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affiche Trois souvenirs de ma jeunesse

Trois souvenirs de ma jeunesse

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Un film de Arnaud Desplechin ,
Avec Quentin Dolmaire, Lou Roy Lecollinet, Mathieu Amalric,

Genre : Drame psychologique
Durée : 2H
France

En Bref

« Enfant, où êtes-vous désormais ? »

Les deux jeunes adultes sont à moitié nus, allongés sur le lit de leur amour. Elle lui lit le grec, il lui demande où est passé son amour pour cette langue, et par là ses ambitions. Ils sont nus sur un lit et le film se termine de cette façon, avec cette question, sortie de Phèdre de Platon. Ils s’aiment depuis déjà un certain temps, ils ont grandi. Cette question renvoie à cette jeunesse et ses illusions et surtout leur amour, celui d’une vie.

Ce garçon a la jeunesse éclatante, théâtral et arrogant, il est connu de tous et pourtant reconnu par personne : Quentin Dolmaire incarne la figure du fameux personnage Paul Dédalus, dans sa jeunesse. Le rôle de Paul Dédalus était campé par Mathieu Amalric dans Comment je me suis disputé… (Ma vie sexuelle) quand Desplechin campait celui de novice dans le cinéma. Mathieu Amalric, alter ego du réalisateur, est le point central du récit, celui qui répète « je me souviens, je me souviens, je me souviens… » et nous plonge dans sa quête d’identité.

« Le bel Ulysse rentre à Ithaque », lance la femme locale, avec qui il partageait son exil. Pourtant Paul Dédalus affirme le contraire, ne pas être Ulysse, un brin désinvolte, avec une envie d’émancipation. Malgré cela il rentre au bercail après un cours détour dans le berceau de Nausicaa et moult épreuves, entrant au Quai d’Orsay. Il doit pour rentrer subir également un test, une épreuve pour vérifier sa véritable identité, alors qu’on lui apprend - ou rappelle - l’existence du même Paul Dédalus à l’autre bout du monde. « Vous étiez mort, mais vous voilà en vie. »

Comme un conte, un mythe modernisé, Trois souvenirs de ma jeunesse à la mécanique originale, très littéraire, retrace les bribes de trois souvenirs de son personnage. Trois souvenirs pour créer cette identité de Paul Dédalus, trois souvenirs pour répondre à Platon et à la part de notre enfance. Convoquant ici la mythologie, l’enfance, le façonnement de la vie par des choix ou obligations, Desplechin, avec une intelligence et une maîtrise impressionnante, livre un véritable chef-d’œuvre, l’impossible suite de son film de 1996, réinventant son cinéma, à la hauteur d’attentes inespérées. 


Le réalisateur français Arnaud Desplechin reprend le personnage emblématique de Paul Dédalus, près de vingt ans après avoir créé cette emblématique figure d’une génération. Trois souvenirs comme trois flashbacks dans la jeunesse du personnage, ce que l’on peut appeler un prequel. Le retour de personnage, dans un format très romanesque et malgré une temporalité inversée, évoque évidemment Truffaut et son Doinel. Retour sur l’enfance de Paul Dédalus et sa personnalité atypique, à la soif de découvertes, à la passion débordante. Desplechin trouve dans cela un moyen parfait pour densifier son personnage, le justifier : le rendre pleinement vivant. Il inscrit Paul Dédalus comme l’avait fait auparavant en pionnier Truffaut, dans l’éternité, tel un mythe.

Pour l’occasion, les références mythologiques sont nombreuses, d’Ulysse cité à plusieurs reprises à Esther, issue de la mythologie juive. La judéité est d’ailleurs l’une des nombreuses autres reprises des thèmes de prédilection du réalisateur, quand son personnage vient en aide à des opprimés. Un air de liberté se dégage de cette suite, où la vraisemblance n’est pas forcément conviée, aux caractéristiques de Paul, dans un souci romanesque. De philosophe, Paul est devenu anthropologue par exemple, et ces détails ne pénalisent pas le récit ni la compréhension mais au contraire servent à aller au cœur de son intériorité, de cerner le personnage sans s’arrêter sur le contexte.

