C’est l’histoire d’un type qui ne pensait qu’à faire la bringue. Lynne, sa femme, rêvait de tout autre chose pour leur couple. Le contrat était simple, devenir le maitre du monde ou se séparer. C’est ainsi que Dick Cheney gravit les échelons de l’une des nations les plus puissantes pour s’élever, faucon au-dessus des moutons. Il commence par travailler pour Donald Rumsfeld. Il apprend à ses côtés le jeu d’échecs d’une politique aux rouages machiavéliques. Il monte les échelons, devient secrétaire à la Défense, chef de cabinet à la Défense, et vice-président aux pouvoirs étendus. L’homme du Wyoming, le pays des cow-boys, dirige la nation la plus puissante dans l’ombre d’un président fantoche, George W Bush. Dans la tempête du 11 septembre, en l’absence de celui-ci, il prendra des décisions dont nous payons encore la note. C’est avec ironie et sarcasme qu’Adam McKay nous narre son ascension.
La scène d’ouverture nous montre un pays sous le choc du 11 septembre 2001. Réfugié dans un bunker en l’absence du Président, Dick Cheney, sous l’œil de la cellule de crise, prend des décisions à la place du chef de l’Etat. Nous allons remonter le courant pour comprendre les rouages subtils conduisant un étudiant, plus porté sur la fête que sur ses études, dans les eaux troubles du pays le plus puissant du monde. Cette première image, la plus marquante, nous sert de tête de chapitre, comme la pêche à la mouche. Dick Cheney maitrise l’art d’attraper les gros poissons. Il faut savoir être patient, maitriser le leurre avec adresse et remonter sa proie au bon moment. C’est cette métaphore piscicole que développe Adam McKay pour mieux faire comprendre comment Cheney transforme le poste de Vice Président. Il utilise l’ironie, le sarcasme, et les images choc pour plonger jusqu’au cœur de son sujet. Il n’hésite pas, dans un montage vif, à faire se télescoper une décision dans l’ombre et les images violentes de ses conséquences.
Nous comprenons toute la subtilité, le jeu pervers de Dick Cheney porté par des idées peut-être issues de l’esprit des pionniers du Wyoming. Chaque décision à ce niveau de l’Etat est lourde de conséquences. Nous en subissons encore les répercussions, comme les cercles du caillou jeté dans la mare. Il se construit seul dans la meute des fauves. Il est certain que ses années auprès de Donald Rumsfeld lui apporteront beaucoup. Autre séquence choc, le jeune bleu demande au big boss, lors du bombardement sur le Cambodge : « Quelles sont nos convictions ? », Rumsfeld réplique : « Elle est bien bonne, celle-là ! Quelles sont nos convictions ! » À la fin, suite au 11 septembre, il sacrifie son mentor à la meute. Il bénéficie d’un concours de circonstances favorable à ses ambitions comme l’incompétence d’un Président. Ce dernier se repose sur ses avis et lui laisse le champ libre. Le fin pêcheur a su ferrer le plus gros poisson de la rivière. Derrière le ton sarcastique, ironique, défile un monde sans pitié. Il abandonne jusqu’à sa fille, homosexuelle, quand elle ne sert plus ses intérêts.
C’est peut-être la petite part d’humanité de son personnage qu’il efface en un coup. Quel but cherchent à atteindre ces hommes et ces femmes qui nous gouvernent, la gloire, la puissance, l’argent ? C’est pour nous la question centrale du film. L’idéologie, bâtir un monde nouveau semblent bien loin des préoccupations premières. Nous apprendrons qu’après l’invasion de l’Irak, la valeur de l’action d’Halliburton, multinationale parapétrolière dont il était le PDG, explose. Vice nous montre aussi l’influence de sa femme Lynne, toujours tapie dans l’ombre. C’est elle qui le lance dans la course mais il finit par s’en émanciper pour jouer une partition complice à deux. Christian Bale se métamorphose pour composer un personnage plus vrai que nature. Les seconds rôles d’Amy Adams, Lynne à Steve Carell en Donald Rumsfeld sont tout aussi bluffants. À l’heure de la présidence de Donald Trump, ce retour en arrière nous en dit long sur le système d’un des pays les plus puissants du monde. Nous remarquerons, heureusement ou malheureusement pour nous, qu’il n’a pas son Dick Cheney. Il vous faudra rester jusqu'à la fin du générique, c’est avec ironie sur son parti pris qu’Adam McKay répond par avance à ses détracteurs qui ne manqueront pas.
