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affiche Tirez la langue mademoiselle

Tirez la langue mademoiselle

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Un film de Axelle Ropert,
Avec Louise Bourgoin, Cédric Kahn, Laurent Stocker,

Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h42
France

En Bref

C’est au cœur du quartier Tolbiac où se côtoient les immeubles bourgeois, Haussmanniens, et les tours s’élançant pour disputer leur place aux nuages que notre histoire ouvre sa trame. La ville prend des allures de poésie, surtout la nuit, quand glisse la langueur monotone de la vie. Boris et Dimitri Pizarnik officient à quatre mains comme des concertistes du corps. Ils sont médecins, inséparables presque siamois, au moins pour ce qui est de l’âme différente mais en osmose, habitant le même double corps. L’un commence une phrase, l’autre l’achève, de même quand ils examinent le patient troublé ou rédigent l’ordonnance.

Ils vouent leur vie à prendre soin des autres, soigner les bobos, les petites blessures ou les grands maux que nos corps fatigués leurs livrent en pâture. Un soir, une petite fille diabétique attire leur attention. La mère travaille, absente, elle laisse la gamine seule. Ils découvrent enfin Judith, cette ombre qui capte toute leur âme, leur fragilité intérieure, et ça fait boum comme dans la chanson.  Les voilà donc amoureux, le bonheur entre dans la maison, mon frère a trouvé l’élue de son cœur. Il existe juste dans ce printemps des jours heureux, un petit nuage qui grossit et pourrait bien devenir tempête. Ils aiment la même femme, Judith.


Tous les membres de la famille d’Axelle Ropert sont médecins. Elle échappe à la malédiction grâce à sa passion du cinéma (critique, scénariste). Elle signe en 2008 un premier long métrage remarqué, La famille Wolberg, avec François Damiens et Valérie Benguigui. Au-delà du métier des deux frères et leur rapport aux corps, ils oublient leurs âmes. Leur métier est un vrai sacerdoce et leur fait oublier leur propre vie. Elle s’intéresse non pas à l’histoire d’amour avec un grand A, mais avec un grand F comme dans fraternelle. Ces deux-là s’aiment si profondément qu’ils se comportent comme des jumeaux ou des frères siamois. Avec délicatesse, jouant beaucoup sur le silence, le non-dit, elle nous offre une partition plus proche de la poésie, loin du cinéma français actuel. Tous les deux sont des écorchés à leur manière, l’un est alcoolique sans que cela n’envahisse l’écran.

Il suffit d’une ou deux réunions d’alcooliques anonymes, et du jeu de Laurent Stocker, pour faire passer dans les creux, les silences, toute la douleur du personnage. L’autre, joué par le réalisateur Cédric Kahn, est émotif au point de ne savoir comment avouer cet amour si fort, si beau. L’arrivée de Judith, interprétée par une Louise Bourgoin tout en demi-tons, comme frôlée par la main de la réalisatrice, violon où la corde vibre au moindre souffle. Elle donne à cette mère toute l’amertume des choses perdues qui ne reviendront pas. Elle se consacre à son enfant comme les deux médecins à leur métier. L’histoire d’amour emprunte les méandres de la vie, du petit rien qui fait vibrer nos cœurs à ce tout qui nous engloutit dans le regard de l’autre. Comme le reste, la réalisatrice ne joue pas sur l’esbrouffe, le grandiloquent, mais sur un ensemble de petite choses délicates, entre poésie des lumières et des situations. Même dans la fracture entre les deux frères, elle ne s’appuie pas sur la tempête, les cris, la haine. On enferme sa douleur au fond de son cœur, on ne dit rien, on est au-dessus de la vague. Comme s’il y avait quelque chose de plus grand, de plus beau, l’amour fraternel.