 La vie de Paul est résumée en trois instants donc, néanmoins loin d’être réducteurs, pour conter quand même près de cinquante ans d’existence. La force est de ne pas forcément dater ou situer l’action, de ne s’axer que sur quelques points, les plus forts, les plus importants mais aussi sur des moindres trouvant écho dans l’avenir.

Dans un premier temps, c’est un enfant qui fait face à ses parents, rebelle et solitaire ; puis un utopiste dévoué en URSS ; et enfin - le plus long et beau - un amoureux passionné d’Esther. Les trois se relient, comme un puzzle laissant peu à peu apparaître l’identité perdue à mesure que l’on redécouvre Mathieu Amalric. Il y a un paradoxal sentiment de réalisme, de vie, alors même que nous sommes dans une intrigue très romanesque avec des ellipses. Cela est accentué par le montage. Le premier souvenir est un montage rapide de plusieurs bribes éclatées, quand le second est plus linéaire et concis, le dernier enfin est romancé et précis. Il y a un parallèle entre le montage et la mémoire, où les souvenirs les plus lointains sont montés de façon à laisser apparaître de petits détails, de courts instants, quand les plus proches sont plus chauds dans l’esprit et le cœur.

Un pont est fait entre la construction de l’identité personnelle et celle du réalisateur avec son personnage. Comme si les touches qui mûrissaient dans l’esprit de Desplechin devenaient apparentes, un travail inversé. Ce personnage complexe a la puissance d’être chacun de nous et  est unique à la fois, comme Doinel avait pu l’être. C’est un personnage total, vivant, avec des rêves à accomplir, qui a de l’amour à revendre - voulant aimer Esther « plus que sa propre vie » -. L’histoire d’amour entre ces deux personnages est le centre de ses souvenirs, ce qui hantera le présent et le futur de Paul. Une histoire intense, presque impossible où la courte distance les séparant semble insupportable face à leur passion.

Les personnages sont très travaillés et les seconds rôles apportent du caractère aux protagonistes et un certain suspense à l’intrigue. À ce petit jeu Desplechin réussit autant les scènes de groupe que les scènes plus intimes. Il donne une ambiance, une vérité à ces jeunes, donnant vie à leur Roubaix dans des mouvements - en une danse en transe d’Esther - mais aussi les dialogues - lorsque Paul « regarde la fin de son enfance » -. Il y a cet attachement à sa ville, même lorsqu’un de ses personnages s’exclame « Roubaix est ma malédiction », ne pouvant la quitter. On a le sentiment de l’entendre jeune. Lui aussi se retourne sur ces choses que l’on pouvait penser, puis que l’on écarte une fois adulte. Les scènes les plus intimes varient, entre explosion de beauté et intelligence d’écriture comme cette magnifique comparaison entre Esther et un tableau d’Hubert Robert, improvisée par Paul, et moments bouleversants avec ce face-à-face entre le père et la sœur de Paul en plein milieu d’une soirée où ils évoquent la construction d’un adolescent avec l’absence d’une mère - qui rappelle une scène similaire dans Holy Motors -.

C’est cela, qu’au travers de cette figure de Paul, Desplechin arrive le mieux à faire, ancrer la moindre conversation, le moindre détail dans la personnalité de son protagoniste, pour en faire une psychanalyse généralisée et non pas intégrer des moments de psychanalyse comme il l’aimait tant dans ses autres films. La réflexion est large et, sans être excessif ni sentimental, il interroge la vie, son fonctionnement et la puissance de quelques évènements ou l’importance que l’on y accorde. Le film est à la fois nostalgique et gai, comme le personnage de Paul, à la fin, en solitaire accompli, moins pessimiste que dans le dernier opus. L’humour est un atout permettant cette dualité, où des instants plus ou moins graves peuvent être traités habilement de façon légère - l’adultère, pour ne citer que cela -.