Patrick Van Langhenhoven
Adam Mc Kay a fait ses classes auprès de Michael Moore. On comprend donc d’où lui vient son style punchy. Il nous replonge dans une histoire récente que, malgré tout, nous avons tendance à considérer comme déjà ancienne, tant nous souhaitons effacer les traumatismes qui émaillent notre contexte géopolitique. Et tel un mécanicien zélé, il dévoile les rouages qui peuvent conduire des pays au bord du gouffre, en inventant par exemple de fausses informations (les armes de destruction massive) qui mèneront tout simplement à la guerre en Irak. Chapeau l’artiste dirait-on si l’on partageait le cynisme de Cheney et son entourage. Le rythme du film et sa construction en images choc comme il a été dit plus haut secouent le spectateur qui a bien du mal à encaisser ce déluge de coups tordus dont le fric et l’appétit du pouvoir sont les guides puissants.
En plus d’être un bon film, Vice (on appréciera le jeu de mots qui marche aussi bien en américain qu’en français) a des vertus pédagogiques qui nous replongent dans notre passé récent tout en réveillant notre conscience de citoyen.
Françoise Poul
Titre original et français : Vice
Titre de travail : Backseat
Réalisation et scénario : Adam McKay
Photographie : Greig Fraser
Décors : Patrice Vermette
Direction artistique : Dean Wolcott
Montage : Hank Corwin
Musique : Nicholas Britell
Production : Will Ferrell, Dede Gardner, Jeremy Kleiner, Adam McKay, Kevin J. Messick et Brad Pitt
Producteurs délégués : Megan Ellison et Jeff G. Waxman
Coproducteur : Jason George
Sociétés de production : Annapurna Pictures, Plan B Entertainment et Gary Sanchez Productions
Sociétés de distribution : Annapurna Pictures (États-Unis), Mars Distribution (France)
Budget : 60 millions de dollars
Langue originale : anglais
Format : couleur — numérique — 2,39:1 — son Dolby Atmos / Dolby Digital / DTS
Pays d'origine : États-Unis
Genres : drame biographique, politique
Durée : 132 minutes
Dates de sortie : 13 février 2019
Classification États-Unis : R
France : Tous publics
Distribution
Christian Bale (VF : Philippe Valmont ; VQ : Louis-Philippe Dandenault) : Dick Cheney
Alex MacNicoll et Aidan Gail : Dick Cheney jeune
Amy Adams (VF : Chloé Berthier ; VQ : Viviane Pacal) : Lynne Cheney, la femme de Dick
Cailee Spaeny : Lynne Cheney jeune
Steve Carell (VF : Maurice Decoster ; VQ : Gilbert Lachance) : Donald Rumsfeld, le 13e et 21e secrétaire à la Défense des États-Unis
Sam Rockwell (VQ : François Trudel) : George W. Bush, le 43e Président des États-Unis
Bill Pullman : Nelson Rockefeller, le 41e vice-président des États-Unis
Alison Pill (VF : Lily Rubens) : Mary Cheney
Colyse Harger : Mary Cheney jeune
Lily Rabe : Liz Cheney
Violet Hicks : Liz Cheney jeune
Jesse Plemons (VQ : Maël Davan-Soulas) : Kurt, le narrateur
Tyler Perry (VQ : Thiéry Dubé) : Colin Powell
Justin Kirk : Lewis Libby
Adam Bartley : Frank Luntz
Lisa Gay Hamilton : Condoleezza Rice
Eddie Marsan : Paul Wolfowitz
Bill Camp : Gerald Ford
Don McManus (VQ : Daniel Picard) : David Addington
Stephen Adly Guirgis : George Tenet
Matthew Jacobs : Antonin Scalia
Adam Bartley : Frank Luntz
Kirk Bovill : Henry Kissinger
Jillian Armenante (VF : Anne Plumet) : Karen Hughes
Fay Masterson : Edna Vincent
Shea Whigham : Wayne Vincent
Alfred Molina : le serveur
Naomi Watts : la présentatrice de journal
Joseph Beck : Karl Rove
Paul Perri : Trent Lott
Brandon Sklenar : Bobby Prentace