Une voiture, un enfant sur le siège arrière, une ceinture de sécurité défaite, il n’en faut pas plus pour que survienne le drame. Alexia se retrouve avec une plaque de titane dans le crâne. Elle devient une jeune femme en quête de sa place dans le monde. Elle est adulée par les hommes, les femmes en quête d’amour. Danseuse dans des salons, elle se cherche encore une place au sein de la société entre l’humain et la machine. Ailleurs, Vincent, commandant d’une caserne de pompiers, espère le retour de son fils Adrien disparu. Ces deux-là sont en quête d’un amour perdu, ou jamais trouvé pour Alexia. Suite à des circonstances mortelles, elle se retrouve en fuite. Une vague ressemblance avec le fils disparu, quelques transformations et la voilà devenue Adrien. La relation entre ce « fils » revenu et Vincent en quête d’un enfant disparu transforme la vie des deux paumés du petit matin. Ils s’apprivoisent, se reconnaissent une filiation, mais jusqu’à quel point l’illusion suffit-elle à masquer le mensonge ? Alexia devenue Adrien aura bien du mal à cacher une maternité qui chaque jour modifie son corps. Elle aura bien du mal à dissimuler cette chose qui grandit, suintant du sang noir de la machine. Est-ce que l’amour supporte tout ?
Julia Ducournau ne manque pas de talent, même si son film divise et provoque une réaction épidermique sur la Croisette. Nous noterons que la présentation de Crash de David Cronenberg à Cannes en 1996 sera l’un des plus gros scandales de la Croisette. Elle nous avait déjà pas mal bousculés avec son premier long métrage Grave sur fond de cannibalisme. Nous retrouvons le rapport à la chair et au corps sous un autre angle. Titane se divise en deux parties. Une première séquence sur une jeune fille perdue en quête d’amour, du père. Nous passons de la réparation à la transformation avec un passage par la mort. Titane pourrait, comme pour Crash, se résumer aux rapports étranges liant, sexe, violence, danger, mort, machine. C’est beaucoup plus que cela. Derrière les scènes chocs se cache une humanité en quête de rédemption. Elle réinvente une nouvelle cinématographie s’inspirant de Cronenberg, Carpenter, Scott, Verhoeven, et bien d’autres. Julia Ducournau, cinq ans après Grave, construit un nouveau langage mélangeant les genres avec un sens de l’image poussé dans ses retranchements. Peu à peu prend forme un nouveau cinéma, perturbant, provocant, sensible, sensuel, mécanique, à l’image des corps saisis avec une certaine audace.
Le film possède une belle tendresse dans cette quête d’amour presque impossible, souvent à la frontière, prêt à basculer dans les ténèbres. Passé la violence, comme pour Grave, se dévoile une autre recherche identitaire, et peut-être une forme de transhumanisme. L’humanisme des lumières agissait sur l’homme pour le transformer de l’extérieur par la culture et l’éducation. Le transhumanisme cherche à le modifier de l’intérieur, en essayant de modifier son corps et son cerveau. Comme le dit : Frédérick Lemarchand « En fait, l’idéologie transhumaniste semble se passer de l’idée de nature humaine. L’homme y est vu comme une matière première totalement malléable, il n’y a plus rien qui soit sacré ou inaliénable en l’homme, tout peut être transformé à notre gré. » L’autre thématique principale du film est la quête du père et du fils à travers les personnages de Vincent et Alexia. Il y a la nécessité de retrouver un manque pour s’accomplir pleinement.
C’est le voyage initiatique de deux êtres meurtris par la vie qui finissent par se retrouver dans ce chemin de douleur et de violence. Une interrogation apparaît sur des questions secondaires, comme l’abus, le corps, la vieillesse, le sentiment amoureux, la mort, et bien entendu la vie. C’est ce qui arrive à la petite Alexia du début qui finit par enfanter la machine. Titane devient un objet filmé étrange qui dérange et enchante à la fois, parcours de montagnes russes, laissant le spectateur sonné à la fin du voyage. Il ne peut que s’interroger au risque de se perdre. Il passera parfois par la colère, le refus, le rejet, la haine, oubliant que tous ces sentiments cachaient l’amour qu’il finira peut-être par toucher. Il aura fait le voyage bien plus qu’en images, de l’intérieur avec ses tripes aux sens propre et figuré.
Agathe Rousselle nous offre une belle performance, entre douleur, violence et tendresse. Vincent Lindon est remarquable dans ce père vieillissant, traumatisé. Pour finir, il y a vingt-huit ans, après Jane Campion qui partageait la Palme pour La leçon de piano avec Adieu ma concubine de Chen Kaige, Julia Ducournau devient la deuxième femme à recevoir la Palme d’or sans la partager cette fois. La révolution serait-elle en marche ?
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Titane
Réalisation et scénario : Julia Ducournau
Musique : Jim Williams
Décors : Laurie Colson
Costumes : Anne-Sophie Gledhill
Photographie : Ruben Impens
Son : Séverin Favriau, Fabrice Osinski et Stéphane Thiébaut
Montage : Jean-Christophe Bouzy
Production : Jean-Christophe Reymond
Sociétés de production : Kazak Productions ; Frakas Productions
Sociétés de distribution : Diaphana Distribution (France) ; Agora Films (Suisse), Entract Films (Québec), O'Brother Distribution (Belgique)
Pays de production : France, Belgique
Langue originale : français
Format : couleur
Genres : thriller, drame
Durée : 108 minutes
Dates de sortie : 13 juillet 2021 (Festival de Cannes) 14 juillet 2021 (sortie nationale)
Classification : interdit aux moins de 16 ans
Distribution
Vincent Lindon : Vincent
Agathe Rousselle : Alexia
Garance Marillier : Justine
Laïs Salameh : Rayane
Dominique Frot : la femme secourue par les pompiers
Myriem Akheddiou : la mère d’Adrien
Nathalie Boyer : l'ambulancière
Théo Hellermann : le jeune dans le bus
Mehdi Rahim-Silvioli : Rose
Bertrand Bonello : le père d'Alexia