Deux acteurs incarnent Paul Dédalus jeune : Antoine Bui pour l’enfance et Quentin Dolmaire pour l’adolescence. Ce premier bluffe par son jeu, notamment dans un face-à-face intense et terrifiant, où un couteau s’interpose entre lui et sa mère. Puis le second, que l’on retrouve dans la majeure partie du film, prend le relais. Son intonation peut paraître fausse, très théâtralisée, tel un poète débitant ses écrits, à coups de grandes phrases retentissantes. Mais la connaissance du personnage lui donne une cohérence évidente. Il est beau parleur et pourtant maladroit. Ses mimiques, dans la lignée de celles d’Amalric, deviennent plus vraies que jamais, comme Paul à mesure que le film avance. Et le passage d’un acteur à l’autre se fait sans aucun hiatus. La naissance d’un acteur a lieu, comme d’autres avaient eu lieu dans ses précédents films. Il en est de même pour la jeune Lou Roy-Lecollinet, charmeuse formant un très beau duo et incarnant cette fille solitaire ne se retrouvant que dans l’amour de Paul et obligée de séduire pour se sentir vivante, cette « pute incertaine qui vacille ».

Mathieu Amalric conclut le trio d’acteurs incarnant Paul et apporte à chacune de ses apparitions, notamment l’épilogue, son aisance, son vécu et donne à la candeur théâtralisée du jeune Paul, une envergure d’un autre ordre. L’épilogue est la rupture où le merveilleux nous rattrape, dans un instant terrible, où c’est à nous de nous souvenir du film et des épisodes de la vie de Paul.

Le procédé de flashbacks et souvenirs initiés par Desplechin est original dans le monde des personnages reparaissant. Il utilise pour cela différents codes et surtout ceux propres à son cinéma, qu’il égaye avec une maîtrise impressionnante. Les trois souvenirs rappellent par ailleurs, trois sujets et films de son œuvre. Paul Dédalus, comme Arnaud Desplechin, se souvient… Ce film est moins bavard que son précédent, le réalisateur français a moins à prouver et fait souffler un vent de liberté. La part autobiographique restera le mystère que cultive ce dernier. Un étalage de son expérience, de sa maitrise, est réalisé, toujours dans le but de servir le récit, sans zèle excessif. Et cela donne des coups de génie. Des procédés sont remis au goût du jour, de cet effet  kitsch ouvrant les souvenirs au split-screen, à cette voix-off de conte.

Le split-screen donc, pouvant paraître démodé, donne un cadre sublime à l’imposante place qu’Esther va prendre dans la vie de Paul. L’écran coupé en trois, laisse apparaître constamment Esther dans le cadre - ce qui est d’ailleurs le cas la majeure partie du film où ces deux visages enfantins sont ensemble dans le cadre, de l’ombre à la lumière -. L’image parle plus que ce Paul, bavard habituel et muet occasionnel face à sa beauté. L’image finale de cette scène précédant leur rencontre sera la figure d’Esther prenant alors la totalité de l’écran. Le jeu technique est présent, ou comment donner de la légèreté à ce qui aurait pu être banal, de l’originalité même. Il en est de même pour les mouvements de caméra accentuant la teinte romanesque. Les détails prennent ici une place dans cette œuvre si riche, où beaucoup s’entrechoquent. Certains diront qu’il y a en a trop, qu’il manque de liens, c’est pourtant là que le film excelle. Notre imaginaire est laissé aux mains de sa vie, et le temps est suspendu : l’effet est terrible, comme un constat d’une vie, du temps passé et de ses choix, ses rêves oubliés et réalisés.

