Manuel, petit comptable ordinaire, vient de prendre plusieurs années de prison pour détournement de fonds. Dans le crépuscule du franquisme, sa peine est disproportionnée. Dans sa geôle, il apprend les règles carcérales avec Pino, emprisonné depuis longtemps pour divers délits et qui ne croit plus en rien. L'Espagne est en pleine transition démocratique et la prison n'échappe pas à cette espérance envahissant le pays. La libération d'une première vague de prisonniers politiques laisse entrevoir une amnistie pour tous ces dossiers bâclés et ces peines disproportionnées. Au début, Manuel fait profil bas et se refuse à rejoindre les groupes de gauche en révolte. Il espère bénéficier d'une révision de sa peine. Pino reste dans son silence et ses livres comme un autre prisonnier célèbre avec ses canaris, autrefois à Alcatraz. La mort de leur compagnon de cellule et le peu d'espoir pour Manuel change la donne. Il rejoint les prisonniers réunis dans un mouvement de lutte, la Copel. Il sera rejoint par Pino qui finit par comprendre que l'action est nécessaire. La prison s'enflamme donnant le la à d'autres dans le pays. Manuel et Pino finiront par revenir à des classiques de la grande évasion, déçus par la lutte. Le pays a beau s'enflammer, rien ne semble bouger.
Depuis Groupe d'élite (2011), La Isla mínima (2014), L'homme aux mille visages ( 2016), Alberto Rodríguez continue d'explorer les traumatismes des années franquistes. Il s'appuie assez souvent sur des faits réels pour étayer son discours. Le 14 octobre 1977, le pays vote une loi importante, clé de voûte de la transition démocratique engagée avec la mort de Franco. Il s'agit d'amnistier les opposants politiques au franquisme, condamnés pour des faits antérieurs au 15 décembre 1976. En contrepartie, l'Etat renonce dans le futur aux poursuites contre « les délits commis par des fonctionnaires contre l'exercice des droits des personnes ». Cette loi oublie les procès bâclés de petits délinquants condamnés à des peines supérieures. C'est le cas de Manuel dans le film. Pino est un vieux prisonnier qui espère aussi que l'on révisera son cas.
Alberto Rodríguez s'inspire d'évènements survenus dans la prison de Modelo à Barcelone et dans d'autres à travers le pays. Il situe Prison 77 en Catalogne, un symbole peut-être à notre époque moderne. La transition démocratique et le retour de la royauté portent tous l’espoir d'un peuple. Il sera vite déçu avec le maintien de Carlos Arias Navarro, dernier président de Franco à son poste. Derrière l'aspect politique, Rodriguez développe une mise en scène sombre et mouvementée, en ébullition, du milieu carcéral. Prison 77 rejoint un genre à part entière depuis Démons de la liberté de Jules Dassin (1948), Midnight Express d’Alan Parker (1978) en passant par L’Evadé d’Alcatraz de Don Siegel (1979), La métamorphose des cloportes de Pierre Granier-Deferre, d'après un roman d'Alphonse Boudard (1965), et mon préféré Le prisonnier d'Alcatraz de John Frankenheimer (1962). Mais bien sûr, la liste est bien plus longue. Le cinéaste examine les clans qui se forment à l'intérieur de la prison, le refus des incarcérés politisés de la Copel de s'associer aux caïds du milieu.
Pino reste en dehors des cercles, retranché dans son coin avec ses livres. La première partie nous dévoile un fonctionnement dur et violent hérité des années fascistes. Rien ne change, ni les gardiens, ni les méthodes. Prison 77 devient plus politique dans sa seconde partie. Le lieu clos se transforme en miroir de l'espérance extérieure et de sa déception. La dernière partie s'inspire d'un autre courant, le film d'évasion. On peut voir dans celle-ci une symbolique de l'Espagne d'aujourd'hui, bien plus libre que lors de son passé noir. Elle reste malgré tout encore marquée en profondeur, mais des films comme celui-ci portent le débat sur la place. On aime le soin apporté aux personnages, Miguel Herrán et Javier Gutiérrez en tête mais aussi aux seconds rôles, forts. C'est la même chose pour l'écriture d'un récit aux multiples facettes, alliant le fond au cinéma populaire. Disponible en VOD, Prison 77 a récolté de nombreux prix dans les festivals et méritait largement une sortie en salles.
Patrick Van Langhenhoven
Support vidéo :
Langues Audio :
Sous-titres :
Edition :
Titre original : Modelo 77
Titre français : Prison 77
Réalisation : Alberto Rodríguez
Scénario : Rafael Cobos et Alberto Rodríguez
Direction artistique : Pepe Domínguez del Olmo et Gigia Pellegrini
Costumes : Fernando García
Photographie : Alex Catalán
Montage : José M. G. Moyano
Musique : Julio de la Rosa
Pays d'origine : Espagne
Format : Couleurs - 2,39:1
Genre : thriller
Durée : 125 minutes
Dates de sortie VOD : 25 mai 2023
Distribution Miguel Herrán : Manuel
Javier Gutiérrez Álvarez : Pino
Fernando Tejero : El Marbella
Jesús Carroza : El Negro
Distinctions
Récompenses Goyas 2023 :
Meilleure direction de production
Meilleure direction artistique
Meilleurs costumes
Meilleurs maquillages et coiffures
Meilleurs effets spéciaux
Sélections Festival international du film de Saint-Sébastien 2022 : film d'ouverture (hors compétition)
Reims Polar 2023 : sélection hors compétition
Nominations Feroz 2023 Meilleur film dramatique
Meilleur acteur pour Miguel Herrán
Meilleur acteur dans un second rôle pour Jesús Carroza
Meilleure musique originale
Meilleure bande annonce
Goyas 2023 : Meilleur film
Meilleur réalisateur
Meilleur acteur pour Miguel Herrán et Javier Gutiérrez Álvarez
Meilleur acteur dans un second rôle pour Fernando Tejero et Jesús Carroza
Meilleur scénario original
Meilleur montage
Meilleure musique originale
Meilleure photographie
Meilleur son
Platino 2023 :
Meilleure direction artistique
Meilleur montage