Joe partit soldat en France pendant le conflit de 14/18 et il en revint hors-la-loi. Il voulait la liberté, plus aucune contrainte pour guider sa vie. Son frère, ancienne figure de la police de Boston, était resté là-bas dans les champs de ruines et son père restait la grande figure autoritaire. Il ne suivrait pas la voie de ses ainés, mais emprunterait celle de Jessie James ou de Butch Cassidy et du Kid. Petit pilleur de banques, il est rapidement remarqué par les mafias irlandaise et italienne. Il refuse de choisir entre charybde et scylla et préfère rester un loup sans collier. Il commet juste l’erreur d’en pincer pour Emma, la belle du Caïd local, Albert White.
Il est difficile de ne pas s’impliquer dans la guerre des gangs entre Italiens et Irlandais quand on aime, et que la vengeance coule dans vos veines. Pas de pot, quand son père est commissaire, on doit faire attention où le vent nous mène. La ville devient chaude pour lui après trois ans de tôle et la mort de sa petite amie. Il n’y a pas que le cœur qui en pâtit. Il était prêt pour l’heure de la vengeance et du pacte impossible avec la mafia italienne. Pour cela il devait s’exiler en Floride où une nouvelle vie l’attendait. Tampa, la ville du cigare où Albert imaginait se la couler douce loin des foudres de la vengeance. Quand le cœur saigne encore, il faut plus d’un fleuve pour l’éteindre. Joe développe son petit boulot et fait fructifier les affaires de Mazo et grimpe dans la hiérarchie.
Il y a juste une bande de consanguins, comme il dit, qui a les yeux plus gros que le ventre avec un petit gars du clan poussé par le parrain irlandais qui planque en embuscade. Il se verrait bien le capo tutti di capi (le chef des chefs). La guerre contre le clan est une évidence. Qui en sortira vainqueur ? Italiens, Irlandais ou K.K.K ? Les emmerdes ne viennent jamais seuls, et le projet de casino et de légalisation des jeux rencontre d’autres problèmes. Porté par la foi, le petit grain de sable est une ancienne pécheresse devenue prêcheuse. Les voies du seigneur étant impénétrables et un plus gros morceau que le Klan, le différend ne se règle pas à coup de fusil. Il faudra un miracle comme la libéralisation de l’alcool pour renverser peut-être la donne.
Après Gone Baby Gone, Ben Affleck adapte le deuxième roman de la nouvelle trilogie de Dennis Lehane, Ils vivent la nuit. De l’œuvre originale, roman noir sur fond de romance, il tire un film classique de mafia en endossant le rôle de Joe. Originaire, comme le romancier, de la ville de Boston, celle-ci ne pouvait que l’attirer. Il développe toute l’intrigue de cet homme plongé dans une guerre de gangs qu’il ne peut éviter, prisonnier de son amour et de son goût pour la liberté. Joe se voulait libre, au-dessus des lois et de la pègre, mais très vite il n’échappe pas à son destin. Il n’échappe pas non plus aux figures de son père et de son frère Danny, héros de la police de Boston. Dennis Lehane développe la figure de Danny dans le premier volume de sa trilogie Un pays à l’aube.
C’est aussi un regard sur deux voies, celle de l’ordre et la loi et celle de la liberté à l’issue de la Première Guerre mondiale. Les deux romans jettent un regard sur ce pays à l’aube d’une ère nouvelle, quand la prohibition prendra fin. Après les mouvements syndicalistes et le racisme, il explore dans Ils vivent la nuit les problèmes de racisme, les gangsters, et la liberté d’agir. Joe ne peut rester longtemps hors du système à un moment ou l’autre, celui-ci finit par le rattraper. Le réalisateur soulève de nombreuses questions, sommes-nous responsables des actes des autres, de leurs mauvais penchants les conduisant au sombre tombeau ?
Comme le dit sa femme, Joseph devra bien un jour ou l’autre devenir un homme cruel s’il veut garder sa place dans ce monde de violence. Il ne peut éviter de basculer dans les ombres de la nuit et de la violence. L’histoire s’achève par une dernière confrontation et seuls le sang et la mort en sortent vainqueurs. Un règne s’achève pour un homme et un autre commence. Est-ce que l’on ne fait pas parfois de nos romances des illusions, des contes pour endormir les enfants le soir ? Il est dommage que l’aspect roman noir se perde dans une trame plus classique. Tout le conflit autour de la figure paternelle et du frère sont passés assez rapidement. Nous sentons bien en fond l’âme noire d’un pays qui lutte avec ses démons, l’alcool, la foi excessive, le Klan, et l’économie qui commence à effacer l’idéologie des pères fondateurs.
Joe est peut être une métaphore de l’Amérique d’avant-guerre qui ne peut échapper à son destin. Le film démarre plutôt bien avec ses images d’archives sur la guerre expliquant le choix de ne plus subir les ordres. Il manque le regard sombre de Dennis Lehane qu’avait su saisi Ben Affleck dans sa première adaptation Gone Baby Gone. À son avantage, reste une belle performance de reconstitution historique, mais il ne bouscule pas le genre. On prend plaisir à ce voyage maitrisé. La romance ne plombe pas le récit, au contraire, elle aide à soulever les points d’interrogation.
Patrick Van Langhenhoven
• Titre original et français : Live By Night
• Titre québécois : Ils vivent la nuit
• Réalisation : Ben Affleck
• Scénario : Ben Affleck, d'après Ils vivent la nuit (Live By Night) de Dennis Lehane
• Direction artistique : Christa Munro
• Décors : Jess Gonchor
• Costumes : Jacqueline West
• Photographie : Robert Richardson
• Montage : William Goldenberg
• Musique : Harry Gregson-Williams
• Production : Ben Affleck, Leonardo DiCaprio, Jennifer Davisson Killoran et Jennifer Todd
Producteurs délégués : Chris Brigham et Chay Carter
• Sociétés de production : Appian Way, Pearl Street Films et Warner Bros.
• Sociétés de distribution : Warner Bros. (États-Unis), Warner Bros. France (France)
• Pays d'origine : États-Unis
• Langue originale : anglais
• Budget : 65 millions de dollars
• Format : couleur - 2.35:1 - numérique
• Genre : thriller, policier
• Durée : 128 minutes
• Dates de sortie : 18 janvier 2017 avec avertissement
Distribution
• Ben Affleck (VF : Boris Rehlinger ; VQ : Pierre Auger) : Joe Coughlin
• Elle Fanning : Loretta Figgis
• Brendan Gleeson (VF : Patrick Béthune ; VQ : Sylvain Hétu) : Thomas Coughlin
• Robert Glenister (VF : Philippe Peythieu) : Albert White
• Chris Messina (VF : Laurent Morteau) : Dion Bartolo
• Sienna Miller (VF : Céline Mauge ; VQ : Catherine Proulx-Lemay) : Emma Gould
• Miguel : Esteban Suarez
• Zoe Saldana : Graciella Suarez
• Chris Cooper (VQ : Sébastien Dhavernas) : chef Irving Figgis
• Titus Welliver : Tim Hickey
• Max Casella : Digger Pescatore
• J. D. Evermore (VF : Loïc Houdré) : Virgil Beauregard
• Clark Gregg (VF : Emmanuel Lemire) : Calvin Bondurant
• Anthony Michael Hall (VF : Pascal Germain) : Gary Smith
• Matthew Maher (VF : Patrice Dozier) : Pruitt
• Chris Sullivan (VF : Jean-Jacques Nervest) : Brendan Loomis
• Derek Mears : Donnie Gishler
• Anthony Palermo (VF : Nicolas Justamon) : Fausto Scarfone