Cette thématique représente le cœur du film, son âme. Avec l’arrivée de cette femme et leur passion partagée, comme si à un moment il existait malgré tout un espace où l’on ne peut plus être deux. Forcément, un seul emportera le cœur de la belle. Le perdant, c’est celui qui reste, abandonné. N’oublions pas qu’ils partagent tout, même la détresse de l’autre. Et voilà que ce petit morceau de vie  ne peut plus se vivre à deux. Forcément, la rupture s’opère. Les siamois sont séparés et chacun devra reprendre sa vie, loin de l’autre, c’est le mieux à faire. C’est un petit bijou où l’humour n’est pas absent mais comme le reste, il fait dans la dentelle et l’ironie. Un trio excellent et une Louise Bourgoin dans un rôle où elle montre toute les facettes d’une actrice devenue mature, dans un film à lire entre les lignes.

Patrick Van Langhenhoven

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Ciné Région : Dans Tirez la langue mademoiselle, vous interprétez un personnage un peu différent de vos anciens rôles.

Louise Bourgoin : Alors tout le monde me dit ça. Peut-être parce que, contrairement à Adèle Blanc-Sec ou La Fille de Monaco, je ne suis pas moteur du tout, on ne court pas derrière moi. Je suis plutôt une sorte de petite flamme au loin qui s’agite et l’écran de projection des fantasmes de construction de vie de ces deux frères. Du coup, je suis plutôt témoin de l’histoire alors ça m’a un peu calmée. Le personnage de Judith n’est pas du tout traité en personnage de mère courage avec beaucoup de pathos donc il n’y a pas beaucoup de scènes avec ma fille.

C.R : Vous êtes tout de même l’élément déclencheur de tout, c’est vous qui allez amener la prise de conscience des deux hommes.

L.B : Oui bien sûr mais bon, c’est malgré moi. Parce qu’ils tombent amoureux très vite. C’est ce qui est très particulier dans le cinéma d’Axelle, on échange deux phrases et puis ça y est : « Vous êtes celle que j’attendais » alors que j’ai dit « Est-ce que vous auriez une cigarette ? », c’est assez marrant. Ils sont très courageux.

C.R : C’est aussi un élément intéressant à jouer d’être à l’écart de l’action principale ?

L.B : Oui, c’est une des premières fois en effet. Juste avant, j’ai tourné trois mois dans le film de Nicole Garcia, Un beau dimanche, qui sortira en janvier, et je joue encore une fois quelqu’un qui est très dynamique, qu’on suit caméra épaule, qui a plein d’emmerdes, qui se fait frapper… Et donc ici, elle était moteur de l’histoire, le fait d’être fragile parce que perdue seule avec sa fille, ne sachant pas trop comment organiser sa vie. Du coup, mon jeu ici se fait par répercussion, par écoute pure et dure de l’autre. Et en plus je n’avais pas préparé le rôle puisque il n’y avait que trois jours de battement entre le tournage de Nicole Garcia et ce tournage là et Axelle ne m’a pas du tout dérangée en me demandant de travailler telles ou telles choses ou en discutant du personnage avec moi. Du coup, j’ai laissé venir.

C.R : La plupart du temps, on ressent bien l’histoire qu’elle porte en elle, on sent qu’elle est chargée comme personnage.

L.B : Moi j’étais émue par le fait qu’elle était abandonnée comme ça, seule avec sa fille, qu’elle veuille bien faire, qu’elle se demande si elle ne doit pas retourner avec son ex pour faire plaisir à sa fille, son esprit un peu sacrificiel ça m’a touché. Les textes d’Axelle sont tellement forts et véhiculent tellement de choses qu’il ne faut pas tomber dans la sensiblerie et illustrer le texte en donnant des émotions. Au contraire, souvent dans les films français, les textes sont un peu pauvres et donc c’est sauvé par une émotion forte. Comme ici, c’est très écrit, je trouve qu’il faut s’effacer.

C.R : Cédric Kahn, qui joue l’un des deux frères, est avant tout réalisateur mais se retrouve ici acteur. Est-ce que vous avez retrouvé cette espèce d’expressionnisme dans sa façon de jouer ? 

