Il aura fallu trente ans à François Cardinaud pour devenir l’un des hommes les plus importants du port de La Rochelle. L’ancien débardeur grimpe les échelons et devient armateur, mareyeur. À la criée, tous craignent son efficacité sans faille. Il a épousé Marthe, une jeune fille issue comme lui des quartiers pauvres. On accepte François par la force des choses, mais Marthe a encore du mal avec ce milieu bourgeois. Entre ses domestiques et les pièces sans vie d’une grande maison, elle peine à trouver sa place. Un dimanche après la messe, François rentre avec son fils et Marthe n’est pas là pour les accueillir. Très vite la nouvelle fait le tour du port. Il est cocu. François se lance dans une quête qui le mènera, bien au-delà de lui-même, à remettre en question tout ce qu’il a construit. Pendant ce temps, Marthe pense trouver dans les bras de son amour de jeunesse, Mimile, la tendresse qu’elle n’avait plus. Dans l’ombre, le capitaine Drouin cherche le mauvais garçon pour lui faire la peau. Il compte bien entrainer son ami, le fils Cardinaud, dans sa vengeance. Ce dernier est-il prêt à perdre trente ans en une journée ?
Grangier, Gabin et Audiard, un an après Gas-oil, se retrouvent de nouveau autour de l’adaptation d’un roman de Simenon sans Maigret, Le fils Cardinaud. C’est le quatrième film sur les douze que Jean Gabin tourne avec le réalisateur. C’est l’occasion de découvrir la dentelle des dialogues d’Audiard, loin de l’argot des Tontons flingueurs. La dernière séquence entre Gabin et Monique Mélinand est un petit bijou. Il renverse les codes avec cet homme avouant qu’il a oublié sa femme dans cette ascension. Comme lui dit son père, une histoire d’amour c’est une partie de cartes qui se joue à deux. Gilles Grangier propose une fin différente du roman de Simenon, beaucoup plus sombre. Il dévoile tout son talent, loin des comédies et des films plus populaires qui marquèrent mes jeunes années.
La nouvelle Vague et Truffaut en particulier considéraient le réalisateur comme un tâcheron, le digne représentant du cinéma de papa. Le Sang à la tête, selon Truffaut, allie laideur, platitude, banalité, paresse et pauvreté d’imagination… La nouvelle vague souhaite briser ce cinéma de studio pour l’extérieur et plus de réalité. Des années plus tard, force est de reconnaître qu’il se trompe. « Le sang à la tête, dans la lignée de Jacques Becker, est un film à l’atmosphère réaliste décrivant les milieux ouvrier et bourgeois, hypocrites, sans la noirceur d’un Duvivier, d’un Autant-Lara ou d’un Allégret » nous dit Bertrand Tavernier. Il mérite que l’on redécouvre une œuvre bien plus intéressante et souvent tournée en extérieur, comme le magnifique plan-séquence de la criée.
Il touche au cœur de l’œuvre de Simenon, s’attachant à nous décrire un homme perdu dans un milieu qui l’éloigne de l’essentiel, l’amour. À force de se battre pour cette ascension vers les sommets, le fils Cardinaud s’est perdu. Le talent de Grangier, Audiard et Gabin, c’est de le comprendre et de saisir l’évidence. La recherche de Marthe finit par être celle d’un homme qui plonge au cœur de lui-même pour retrouver celui qu’il était. Il s’aperçoit qu’il a bien plus perdu que gagné en grimpant les échelons de la société. Il sera toujours le fils Cardinaud, un môme des quartiers populaires. Le traitement de Gilles Grangier l’éloigne du film noir pour le rapprocher d’une chronique sociale très moderne. C’est l’occasion de redécouvrir un cinéma qui mérite une vraie reconnaissance.
Patrick Van Langhenhoven
• Bonus :
Edition limitée à 3000 exemplaires contenant le Blu-ray et le DVD du film
- Analyse du film par Bertrand Tavernier le 27 janvier 2021, deux mois avant sa mort (2022, 27 mn 07)
- Gilles Grangier, le cinéma dans le sang, entretien avec François Guérif auteur en 2021 de Passé la Loire, c’est l’aventure,
entretiens avec Gilles Grangier (2022, 12 mn 33)
- Documents d'archives : Retour sur la carrière de Michel Audiard dans Cinéastes d’aujourd’hui (1969, 2 mn 31),
entretien avec Jean Gabin dans Pleins feux sur… (1975, 5 mn 31)
- Actualités Pathé : chanson de Florelle (1932, 2 mn 36)
- Georges Simenon et les académiciens français à l'Académie Royale de Belgique (1952, 0 mn 43)
Titre original : Le Sang à la tête
Réalisation : Gilles Grangier
Assistants réalisateurs : Jacques Deray, Bernard Paul
Scénario : Gilles Grangier, Michel Audiard, d'après Le Fils Cardinaud de Georges Simenon
Dialogues : Michel Audiard
Décors : Robert Bouladoux, assisté de James Allan
Photographie : André Thomas
Son : Robert Teisseire, assisté de Guy Chichignoud, Pierre Vigouroux
Montage : Paul Cayatte, assisté de Liliane Saurel
Musique : Henri Verdun
Tournage dans les studios Éclair et à La Rochelle du 15 février au 13 avril 1956
Production : Gustave Jif, René Saurel
Production déléguée : Fernand Rivers
Société de production : Les Films Fernand Rivers
Société de distribution : Les Films Fernand Rivers
Pays de production : France
Langue originale : français
Format : noir et blanc — 35 mm — 1,37:1 — Son : mono
Genre : drame
Durée : 83 minutes
Dates de sortie : 10 août 1956
Dates de sortie vidéo: 19 janvier 2022
Distribution
Jean Gabin : François Cardinaud, riche armateur de La Rochelle
Renée Faure : Mademoiselle, la gouvernante
Paul Frankeur : Drouin, le commandant du cargo
Monique Mélinand : Marthe Cardinaud, la femme de François
Claude Sylvain : Raymonde Babin, la fille de Titine
Henri Crémieux : Hubert Mandine, associé de François
Georgette Anys : Titine Babin, la poissonnière
José Quaglio : Mimile Babin, le fils de Titine
Paul Faivre : M Cardinaud, père
Léonce Corne : Charles Mandine, autre associé de François
Paul Azaïs : Alphonse, le patron des « Charentes »
Florelle : Sidonie Vauquier, la mère de Marthe
Rivers Cadet : le patron de « Robinson »
Paul Œttly : Julien Vauquier, le père de Marthe
Yolande Laffon : Isabelle Mandine
Julienne Paroli : Mme Cardinaud, mère
Gabriel Gobin : Arthur Cardinaud, le frère de François
Marcel Perès : Thévenot, un marinier
Rudy Palmer : Vittorio, le chauffeur tabassé
Joël Schmitt : le patron du « Grand Café »
Jean-Louis Bras : le petit Jean Cardinaud
Jacques Marin : l'agent de police
Lucienne Gray : Marguerite, la femme de chambre
France Asselin : Mauricette Cardinaud, femme d'Arthur
Hugues Wanner : l'expert
Albert Michel : Duleux, le chef de gare
Zeimett : Julien, le serveur du « Grand Café »
Bruno Balp : Pionsard, un bistrot
René Hell : le chauffeur des « Cardinaud »
Émile Genevois : le garçon de courses
Jimmy Perrys : un homme entrant au bistrot
Jacques Deray : Alfred, un conducteur de car
Georges Montant
Martine Lambert
Guy-Henry