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affiche La somme de nos peurs

La somme de nos peurs

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Genre : Festival Cinéma

L'Actu

28e Festival du Film Fantastique de Gérardmer  du 27 au 31 janvier 2021

 Cette année nous ne braverons pas les éléments extérieurs, pluie, neige, pour gagner notre place au temple de la peur. Cette fois, la drôlesse gagne un combat qu’elle mène depuis la nuit des temps. C’est au cœur de nos Amityville personnelles qu’elle décide de s’insinuer, affable, vulgaire, sournoise. Elle ouvre des portes sur des frayeurs ancestrales, venues d’ailleurs, de l’espace, des gouffres perdus de la terre, du chant de nos chimères, de nos angoisses abyssales, de nos vieux mythes. Elle attend, la pauvresse, pour se nourrir et nous emporter au cœur de pays paradisiaques et infernaux. C’est une programmation de premier choix qui s’offre sur la toile comme ligne de fond où pêcher !

 On la croyait moribonde, la voilà qui chante de nouveau au clair de lune. Le petit virus, quelquefois au cœur de ses récits, n’aura pas eu sa peau blafarde, de mort-vivante. Il ne faut pas inviter le vampire, le diable, le démon à s’installer à demeure. C’est pourtant ce que nous avons fait du 27 au 31 janvier 2021. La bête nous laisse un répit pour espérer, l’année prochaine si tout va bien, profiter cette fois de la chaleur des salles. Nous partagerons ensemble les mêmes peurs, en pensant que d’autres tremblent dans l’ombre. Nous vous proposons un voyage au cœur des ténèbres que n’auraient pas renié Joseph Conrad et son Colonel Kurtz. Nous profiterons d’une petite variation en cris mineurs, et majeurs pour certains, dans ce tour d’horizon comportant quelques trous noirs.

Me voici devenu programmateur pour le temps d’un week-end, surfant au rythme de mes envies.

 J’ouvre une première porte avec une petite fille qui voulait devenir sorcière. Aya et la sorcière en séance spéciale, c’est la troisième réalisation de Goro Miyazaki. Aya, une petite orpheline, mène son monde par le bout du nez. Elle rechigne à quitter l’orphelinat pour la maison de cet étrange couple. Ils doivent cacher un lourd secret. C’est l’occasion pour notre petite espiègle d’apprendre à devenir une bonne petite sorcière. Nous sommes loin des territoires de la peur, plus sur un parcours initiatique entrainant Aya, sans le savoir, à la quête de ses origines. Cette première porte bien sympathique devrait plaire à toute la famille.

 Nous entrons de plain-pied dans la mythologie avec Boys from County Hell de Chris Baugh en compétition. Il revisite le mythe du vampire avec ce petit village irlandais, perdu au cœur de la lande. Les meilleures farces peuvent parfois réveiller des démons endormis. Il nous propose une version du mythe de Dracula entre pinte au pub et humour anglais, à déguster à froid !

Nous continuons notre descente en enfer avec Sleep de Michael Venus en compétition. Mona est hantée par d’étranges cauchemars. Elle se rend dans un petit village perdu des montagnes allemandes ressemblant étrangement au décor de ses nuits agitées. Sa fille rejoint sa mère de plus en plus malmenée par ce qu’elle exhume du fond de l’aube noire. Le film affronte les démons du passé et particulièrement ceux d’une époque des plus sombres du nazisme. Le cinéma allemand à travers le fantastique continue de se confronter à hier sans aucun tabou.

C’est l’occasion aussi de revoir un coup de cœur, choc visuel et narratif, La nuée. Ce premier film de Just Philippot renoue avec le cinéma fantastique, cachant derrière ses ambiances malsaines une réflexion plus profonde sur la société. Virginie (admirable Suliane Brahim), pour subvenir aux besoins de sa famille, n’hésite pas à se saigner aux quatre veines en élevant des sauterelles. Derrière la plongée en enfer d’une jeune femme prête à tout se cache une réflexion sur le monde paysan, entre autres. Allez savoir pourquoi, il nous rappelle le choc de La main du diable de Maurice Tourneur de notre enfance.

Dans la même veine, Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma, découvert à Deauville. Teddy, un jeune garçon marginal, voit son corps se transformer suite à la morsure d’un animal. La relation avec sa petite amie s’en trouve fortement modifiée. Cet été là, un loup errant attise la colère des villageois. Fantasme, réalité, le monde qui nous entoure peut prendre de drôles d’allures. Derrière le mythe du loup-garou se cache une critique de la société et des relations humaines.

La programmation explore tous les continents avec des constantes dans nos obsessions, comme les revenants, fantômes et autres créatures exhumées des tombeaux. Nous apprendrons qu’ici comme ailleurs, il ne fait pas bon ramener les fantômes à la vie. Ils reviennent souvent en mauvaise compagnie, trainant derrière eux d’autres esprits intéressés par notre monde.

C’est le cas dans ce film canadien Anything for Jackson en compétition. Un couple d’obstétriciens ayant pignon sur rue souhaite ramener leur petit-fils, mort dans un accident. Ils n’hésitent pas à pactiser avec le diable et exhumer un grimoire démoniaque, à manipuler avec précaution. Que voulez-vous, l’amour soulève des montagnes, même si elles sont en enfer. Vous l’avez deviné, le gamin n’est pas le seul à franchir la porte.

Puisque nous parlons de fantômes en voici une belle ribambelle dans Sweet River de Justin Mc Millan Australie en compétition. Hanna est une mère éplorée après la disparition de son fils, enlevé par un tueur en série, Simpkins. C’est pourquoi elle retourne à Billins où la bête est morte pour reprendre l’enquête. Il existe des secrets qu’il ne fait pas bon exhumer des cimetières de la mémoire. Les innocents ne sont pas toujours des anges.  

