Frédi (Grégory Gadebois) vit un peu en marge. Il habite un mobile home, enchaîne les petits boulots, rend visite à son père (Jean-Pierre Darroussin) dont le quotidien n’est que néant depuis le décès de son épouse. Avant de mourir, la mère de Frédi lui a transmis son don de guérisseuse mais il rejette à toute force ce pouvoir qui réside dans ses mains et dont il ne sait quoi faire. Pour oublier tout ça, et les déceptions de cœur, Frédi aime s’accouder au zinc des bars et empoigner le guidon de sa moto. Un soir, c’est l’accident. Trop de vitesse, un chien qui traverse la route, un enfant renversé en pleine course. Frédi tâtonne au jour le jour, tente d’avancer avec l’image de ce gamin entre la vie et la mort, à l’hôpital. Il se souvient qu’il a des mains et que, peut-être, ces mains peuvent soulager la souffrance d’autrui. Son père le met en garde : « Tu ne réveilleras pas les morts. »
Après Aide-toi, le ciel t’aidera, François Dupeyron revient au cinéma, et si l’on excepte le calamiteux Trésor (comédie de 2009 avec Mathilde Seigner et Alain Chabat) qu’il avait accepté de terminer suite à la mort prématuré de Claude Berri, cela faisait cinq ans que le réalisateur des célèbres Drôle d’endroit pour une rencontre et La Chambre des officiers n’avait rien sorti au cinéma. Les difficultés rencontrées pour Mon âme par toi guérie (projet qui date d’une dizaine d’années d’après son roman Chacun pour soi, Dieu s’en fout) ont contraint le réalisateur à s’exprimer sur les dérives du financement des longs-métrages en France ; le réalisateur ne s’est pas vu accorder la confiance des chaînes de télévision et de nombreux producteurs. La polémique, loin d’être nouvelle, a néanmoins le mérite de mettre en lumière la question de l’uniformité des films et de la difficulté de certains réalisateurs à pouvoir affirmer une vraie liberté de ton. François Dupeyron, dont le premier film remonte à 1988 et qui a entre-temps rencontré quelques succès publics mais aussi essuyé des revers, semble se revendiquer de ceux-là. Pour le prouver, il n’hésite pas à rappeler ses partis-pris formels et invoquer l’étrangeté qui parcourt son dernier film pour fustiger l’excessive prudence des chaînes de télévision à s’engager financièrement dans ses projets. S’il fait peu de doute que les mastodontes de l’audiovisuel préfèrent l’académisme à l’expérimental, on peut néanmoins émettre quelques réserves à dire du cinéma de François Dupeyron qu’il ose au point de bouleverser les codes qui rassurent le grand public ou le comparer aux révolutionnaire du Septième Art.
Certes, le thème qui parcourt Mon âme par toi guérie n’est pas des plus consensuels. Frédi, la trentaine déjà usée, refuse d’utiliser un don qu’il a hérité de sa mère récemment décédée : celui de pouvoir guérir avec ses seules mains les blessures physiques et les maladies. Son acceptation progressive de ce don ouvre évidemment une autre porte : celle de guérir les âmes en peine. L’altérité, l’empathie et le don de soi comme synonymes du retour à la vie ? L’idée n’est pas nouvelle et est ici trop lourdement amenée, d’autant plus que le film justifie ce glissement progressif par un drame initial (l’accident de moto) qui enferme Fredie dans une insoutenable culpabilité. Sont-ce donc le choix du sujet et les choix esthétiques qui en découlent (caméra portée, fortes contre-plongées, sur exposition au soleil, scènes d’hallucination tournées en noir et blanc) qui donneraient à Mon âme par toi guérie son statut d’œuvre trop audacieuse pour obtenir les financements nécessaires ?
C’est d’autant plus dommage qu’il ne faut pas aller bien loin pour voir que les difficultés liées au montage de Mon âme par toi guérie ne découlent probablement pas seulement d’un manque de moyens financiers, mais plutôt dans la qualité même du projet. Avec la lourdeur et la quête d’un symbolisme excessif, François Dupeyron semble chercher une stylisation dans le seul but de se démarquer, sans souci de sa cohérence ni de justification. Le scénario, assez mal écrit, multiplie les situations croisées jusqu’à perdre son fil conducteur. La détresse de certaines scènes est constamment surlignée par des dialogues qui explicitent tout et privent le film d’un mystère qui devait pourtant lui être propre. Face à ce remplissage foutraque, il est donc bien compliqué de reconnaître à François Dupeyron l’audace de parier sur l’effort du spectateur pour venir jusqu’à son œuvre. Mon âme par toi guérie se perd complètement en cours de route, la faute peut être à un scénario mal fichu et des partis pris esthétiques peu convaincants.
Grégory Germanais