Fabienne, actrice vieillissante au crépuscule de sa carrière, ne joue plus les jeunes premières, les mères à la rigueur. Confrontée à de jeunes actrices montantes, elle accepte un rôle de vieille dame en rechignant. C’est le moment que choisit sa fille Lumir pour franchir l’Atlantique, quitter l’Amérique pour passer quelques jours avec sa mère. Cette dernière fait la connaissance de sa petite-fille qui a bien grandi et de son gendre, un acteur américain de second plan. Elle donne une interview à un journaliste sur sa carrière de star toujours au firmament. Un rien de vanité, un rien de peur de l’âge, un rien de vérité et beaucoup de mensonges, c’est le portrait que l’on pourrait tracer d’elle. J’oubliais, ce n’est pas de manière innocente que Lumir revient au bercail. Elle compte bien faire le point sur les mémoires de sa mère en bout de carrière, bourrée d’affirmations très proches du mensonge. Fabienne ne ment pas sur sa carrière. Elle s’invente le portrait d’une mère idéale loin de plaire à Lumir. Cette dernière connaît la vérité une fois les sunlights éteints d’une mère plus absente que devant les grilles de l’école, le cœur battant la chamade. Ce séjour est l’occasion pour chacun de baisser les masques, d’accepter la vie dans son ensemble sans la travestir. En mot sans jouer un rôle.
Une fois de plus, Hirokazu Kore-eda examine en bon entomologiste la famille à la loupe. Derrière l’humour, le drame et les situations parfois cocasses dans une variation automnale légère, se cache une profondeur juste. L’automne est en fond avec cet arbre dans le jardin aux racines profondes. Il symbolise cette famille aux apparences trompeuses. La vérité s’apparente plus au mensonge dans son déroulement et à la vanité. Pour une fois, l’image du père est plus effacée, mais toujours en toile de fond. C’est un duo d’actrices formidables s’amusant de leur statut avec talent. Catherine Deneuve prend plaisir à nous dérouter avec ce portrait de star vieillissante, vaniteuse, capricieuse et sûre d’elle-même. Il faut se laisser porter par les dialogues savoureux tout en demi-tons portés par le corps des actrices. Les mots et l’apparence, les gestes, les regards racontent parfois autre chose.
La violence est toujours au fond de l’âme des moments perdus qui ne reviendront pas. Lumir reproche beaucoup à sa mère sans jamais la haïr. C’est dans la petite-fille et la valse des sentiments qui peu à peu gagnent le cœur de la grand-mère que se joue le pardon. Elle rattrape le temps perdu avec peut-être plus de sincérité. Cette fois, c’est la mère qui a tout sacrifié à sa carrière en oubliant les liens familiaux. Hier c’était les pères qui tentaient de regagner la confiance des leurs. Depuis Une affaire de famille, le ton change, La vérité marque peut-être la fin d’un cycle. En plaçant le récit dans le monde du cinéma, Fabienne actrice, Lumir scénariste, c’est une façon d’explorer une autre famille. Il est en même temps un miroir tendu comme l’interview du journaliste. Ils renvoient tous à la notion des apparences, du jeu de la vérité et du mensonge sur lequel nous bâtissons toute notre vie. Les rapports avec son agent et homme de confiance Luc sont aussi un écho au reste du film.
La vérité nous dit peut-être qu’il est temps d’en finir, aux portes de la vieillesse, avec les trahisons pour accepter le temps de la vérité. Il joue sur le flou entre la vie réelle et le métier de comédienne comme le dit si bien le réalisateur. Pour les influences, on pense à Truffaut pour l’occident et à Ozu pour le regard sur la famille. Il me fait penser, dans sa douceur, sa légèreté profonde et sa tendresse pour ses personnages, à Notre petite sœur du même réalisateur. Catherine Deneuve et Juliette Binoche trouvent deux de leurs plus beaux rôles, tout en dentelle de l’âme.
Patrick Van Langhnehoven
Titre français original : La Vérité
Titre japonais : 真実 (Shinjitsu?)
Titre international anglophone : The Truth
Réalisation et scénario : Hirokazu Kore-eda
Direction artistique : Riton Dupire-Clément
Décors : Riton Dupire-Clément
Photographie : Éric Gautier
Musique : Alexei Aigui
Production : Nathalie Dennes, Matilde Incerti et Muriel Merlin
Société de production : M.I. Movies, Bunbuku et 3B Productions
Société de distribution : Le Pacte (France)
Pays d’origine : France, Japon
Langues originales : français, anglais
Genre : drame
Format : couleur
Durée : 106 minutes
Dates de sortie : 25 décembre 20192
Distribution
Catherine Deneuve : Fabienne
Juliette Binoche : Lumir
Ethan Hawke : Hank, le mari de Lumir
Clémentine Grenier : Charlotte
Manon Clavel : Manon
Ludivine Sagnier : Amy à 38 ans
Alain Libolt : Luc
Christian Crahay : Jacques, mari de Fabienne
Roger Van Hool : Pierre, ex de Fabienne et père de Lumir
Laurent Capelluto : le journaliste
Jackie Berroyer : le Chef