Il nous manquait une jeune fille top modèle en quête d’une nouvelle jeunesse. Nous la trouverons avec d’autres dans The cursed Lesson en compétition du duo Kim Ji-han, et Juhn Jai-hong Corée du Sud. L’héroïne découvre le yoga Kundalini, ultime source de vie en sanscrit. Il existe toujours un prix à payer dans ce mythe de Faust à la sauce du Levant.

La Suède n’a jamais manqué de trolls pour nous faire peur, ni de revenants malsains comme dans The Other Side de Tord Danielsson & Oskar Mellander en compétition. Shirin comprend que la place de belle-mère n’est pas toujours facile. Pour compliquer sa complicité avec Lucas, le copain invisible du petit garçon prend un peu trop de place. Invisible c’est une façon de parler, car les effets de sa présence se font bien sentir. Elle devra affronter des esprits bien plus mauvais qu’un troll.

Nous clôturons notre road movie de la compétition du 28e festival international du film fantastique de Gérardmer  par The Stylist de Jill Gevargizian États-Unis. C’est l’histoire simple d’une coiffeuse avec, dans l’ombre, une tueuse en série qui veut changer d’apparence. Cette nouvelle quête identitaire ne semblait pas motivante. Le mariage d’une de ses clientes prend une drôle de tournure. Ils sont nombreux les films qui, sur le papier, n’attirent pas le chaland et pourtant, en franchir le seuil vous réserve bien des frayeurs. Depuis, j’ai investi dans une tondeuse !! Il n’est plus question d’aller chez ma coiffeuse. Il faut se méfier d’un film qui en cache souvent un autre, une bonne surprise.

Il nous reste quelques sélections hors compétition, panorama du fantastique dans le monde avec, dans l’ensemble, des thématiques récurrentes comme les revenants, encore eux, des beaux spécimens de salopards que Leatherface de renierait pas. Des petits villages où il ne fait pas forcément bon vivre, des héritages d’enfer, une cause animale dans l’air du temps et deux films russes aux allures hollywoodiennes.

 La deuxième porte nous propulse au cœur de la seconde guerre mondiale avec Ghost of War États-Unis d’Eric Bress hors compétition. Dans un château perdu, des soldats affrontent les esprits victimes des nazis. Nous découvrirons qu’une guerre peut en cacher une autre et que nos peurs masquent d’autres terreurs bien plus enfouies.

The dark and the Wicked Etats Unis de Bryan Bertino. Louise et Michael retournent à la ferme familiale auprès de leur mère et de leur père mourant. La vieille femme pense qu’une présence démoniaque s’est invitée au banquet des derniers jours. Le fantastique, derrière ces visages grimaçants et ses démons, nous interroge souvent sur notre place au sein du monde, de la société et parfois de la famille.

Butchers du Canadien Adrian Langley nous entraine à la rencontre d’une famille de bouchers peu recommandable, planquée dans un coin perdu. Il ne renouvelle pas forcément t le genre mais nous rappelle nos jeunes années. Comme d’habitude, un groupe de jeunes croise leur route pour le meilleur et surtout le pire. Les garçons crèvent à la pelle et autres instruments du quotidien. Les filles hurlent beaucoup et tentent de s’échapper, dans cette variation de Massacre à la tronçonneuse et autre slasher psychopathe.

Impetigore Indonésie de Joko Anwar, il possède déjà un beau parcours dans le cinéma de genre dans son pays et à l’international. Maya et Dini sont les meilleures amies du monde. Quand la première hérite d’une maison imposante dans un village oublié, elle compte bien en faire profiter son amie pour la vie. Cette virée se transforme vite en cauchemar avec des villageois peu empressés de voir revenir l’héritière, liée à une malédiction ancestrale.

Les animaux anonymes France de Baptiste Rouveure. Imaginez un monde inversé où les animaux prennent la place de l’homme. C’est un premier long métrage illustrant l’adage qu’une bonne idée peut très vite tourner en rond. 

Le cinéma russe, depuis quelques années, propose des productions musclées avec beaucoup de moyens, dans l’esprit d’Hollywood. C’est ainsi que les super héros, les aliens, les créatures monstrueuses apparaissent dans des récits qui ne déméritent pas. Plus que les grandes batailles, il met en évidence une réflexion plus approfondie sur l’humanité et l’homme, dénonçant parfois un gouvernement qui se rêve l’URSS d’hier et n’hésite pas à transformer la réalité. 

Sputnik Russie d’Egor Abramenko. Une psychologue est appelée au chevet d’un cosmonaute rescapé d’une mission spatiale. Elle s’aperçoit très vite qu’il n’est pas l’unique passager. C’est une variation intéressante autour de l’extraterrestre, un brin psychologique malgré quelques incontournables. 

Suderpeep Russie d’Arseniy Sukhin nous rappelle qu’au cœur de la Terre aussi, personne ne vous entend crier. Une équipe de forage au cœur de l’Arctique ramène une créature surprenante. Par sa créature différente, le film nous interroge sur le sens de la vie avec un fond d’écologie.

Il est temps d’éteindre la lumière, de quitter l’antre qui, pendant quelques jours, nous entraina dans les chemins de traverse de l’inconcevable, des territoires noirs de notre âme et du monde entre mythe, fantômes, psychopathe, etc. C’est une autre façon de nous questionner sur notre place au cœur de l’univers, sur nos désirs les plus secrets. C’était une belle balade prouvant que le cinéma fantastique est encore bien vivace. Vous découvrirez la majorité de ces films en VOD et DVD et pour certains, une sortie espérée, quand le cauchemar bien réel aura pris fin. 

 Patrick Van Langhenhoven