Notre histoire s’ouvre sur une route perdue, au cœur de la campagne italienne. Un homme en robe de bure, seul sur une route sinueuse, soliloque. Il croise dans cette campagne majestueuse un paysan trainant une carriole tirée par deux bœufs. Splendeur et misère du monde ouvrent un récit sur l’inachevé, le divin, la création artistique, le blanc du marbre face au noir de la misère. Michel-Ange vient d’achever le plafond de la chapelle Sixtine. Le pape Jules II admire le travail de l’artiste et lui commande un magnifique tombeau. Bientôt le Pape meurt, laissant la place à son ennemi, Léon X, de la famille des Médicis. Michel-Ange se retrouve pris dans la lutte entre les deux familles, entre un tombeau à achever et la façade de la basilique San Lorenzo. Il est conscient de son immense talent et de la révolution qu’il apporte à ses contemporains. Dans son idée de la perfection, il n’accepte pas la demi-mesure comme les autres artistes de l’époque. Il raille parfois leur manque de talent. Il dit à Sansovino « Tu n’as jamais réussi à finir quoi que ce soit ». Pour l’instant, son attention se porte sur le monstre, un bloc de marbre éveillant déjà dans son imaginaire une œuvre gigantesque à venir. Comment concilier l’argent et les désirs des Grands quand on est habité par l’art touchant au divin ?
On peut presque voir dans Michel-Ange un parallèle entre l’art, l’argent et le pouvoir avec la carrière d’Andreï Kontchalovski. Ce dernier, réalisateur monstre, passe du blockbuster au film intimiste, fouillant l’âme humaine, à chaque fois sans concession. Il nous propose, dans les pas du Métier des armes d’Olmi, une Renaissance plus proche de la vérité, entre ténèbres et lumière. C’est la quête du divin, de la pureté, de la perfection, poussant sans cesse Michel-Ange à l’inachevé. C’est aussi cette dernière thématique qui revient comme un leitmotiv, avec cette route de campagne de la séquence d’ouverture. Il aborde la manière dont l’art peut se concilier, se réconcilier avec les Grands de ce monde et l’argent. Le bloc de marbre monstrueux est à l’image de Michel-Ange dans sa façon de concevoir l’art comme un dépassement, titanesque, pour toucher au divin. C’est un bloc blanc que la main de l’artiste magnifie et transformera peu à peu dans la sueur et l’effort.
C’est ce divin encensé, sublimé par le créateur, maitre de son art, dans une quête de la perfection ultime. Elle ne sera jamais atteinte car c’est peut-être Dieu qu’elle souhaite embrasser, enlacer. C’est l’homme tiraillé dans son humanité, sa quête d’un paradis, menacé par l’enfer. Une main de sorcière surgit du néant, des chiens aux couleurs des démons dévorant l’âme et la chair de Michel-Ange, imaginaire, folie et réalité se confondent. C’est peut-être une métaphore de cet art qui le dévore de l’intérieur pour exploser au plafond des chapelles, sur les façades, le tombeau d’un pape. L’art, la création deviennent une toile de fond en quête de sa naissance, Renaissance, au cœur de la lutte du pouvoir et des idées nouvelles d’un Savonarole. Michel-Ange est aux portes de la folie, exécrable avec ses concurrents, copieurs et pisse-copie de l’inachevé à l’image de Sansovino.
C’est la trahison, la solitude de l’artiste dans un monde aux plafonds divins contrebalancés par des rues pleines de merde. C’est cette Renaissance annonçant sur sa fin, le siècle des Lumières, après les guerres de religion que dévoile Andreï Kontchalovski. Elle se coule entre la misère du peuple, la splendeur des nobles familles en quête de puissance et du beau. Michel-Ange n’est pas cette figure angélique, mais plus ressemblante à son portrait peint par Daniel de Volterra. L’acteur Alberto Testone, remarquable, des siècles plus tard en est la fidèle copie. Le beau, c’est cet ange au chevet du pape Jules II, Raphaël, à l’image de sa peinture, que moque Michel-Ange. Le Michel-Ange d’Andreï Kontchalovski touche au vrai, nous rappelle une époque, une quête de l’impossible.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Il peccato
Titre français : Michel-Ange
Réalisation : Andreï Kontchalovski
Scénario : Elena Kiseleva et Andreï Kontchalovski
Direction artistique : Maurizio Sabatini
Costumes : Dmitri Andreev
Photographie : Alexandre Simonov
Montage : Karolina Maciejewska et Sergueï Taraskine
Musique : Edouard Artemiev
Pays d'origine : Russie - Italie
Format : Couleurs - 35 mm
Genre : biographie, drame, historique
Durée : 134 minutes
Dates de sortie : 27 octobre 2019 (Festival international du film de Rome), 21 octobre 2020
Distribution
Alberto Testone : Michel-Ange
Yuliya Vysotskaya : dame à l'hermine
Riccardo Landi : Al Farab
Jakob Diehl : Peppe
Antonio Gargiulo : François Marie Ier della Rovere
Nicola Adobati : Laurent II de Médicis
Massimo De Francovich : le pape Jules II
Simone Toffanin : le pape Léon X
Nicola De Paola : le cardinal Jules de Médicis
Adriano Chiaramida : Ludovico Buonarroti
Glen Blackhall : Raphael
Federico Vanni : Jacopo Sansovino
Toni Pandolfo : Dante