Le petit homme insignifiant regarde à sa fenêtre. Il observe le monde à travers les carreaux d’un modeste appartement. La ville bruisse du crime abject, de la mort incorrecte qu’affichent les journaux. Le petit homme observe la jeune fille qui vit en face, comme un entomologiste un coléoptère rare. La jeune fille, Alice, se joue de ce regard derrière le miroir, de cet observateur entrevu à la lueur d’un éclair. Elle le force à sortir de son terrier pour de brèves rencontres partagées. Elle l’envoute dans un jeu du chat et de la souris. Qui se joue du sentiment amoureux pour pousser l’autre dans un coin sombre de notre histoire ? L’inspecteur fouineur ne connaît rien de ce jeu. Il traque un coupable que le silence de monsieur Hire et le hasard lui servent sur un plateau. Dans cette partie d’échecs des sentiments, c’est bien plus qu’un coupable qui se joue de l’échec et mat.
Patrice Leconte souhaitait réaliser un remake du film de Julien Duvivier Panique (1946) adapté d’un roman de Georges Simenon avec Michel Simon et Viviane Romance. Il voulait Coluche dans le rôle de Monsieur Hire. C’est Michel Blanc, peu habitué au drame à l’époque, qui accepte. Il nous livre le portrait d’un homme amoureux jusqu’au sacrifice. En relisant le roman Les fiançailles de Mr Hire, Patrice Leconte choisit un autre point de vue. Il réalise un film noir poétique, préférant le point de vue de Monsieur Hire à celui, plus traditionnel, de l’enquêteur. Derrière la trame policière, c’est un roman d’amour qui se cache et se dévoile avec le réalisateur. Le clin d’œil à Alice n’est pas innocent. Elle entraine Monsieur Hire dans un autre monde, fait de silence et d’adoration. Michel Blanc donne tout le trouble du personnage dans un jeu minimaliste touchant à l’essentiel, loin de ses rôles de comique.
La mise en scène stylisée frôle la réalité pour parfois basculer dans un autre monde. Elle s’appuie à la fois sur ce personnage, prisonnier derrière sa fenêtre, d’un amour indicible. Prisonnier dans son âme, il n’ose avouer sa passion à la fille d’en face. Sandrine Bonnaire refuse dans un premier temps le rôle qu’elle finit par accepter. C’est à un jeu des apparences que se livrent Monsieur Hire et Alice. Chacun porte en lui une part de mystère et des raisons qu’ils livreront peu à peu au spectateur. La ville est intemporelle. On ne peut la situer ni lui donner un nom, ce qui renforce l’idée d’Alice au pays des merveilles. Cette histoire n’est peut-être qu’un rêve, un cauchemar. Ce personnage, fade au départ, prend des couleurs et Alice, la gentille jeune fille, se montre plus sombre, plus manipulatrice.
On retrouve tout le jeu naturel de l’actrice de Sans toi ni loi d’Agnès Varda. Monsieur Hire ne se joue pas dans une enquête cherchant son coupable à n’importe quel prix mais dans les rapports entre les personnages. À sa sortie, sélectionné à Cannes en 1989, il est un succès public, mais reçoit un mauvais accueil de la critique. La version de Patrice Leconte place en avant l’aspect du roman noir dans l’œuvre de George Simenon et nous livre une autre facette du réalisateur. La critique attendait sans doute un policier classique et se trouve décontenancée avec ce choix.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus : Entretiens exclusifs autour du film
Titre : Monsieur Hire
Réalisateur : Patrice Leconte
Scénario : Patrice Leconte et Patrick Dewolf, d'après le roman Les Fiançailles de M. Hire de Georges Simenon
Assistant réalisateur : Étienne Dhaene
Musique : Michael Nyman
Costumes : Elisabeth Tavernier
Photographie : Denis Lenoir
Montage : Joëlle Hache
Production : Philippe Carcassonne, René Cleitman
Langue : français
Genre : drame, policier
Sortie en salle : 24 mai 1989, festival de Cannes
Sortie vidéo : 4 octobre 2020
Distribution
Michel Blanc : Monsieur Hire
Sandrine Bonnaire : Alice
Luc Thuillier : Emile
André Wilms : L'inspecteur de police
Eric Bérenger : Le gérant du bowling
Marielle Berthon : Pierrette Bourgeois
Philippe Dormoy : François
Marie Gaydu : La jeune fille du massage
Michel Morano : Le chauffeur de taxi
Nora Noël : La gardienne
Cristiana Reali : L'adolescente au bowling
Bernard Soufflet : Le tatoueur
André Bauduin : Le consommateur de crêpes
Rozeen Landrevie : La petite fille au bouquet
Francis Baudet : Le locataire sur le palier
Récompenses et distinctions
En compétition au Festival de Cannes 1989.
Prix Méliès 1989
César 1990 :
César du meilleur son : Dominique Hennequin et Pierre Lenoir.
Sept nominations : meilleur acteur, meilleure actrice, meilleur réalisateur, meilleur montage, meilleur film, meilleure musique, meilleure affiche