L.B : Oui. On le voit moins sur le résultat final que ce qu’il était sur le plateau. Mais c’est vrai que lui, il voulait ressentir, il s’appropriait beaucoup les choses. Je me souviens par exemple que dans la scène où il découvre que mon ex est revenu à la maison et qu’il débarque avec des fleurs en me disant : «  mais… tu te fous de ma gueule ! », il l’avait vraiment joué. Pour toutes les scènes, il transposait vraiment ce qui arrive à son personnage à lui-même donc il disait : « moi dans la vraie vie, quelqu’un me fait ça, je donne un coup de poing dans le mur ». Donc il l’a fait en jouant, elle ne l’a pas mis au montage mais il a effectivement donné un coup de poing dans le mur. C’est touchant. Après, ça ne va pas forcément avec le cinéma d’Axelle qui est filmé de loin, avec distance, très composé, très cadré.

C.R : Vous avez l’impression de tracer votre chemin dans le cinéma ?

L.B : Je me sens complètement débutante, j’ai l’impression que je viens de commencer, c’est très frais pour moi. Je ne me sens pas du tout d’avoir un début de carrière établi, pas du tout. Je me sens travailler en public, m’essayer en public puisque je n’ai jamais pris de cours, j’ai enchainé les tournages, réalisé des choses par moi-même mais je me sens encore très fragile, je pense en partie parce que je n’ai jamais pris de cours.

C.R : Il y a des rôles vous aimeriez particulièrement jouer et des metteurs en scène avec qui vous aimeriez travailler ?

L.B : J’adorerais jouer La femme de trente ans de Balzac qui ressemble beaucoup à Madame Bovary. Et ça tombe bien, j’ai trente ans. Après, côté metteur en scène, j’aimerais beaucoup travailler avec Céline Sciamma (Tomboy) mais elle travaille beaucoup avec des ados. Sinon, j’adorerais travailler avec Xavier Dolan, Alice Winocour, Riad Sattouf qui était dans mon lycée. Après, je n’ose même pas imaginer avoir la chance de tourner avec eux un jour mais je suis une grande fan d’Arnaud Desplechin et d’Abdellatif Kechiche.

C.R : Est-ce que vous avez un registre privilégié ou vous avez envie de tout faire ?

L.B : Je n’ai pas de registre privilégié mais j’ai envie de travailler avec des réalisateurs qui considèrent leur mise en scène comme un acteur à part entière, qui ont un vrai sens de la mise en scène et qui ont une patte particulière, dont les films ne ressemblent pas à ceux d'un autre.

C.R : A vos débuts, on entendait beaucoup : « elle va jouer dans des comédies légères, romantiques etc. ». 

L.B : Oui, on m’en a proposé beaucoup, je dirais à hauteur de 75% pour la comédie légère, romantique et drôle plutôt que des films d’auteur un peu noir ou triste. Je suis plus volontairement allé vers les films d’auteur. Mais j’ai l’impression que j’amorce un virage avec La Religieuse, ce film et celui de Nicole Garcia. Je suis plus sérieuse, plus adulte. Pour Un heureux évènement ou Adèle Blanc-Sec, c’étaient des rôles cadeaux pour une actrice puisque j’étais de tous les plans alors que je débute. Maintenant, je peux me permettre de choisir des choses qui demandent moins de présence et qui sont tout aussi intéressants.

Interview réalisée par Patrick Van Langhenhoven et retranscrite par Eve Brousse

·  Réalisation : Axelle Ropert

·  Scénario : Axelle Ropert

·  Musique : Benjamin Esdraffo

·  Photographie : Céline Bozon

·  Montage : François Quiquere

·  Producteur : David Thion et Philippe Martin

·  Production : Les Films Pelléas

·  Distribution : Pyramide Distribution

·  Pays :  France

·  Durée : 102 minutes

·  Genre : Comédie dramatique

Casting:

  • Louise Bourgoin : Judith
  • Cédric Kahn : Boris
  • Laurent Stocker : Dimitri
  • Paula Denis : Alice
  • Serge Bozon : Charles
  • Camille Cayol : Annabelle
  • Jean-Pierre Petit : Max
  • Alexandre Wu : Kay
  • Gilles Gaston-Dreyfus : M. Perez
  • Source Wikipédia