Simon abandonne le corps de Juliette pour celui de la vague. Il se laisse emporter entre vent et marée, baigné par les embruns. L’amour palpite au chant des beaux jours qui passent et bâtissant l’éternité sur un regard, un geste ineffable à inscrire dans la fable du temps. Ce dernier ne jouera plus sa trame. Il coupe la ligne de vie et ouvre la porte du drame. Une route, la fatigue et c’est le choc, Simon se retrouve à l’hôpital où la vie s’enfuit, laissant un corps pour réparer les vivants. Il n’est pas facile de dire oui pour les parents quand la valse du temps joue contre vous et vous presse. La mort peut donner la vie à d’autres, en instance de franchir, comme Simon, le Styx.
C’est à eux de décider la nouvelle trame à tisser sur la tapisserie de la vie. Ailleurs, une femme se laisse porter par la vague finale qui la conduira au bord du gouffre où l’existence joue sa dernière partition. Il lui reste si peu pour finir la route où l’amour s’estompe dans les feuilles des forêts sauvages. Pour Claire, le temps est compté, le sablier égrène les grains et bientôt le cœur ne battra plus pour personne. Entourée de ses deux fils, elle espère en une greffe pour rebondir et de nouveau enlacer le corps de son aimé. C’est sur cette trame que se construit la dernière et la première histoire où l’espoir chasse le désespoir des jours gris pour une mort, une vie.
"Le coeur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d'autres provinces, ils filaient vers d'autres corps" Maylis de Kerangal.
Katell Quillévéré nous livre un plaidoyer pour le don d’organes dans une histoire où l’amour et l’ivresse de la vie ne sont pas absents. Il s'agit de l'adaptation du roman éponyme de Maylis de Kerangal, publié en 2014. Entre onirisme et réalisme, elle construit une parabole du vivant où les morts deviennent l’espoir d’un autre corps pour qu’un cœur batte encore la chamade. Ce sont donc deux romances. L’une que le temps fauche à l’aube des promesses quand les rayons du soleil caressent l’envie d’éternité. La deuxième s’est interrompue de peur que la mort ne la fracasse sur les marches d’un palais perdu. Le cœur continuera à battre, à aimer, à croire en l’espérance et au bonheur retrouvé. Rien n’est perdu. Un autre portera les aubes triomphantes où l’amour reprend sa symphonie. Réparer les vivants raconte le temps où la vie quitte un corps pour devenir de petites îles d’espoir pour d’autres, grâce au don d’organes.
Plus classique, dans cette partie, elle nous saisit deux opérations à cœur ouvert qui pourront pour certaines âmes sensibles paraître insoutenables. Elle colle à la réalité, aux termes médicaux qui scandent ce moment où pas une minute n’est à perdre. C’est assez efficace, mais préjudiciable pour le reste par ce choc qui coupe l’élan onirique du reste du film. Pourtant, dès la première séquence, elle accroche le spectateur avec ce petit tempo de bonheur, une vie heureuse pleine de promesses qui ouvre la symphonie triste à venir. Ce sont deux corps enlacés, auxquels répondront bien plus tard deux autres corps amoureux dans la même position. Est-ce un écho, un effet miroir ou le temps qui reprend son histoire amoureuse ? Comme si ces deux romances n’en faisaient qu’une aux yeux de l’univers. La séquence des surfeurs est admirable. Katell Quillévéré fait preuve d’un sens de la poésie et de la vague peu vue auparavant. Elle continue ce moment de poésie qu’elle reprendra un peu plus tard avec Claire. La symbolique de la vague, de l’océan, lieu des origines d’où surgit la vie.
Elle deviendra bien plus tard, avec Claire, la forêt. Cette dernière est le territoire du premier arbre du monde, de la graine que l’on plante pour donner l’arbre de vie. Elle utilise les symboles pour appuyer le récit classique et chirurgical entre ces deux espaces. C’est une façon de nous amener au dernier plan qui en dit si long… Des petites choses viennent surligner son récit, comme cette infirmière qui parle au jeune homme, le médecin accompagnant les dons d’organes et son chardonneret. En évitant de montrer l’accident, elle choisit la vie qui triomphe dans chaque plan. Depuis Suzanne, elle ne cesse de nous surprendre avec toujours, en fond, la famille et les relations père-fille ou ici mère-fils. Plus qu’un long discours, cette sensibilité nous fait comprendre combien les morts peuvent devenir l’espoir des vivants. Combien cette question épineuse du don d’organes demande réflexion, la réponse est en chacun de nous, comme la vie…
Patrick Van Langhenhoven
Titre : Réparer les vivants
Réalisation : Katell Quillévéré
Scénario : Gilles Taurand, d'après le roman de Maylis de Kerangal Réparer les vivants
Distributeur : Mars Production
Production : Les Films Pelléas, Les Films du Bélier
Co-production : Frakas Production, France 2 Cinéma
Producteur délégué : David Thion, Justin Taurand
Pays : France
Durée : 90 minutes
Sortie : 2 novembre
Distribution
Tahar Rahim : Thomas Remige
Emmanuelle Seigner : Marianne
Kool Shen : Vincent
Anne Dorval : Claire
Alice Taglioni : Anne Guérand
Bouli Lanners : Dr Pierre Révol
Monia Chokri : Jeanne
Karim Leklou : Virgilio Breva
Dominique Blanc : Lucie More
Alice de Lencquesaing : Alice Harfang
Finnegan Oldfield : Maxime
Théo Cholbi : Sam
Gabin Verdet : Simon
Galatéa Bellugi : Juliette
Titouan Alda : Johan
Andranic Manet : Chris
Steve Tientcheu : Hamé Gaye
Irina Muluile : Gisèle