L’histoire commence bien des années plus tôt, au cœur des tranchées de la Première Guerre mondiale. Un jeune fermier perspicace évite le massacre de sa compagnie mais pas celle de son capitaine. Des années plus tard, nous découvrons celui-ci au bord du Nil, au pied des pyramides. Il rencontre par hasard un vieil ami, Bouc. Les deux compères se retrouvent le soir en compagnie de madame mère et de Linnet, une riche héritière de Sa Majesté. Elle doit épouser l’ancien petit ami d’une de ses meilleures camarades de classe, Jacqueline. Cette dernière harcelle le couple, refusant le coup du destin. Pour fuir l’excessive Jacqueline, le jeune couple embarque en compagnie de ses invités pour une croisière sur le Nil. Il engage Hercule Poirot pour veiller sur leurs vies. Tout est en place pour une nouvelle enquête à laquelle ne manque plus que le cadavre. Ce dernier ne devrait pas tarder à apparaître, premier d’une longue liste. C’est un nouveau mystère que devra résoudre notre détective du huis clos. Cette fois, l’imperturbable, l’arrogant, le peu sympathique moustachu, comme le dit Roselyne, y laissera quelques plumes. On compte sur ses petites cellules grises pour dévoiler un plan diabolique.
Après Le Crime de l’Orient Express (1934), la Fox décide d’adapter l’un des trois romans les plus aboutis des enquêtes du célèbre petit Belge, Mort sur le Nil (1937). On peut penser que le troisième sera Le Meurtre de Roger Ackroyd (1927) et pourquoi pas, la suite des quarante enquêtes. Le roman connaît de nombreuses adaptations en téléfilm, radio, pièce de théâtre dès sa parution. On se souvient de la version de John Guillermin en 1978 avec Peter Ustinov dans le rôle de Poirot. Agatha Christie combine ses souvenirs personnels et fictionnels pour ce huis clos sur un bateau descendant le Nil. Elle écrit d’abord une nouvelle avec Parker Pyne comme personnage principal. Elle pense à une pièce de théâtre. Ce n’est que bien plus tard que lui vient l’idée du roman. Au début, il devait intégrer Miss Marple au côté d’Hercule Poirot.
« C’est plus compliqué que ça. Elle était reine en son royaume. J’étais la lune. Quand le soleil est apparu, Simon a été ébloui. Il ne me voyait plus, il ne voyait que le soleil… Linnet » (p. 77).
Kenneth Branagh, homme de théâtre, construit une tragédie, un conte propre à l’ambiance du roman de la vieille dame. Il reconstruit, en parallèle, le personnage d’Hercule Poirot à travers ses souvenirs glanés sans doute à travers les romans. C’est donc une ouverture sur le terrain de la guerre des tranchées de 14-18, qui nous permet de mieux connaître la construction du personnage. L’amour est la toile de fond de Mort sur le Nil. C’est d’abord celui d’Hercule Poirot et les raisons de son célibat. C’est un sentiment dévastateur, capable de provoquer le sacrifice d’une vie, à l’origine de la plus terrible des jalousies ou de la romance la plus belle. Il emprunte à la fois à la tragédie grecque antique et au théâtre de Shakespeare pour marquer ce deuxième récit. Le fleuve joue un rôle important, comme dans le roman, comme le blues, musique des blessures amoureuses.
« Le paysage tout entier respirait la mélancolie et dégageait une manière de voir quasi maléfique. » (p. 101).
C’est d’abord une galerie de personnages qui se dévoile, amis, invités, galerie de la bonne société anglaise. Simon et Jacqueline n’appartiennent pas à celle-ci. Dans cette valse des personnalités, pour l’instant sans crime, n’existe que des assassins potentiels. L’intrigue appartient à un genre particulier le Whodunit, traduisez par « qui l’a fait ? » dont Agatha Christie est la reine. Le public connaît la victime et le jeu consiste à découvrir les indices menant au coupable. Pour la première fois, c’est une longue mise en bouche jouant sur l’ambiance, les décors d’eau et de sable. Quelques figures rappellent la tragédie antique, Antoine et Cléopâtre par exemple. Au passage, elles font la découverte d’Abou Simbel. Le crime arrive sur le tard. Les protagonistes font tous figures de coupables. Le spectateur se demande qui sera le bras armé de la faucheuse.