 

Ce cinéma est total et dénote le goût théâtral et surtout littéraire du réalisateur. Les voix et les intonations peuvent paraître surjouées- on pense à Paul adolescent faisant la morale « je le sais, ça me fit pas plaisir »- mais témoignent surtout de la jeunesse et évidemment des caractéristiques de Paul. La littérature est omniprésente : de la référence à Stendhal et son héros solitaire, ou encore Les Aventures d’Arthur Gordon Pym, récit de voyage d’Edgar Allan Poe, que ses protagonistes lisent, à ces lettres prédominantes. Les lettres sont devenues de véritables signatures de Desplechin où, regard face caméra, les acteurs lisent leurs écrits. Dans le royaume périlleux de cet exercice, où Amalric s’est depuis longtemps autoproclamé roi, les deux jeunes allient force et justesse. Ces lettres donnent un tournant dramatique, densifient le romanesque quand leur histoire semble se durcir. Ne tombant jamais dans le pathos, Trois souvenirs de ma jeunesse semble n’être qu’une correspondance, une lettre de Desplechin à Dédalus - ou l’inverse -. Les séquences sont très bien écrites et la théâtralité n’a rien de faux, les ‘punchlines’ au contraire allient grâce et poésie.

 « Le désir d’héroïsme est la signature de la jeunesse » disait l’auteur du film sur les ondes de France Inter. C’est un jeu pour lui de reprendre son Paul Dédalus, un jeu ambitieux. Pour nous aussi : on l’aime, prévisible et excessif, rêveur et rationnel. Trois souvenirs de ma jeunesse deviendra peut-être l’Arcadie - sous-titre du film signifiant le paradis terrestre ou perdu - de son réalisateur, mais est déjà son sommet. Personne ne pouvait s’attendre à une telle intensité en réponse à son premier film, déjà pièce majeure du cinéma français. Il faut arrêter de comparer Desplechin à Truffaut, pour son sens romanesque, à Godard pour sa liberté, il pose à l’encre indélébile le sceau de son génie, de sa singularité, dans un moment de cinéma si intense, que notre vie pourrait presque en paraître fade. Vingt ans après, notre amour pour Paul est comme le sien envers Esther : intact !

 

Clément SIMON

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    Titre original : Trois souvenirs de ma jeunesse

    Titre à l'international : My Golden Years

    Réalisation : Arnaud Desplechin

    Scénario : Arnaud Desplechin et Julie Peyr

    Photographie : Irina Lubtchansky

    Son : Nicolas Cantin, Sylvain Malbrant, Stéphane Thiébaut

    Montage : Laurence Briaud

    Musique originale : Grégoire Hetzel

    Décors : Toma Baquéni

    Costumes : Nathalie Raoul

            Producteur : Pascal Caucheteux

    Sociétés de production : Why Not Productions et France 2 Cinéma

    Société de distribution : Le Pacte

    Pays d'origine : Drapeau de la France France

    Format : Scope – 5.1

    Langue : français

    Année de production : 2014

    Genre : Comédie dramatique

    Durée : 120 minutes

Distribution

     Quentin Dolmaire : Paul Dédalus adolescent

    Lou Roy-Lecollinet : Esther adolescente

    Mathieu Amalric : Paul adulte

    Dinara Droukarova : Irina

    Cécile Garcia-Fogel : Jeanne Dédalus, la mère

    Françoise Lebrun : Rose

    Irina Vavilova : Mme Sidorov

    Olivier Rabourdin : Abel Dédalus, le père

    Elyot Milshtein : Marc Zylberberg

    Pierre Andrau : Kovalki

    Lily Taieb : Delphine Dédalus

    Raphaël Cohen : Ivan Dédalus

    Clémence Le Gall : Pénélope

    Théo Fernandez : Bob

    Anne Benoît : Louise, la mère de Bob

    Yassine Douighi : Medhi

    Ève Doé-Bruce : Professeur Béhanzin

    Mélodie Richard : Gilberte

    Éric Ruf : Kovalki adulte

    Pierre-Benoist Varoclier : Yorick

    André Dussollier :

    Antoine Bui : Paul Dédalus enfant

    Ivy Dodds : Delphine Dédalus enfant

    Timon Michel : Ivan Dédalus enfant