas avec son jury par des choix percutants, à vérifier en fin de festival. Pour elle : « Ce qui compte, c’est l’histoire que l’on écrit et non pas l’histoire qui a été écrite pour nous (…) merci pour tout votre amour. Avec lui, je peux courir jusqu'au bout de la vie. »
Nous terminerons la soirée avec un film de science-fiction complotiste et d’extra-terrestres, « Bugonia », de Yorgos Lanthimos avec Emma Stone, Jesse Plemons et Alicia Silverstone. Deux hommes kidnappent la PDG d'une grande entreprise de médicaments. Ils ne sont pas au bout de leur surprise, tout comme le spectateur d’ailleurs. Comme toujours, Yorgos Lanthimos, à travers cette fiction, jette un regard sans concession sur notre monde et ses complotistes.
Patrick Van Langhenhoven
© Crédit Photo Michel Haumont