« Je suis détective, dit Poirot de l’air modeste dont on déclare : “Je suis roi”. »
Une fois que tout est en place, le corps du délit fait son apparition fracassante par une nuit sombre, comme il se doit. Commence le jeu du chat de la souris avec un Hercule Poirot arrogant et sûr de lui. Les vitres reflètent le monde extérieur et l’intérieur des pièces, emprisonnant les personnages dans un sarcophage de verre. La mort rôde et guette le pas de chacun jusqu’au dénouement final. Le petit détective n’est plus à son affaire. La valse des cadavres semble allez plus vite que ses déductions. L’ombre du passé pèse sur cette tragédie qui se termine avec des allures de Roméo et Juliette du crime. C’est avec plaisir que nous suivons de nouveau notre héros dans une version plus sombre, voire mélancolique. Il reste une image aux apparences de Technicolor, particulière, qui sur le début rappelle le poids du passé dans le bon sens. Elle peut déranger sur la suite du récit. C’est un jeu des espaces à la fois immenses aux horizons butant sur la pierre des temples, des forêts bordant le fleuve. C’est ensuite un jeu des gros plans se resserrant sur l’intime. C’est une belle adaptation qui se permet quelques libertés plutôt bien choisies. Elle appelle une nouvelle enquête de notre petit Belge, comme un rendez-vous avec le crime pour faire fonctionner nos petites cellules grises.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Death on the Nile
Titre français : Mort sur le Nil
Réalisation : Kenneth Branagh
Scénario : Michael Green , d'après le roman homonyme Mort sur le Nil d'Agatha Christie
Direction artistique : Dominic Masters
Décors : Jim Clay
Costumes : Paco Delgado
Photographie : Haris Zambarloukos
Musique : Patrick Doyle
Production : Kenneth Branagh, Mark Gordon, Judy Hofflund, Simon Kinberg, Ridley Scott et Kevin J. Walsh
Production déléguée : Matthew Jenkins
Sociétés de production : 20th Century Studios et Scott Free Productions
Société de distribution : Walt Disney Studios Motion Pictures
Budget : 90 millions $
Pays de production : États-Unis
Langue originale : anglais
Format : couleur — 2,35:1
Genre : thriller, policier
Durée : 127 minutes
Dates de sortie : 9 février 2022
Distribution
Kenneth Branagh (VF : Renaud Marx ; VQ : François Trudel) : Hercule Poirot
Gal Gadot (VF : Ingrid Donnadieu ; VQ : Lynda Thalie) : Linnet Ridgeway
Tom Bateman (VF : Damien Ferrette ; VQ : François-Simon Poirier) : M. Bouc
Annette Bening (VF : Pauline Larrieu ; VQ : Claudine Chatel) : Euphemia Bouc
Russell Brand (VF : Anatole de Bodinat) : Dr Windlesham
Ali Fazal (VF : Marc Maurille ; VQ : Nicolas Charbonneaux-Collombet) : Andrew Katchadouriaan
Dawn French (VQ : Michèle Lituac) : Mme Bowers
Armie Hammer (VF : Valentin Merlet ; VQ : Alexandre Fortin) : Simon Doyle
Rose Leslie (VF : Karine Foviau ; VQ : Mylène Mackay) : Louise Bourget
Emma Mackey (VF : Zina Khakhoulia ; VQ : Anne Sarah Parent) : Jacqueline de Bellefort
Sophie Okonedo (VF : Virginie Emane ; VQ : Anne Dorval) : Salome Otterbourne
Jennifer Saunders (VQ : Marie-Andrée Corneille) : Marie Van Schuyler
Letitia Wright (VF : Aurélie Konaté ; VQ : Catherine Brunet) : Rosalie Otterbourne