Greta Gerwig court avec Modern Love de Bowie, dans un superbe noir et blanc et une fouge adolescente. Cette scène ne dépassait pas l’hommage criant au chanteur britannique et une variation mineure de Carax et son inoubliable scène de Mauvais Sang. Elle déployait néanmoins la candeur de la jeune femme, dans Frances Ha, l’une des réussites de Noah Baumbach, tant esthétique que narrative où les tâtonnements mélancoliques et féminins du personnage touchaient. Réunis à nouveau, à l’affiche et au scénario, le dynamisme surgit cette fois de synthés rétros et d’un générique où les lettres prennent des couleurs et s’étirent jusque dans le début du récit. Hélas, la lumière ne viendra que des lettres et non de l’écriture du film.
Une adolescente, jouée par Lola Kirke, traine son insipide quotidien électrisé uniquement par la musique et la littérature dans son Barnard College hanté par les filles. Mistress America respire par son cadre la comédie américaine aux vapeurs indépendantes. En une scène Noah Baumbach donne au film son ton et à ses personnages leurs identités. L’arrivée de Greta Gerwig, Brooke, en tornade, fait son effet : avec maladresse, en haut d’un tapis rouge, elle les descend pour se mettre au niveau de l’adolescente vacillante, Tracy. Elle déroule le tapis simultanément au récit, basé autour de cette relation. La force du personnage de Brooke permet à ce duo de rapidement se développer. Trop rapidement, sans que le spectateur n’ait le temps d’entrer dans l’intrigue, dans leur complicité, qui de fait n’en semble pas une. Pour sortir de sa monotonie et des ses échecs littéraire et sentimentaux, Tracy appelle donc cette fameuse Brooke, la fille de son futur beau-père. Pleine de confiance apparente, elle va lui apporter la supposée vitalité que l’étudiante recherchait. L’une et l’autre n’attendent pas la même chose : l’admiration, leitmotiv commun, parsème et le sujet de la nouvelle écrite par la plus jeune et le roman d’apprentissage déployé par la trentenaire.
Tout au long de cette oeuvre souffle un air tant déjanté que classique. La fougue de Gerwig colle à un personnage volontairement égocentrique et fiévreux. Parfaite icône de la trentenaire branchée, trainant autant de projets que d’échecs - son idée de restaurant semble s’ajouter à cette longue liste. Personnage complexe et travaillé, dans un rôle maniéré à l’inspiration des plus grandes actrices de ces comédies telle Hepburn, elle se comprend dans une ambivalence lassante : sur-occupée mais présente pour Tracy, lovée par tous mais seule, aux capacités multiples mais qui ne sait pas se gérer… Peut-être toute l’ambivalence de la contemporanéité, mais le film n’est pas autant ambitieux. L’ambivalence est la clé d’un personnage que l’on comprend tout aussi vite qu'il nous paraît insupportable. Le film se contente de se fixer sur cette relation naissante, à un instant clé de la vie des personnes.
Le jeune Tony, en qui Tracy place son désespoir amoureux, lui lance : « On se croirait dans un clip. » Finalement oui, on se croirait dans un clip, où l’inspiration somnole quelques peu. Le format rappelle au mieux une série new-yorkaise stylisée. Le film semble passé à côté de son propos, en se centrant sur l’énergie de Gerwig et la jeunesse pas si naïve de Tracy. Pourtant les personnages secondaires, intéressants bien qu’avec des traits grossis, ne servent que de hors-d’oeuvre au développement de cette pseudo-intrigue prévisible. Mistress America file alors comme le temps sur Brooke, trop léger, un brin aigre et partiellement drôle, moins proche que souhaité des Woody Allen et autres comédies screwball…Le ton tranchant et la complémentarité des deux filles amènent un joli contraste, quand en quête d’une solution au problème de Brooke, Tracy récolte les conséquences.
L’éveil du désir chez la jeune Tracy reste ce que Baumbach réussi le plus sensiblement à capter, avec dans son sac les maux d’une jeunesse oubliant l’essentiel. Brooke représente la vie, ce que cette dernière pourrait aimer être et en même temps un modèle à ne pas reproduire. L’écriture qu’elle manie devient celle de la vie et Brooke un parfait sujet, en incarnation de ce rêve triste désiré par l’adolescente et alors avouons-le touchante - un gage de succès ?. La maturité de Tracy lui permet un rejet de cela et aboutit dans la maison de Dylan. Dans la maison (2012, d’Ozon) justement, dans un tout autre genre, créait ce désir d'où advenait une perversité, bougeant les frontières du réel, accordant une place diégétique à l’acte de l’écriture, ici trop de côté et sans réel influence. Le manque de Mistress America se situe là-dedans. Baumbach enchaine un deuxième film en moins d'un an.
Le défaut du film de constamment suivre la course engagée par Greta Gerwig quelques années auparavant avec Frances Ha, de courir après un idéal, un genre et des références. Cette fois, c’est Mistress America qui court avec Gerwig, et non plus elle avec Bowie. On attend qu'ils se posent, dans la maison ou ailleurs. Le huis-clos burlesque de cette scène de dénouement a tendance à rehausser le propos, lui donner enfin un soupçon tardif et hâtif de contenance. Quand le duo Baumbach-Gerwig se décide à stopper sa fuite, le film décolle enfin. Ça sera peut-être pour le prochain.
Clément SIMON
Titre : Mistress America
Réalisation : Noah Baumbach
Scénario : Noah Baumbach et Greta Gerwig
Musique : Britta Phillips, Dean Wareham et George Drakoulias
Montage : Jennifer Lane
Photographie : Sam Levy
Costumes : Sarah Mae Burton
Décors : Sarah Mae Burton
Producteur : Rodrigo Teixeira, Lila Yacoub, Noah Baumbach, Scott Rudin et Greta Gerwig
Producteur délégué : Sophie Mas et Lourenco Sant'Anna
Coproducteur : Oscar Boyson
Producteur associé : Brendan McHugh
Production : RT Features
Distribution : Fox Searchlight Pictures
Pays d'origine : États-Unis
Durée : 84 minutes
Genre : Comédie
Dates de sortie : 6 janvier 2016
Distribution
Greta Gerwig : Brooke
Lola Kirke : Tracy
Matthew Shear : Tony
Heather Lind : Mamie-Claire
Michael Chernus : Dylan
Cindy Cheung : Karen
Kathryn Erbe : la mère de Tracy
Jasmine Cephas Jones : Nicolette
Juliet Brett : la fille mince