Un autre monde

___

Un film de Stéphane Brizé ,
Avec Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain, Anthony Bajon,

Genre : Drame psychologique
Durée : 1h36
France

En Bref

Ils s’aimaient, mais le travail s’invite au foyer pour créer l’enfer. Philippe Lemesle voulait le meilleur pour sa famille. C’est le divorce des deux parties qui ouvre cette histoire. Cette rupture en annonce une autre à venir. Philippe a réussi à remonter cette petite entreprise d’électroménager. De nombreux sacrifices furent nécessaires, mais aujourd’hui, c’est une maison saine qui fait sa fierté. En Amérique, la haute direction réclame un nouveau plan social avec suppression de personnel. C’est un nouveau combat pour Philippe Lemesle, devenu exécutant d’un système qu’il finit par remettre en cause. Il se retrouve sous pression familiale, son fils fait un burn out, sa femme le quitte, son entreprise lui demande l’impossible. Il est peut-être temps de voir la vie autrement, de choisir un autre monde.

Un autre monde achève une trilogie construite involontairement, chaque nouvel opus invité par le précédent, nous dit Stéphane Brizé. Le travail est une des thématiques que l’on perçoit dans l’œuvre du réalisateur, qu’il soit le point central du récit ou secondaire. Nous retrouvons, aux côtés des comédiens, des non professionnels donnant plus d’intensité à l’histoire. Dans la trilogie, ce sont des hommes à genoux qui se relèvent pour affronter le monde libéral. Dans La loi du marché, Thierry accepte un travail en dessous de ses capacités. Il se retrouve face à un dilemme moral. Dans En guerre, Laurent part en guerre contre les accords et promesses bafoués. Cette fois, c’est l’univers des cadres qu’explore Un autre monde. Il existe un point de rupture pour Philippe. Après de nombreuses propositions pour sortir de l’impasse, il y a un pas de plus qu’il ne peut franchir. Stéphane Brizé nous montre que les cadres ne sont pas forcément mieux lotis que les ouvriers.

Ils sont, eux aussi, confrontés aux décisions supérieures pas toujours faciles à comprendre ni à mettre en place. Dans ces trois histoires, l’actionnaire est privilégié, quitte à sacrifier des employés pour gagner plus. Philippe Lemesle, patron soucieux de ceci, comprend qu’il ne peut plus accepter cette voie. Il propose une autre solution qui sera refusée. Elle sauverait l’humain, mais pas le point en bourse. La trilogie nous montre trois hommes en lutte contre le système, en quête de sens, dans cette valse néolibérale. Ils devront affronter l’entreprise et mettre en jeu leurs convictions profondes, dire stop pour retrouver leur humanité brisée. La première séquence montre des photos de famille, petits bonheurs volant en éclat. Dans la seconde, un compromis de divorce, des visages en gros plan, cadre resserré, métaphore de ce qui va suivre. Le travail s’invite au cœur du foyer pour l’anéantir. Philippe ne comprend pas l’enfer que vit Anne.

Il ignore que c’est le premier choc. Le second vient avec son fils, interné suite à un burn out dans ses études. Le troisième est le refus de ses supérieurs d’accepter de sauver l’humain aux dépens des actionnaires. La première partie est celle de la parole qu’il finit par perdre dans la seconde. Philippe s’enferme dans le silence pour plonger au fond de son âme. C’est en sauvant la famille, en refusant les compromis, les bassesses et petits arrangements, qu’il se retrouve. Vincent Lindon arpente de nouvelles terres avec brio. Sandrine Kiberlain est excellente en femme pas si fragile, magnifique dans la séquence d’ouverture et de l’auto. Anthony Bajon prouve qu’il appartient à cette génération de jeunes acteurs brillants. Un autre monde joue moins du plan-séquence et un peu plus de la symbolique pour, une fois de plus, nous emporter au cœur d’une œuvre particulière. Ni fiction ni documentaire, c’est juste la réalité de ce que nous vivons chaque jour. C’est sans doute cela qui fait son succès, car chacun peut se reconnaître dans les combattants de Stéphane Brizé. On pourrait encore disserter sur la trilogie et les cinq films réalisés avec Vincent Lindon. Je vous renvoie à l’ouvrage de Quentin Victory Leydier : Stéphane Brizé Vincent Lindon les plans de bataille chez LettMotif.

Patrick Van Langhenhoven