Jusqu’ici, Sisif ne vivait que pour son métier de cheminot. Il aura fallu une catastrophe ferroviaire pour que, quelques années plus tard, sa vie change. Il évite que le drame se transforme en apocalypse et recueille une petite fille perdue, Norma. Le brave homme l’élève avec son fils, Élie. Elie rêve de musique et d’instruments polis par l’habileté de ses mains. La petite Norma, dont les parents anglais sont décédés dans l’accident, trouve sa place au sein du foyer de Sisif. Les années passent. Le bonheur ne dure hélas que le temps d’un battement de cœur du temps. Le pauvre cheminot devient de plus en plus ombrageux, soupçonneux. L’alcool n’aide pas à faire passer un sombre sentiment. Le pauvre homme sent son cœur qui bat pour la petite Norma devenue une jeune fille pimpante. Pour alourdir la peine, le drame se noue en secret dans les profondeurs de l’âme. Élie est amoureux de la belle. Pour sauver son père adoptif, Norma épouse un ingénieur tombé sous le charme de la jeune fille. Aveugle suite à un accident, Sisif se retrouve au service d’un funiculaire au Mont Blanc. Norma revient le temps des vacances avec son mari pour soutenir son père adoptif. Hélas, l’amour entre Élie et sa sœur d’adoption éclate au grand jour, ouvrant de nouveau les vannes du drame. Sisif pourra-t-il survivre à ce poids supplémentaire, transformant sa vie en un chemin de douleur, lui qui rêvait du bonheur ?
Avant d’aborder l’impact de ce projet pharaonique de près de huit heures à son origine, avec plus de 117 morceaux composés par Arthur Honegger et Paul Fosse, parlons de son réalisateur. Abel Gance, à l’image de Méliès, occupe une place particulière dans l’histoire du cinéma français grâce à deux films majeurs, J’accuse en 1919, et le remarquable Napoléon en 1923. Il faut désormais ajouter La Roue. C’est à partir de 1918 qu’il est reconnu comme un cinéaste novateur, comme Fritz Lang, Murnau, Borzage, S.M. Eisenstein, et bien d’autres. Il participe à la construction d’une grammaire cinématographique et, bien avant la Nouvelle Vague, tourne en extérieur pour la Roue. Akira Kurosawa, Francis Ford Coppola reconnaitront l’importance de son influence dans leur carrière et plus particulièrement de celle de La Roue.
Le cinéma n’est plus un phénomène de foire. De nombreux pays possèdent leur industrie cinématographique et de nombreuses salles maillent les territoires. Le parlant arrivera en 1927 pour apporter un nouveau bouleversement. À ses débuts, il s’inspire du théâtre et sans doute à cause du muet, l’acteur amplifie sa gestuelle. Abel Gance s’émancipe rapidement de ce jeu surréaliste pour commencer une dramaturgie propre au cinéma. La roue en devient un exemple flagrant avec ses gros plans, son expressionnisme annonçant le cinéma moderne. De la même manière, dans ses scénarios, Abel Gance se rapproche plus d’une dramaturgie littéraire dans les pas de Zola, Balzac et sa Comédie humaine dont la roue pourrait être le pendant cinématographique.
La Roue est une fresque gigantesque, remarquable, sur l’époque avec un personnage supplémentaire, la locomotive. Nous pensons à La bête humaine et tous les grands films sociaux qui viendront bien plus tard. Du début à la fin, le spectateur oublie le muet face à l’inventivité, la force du récit et le jeu des acteurs emportés dans cette tranche, à l’exemple des Misérables d’Hugo. Non content de révolutionner la grammaire du genre, Gance le porte au sommet avec son Napoléon. Il ose un sujet difficile pour l’époque, un trio amoureux entre la fille adoptive, le fils et le père. La violence de la condition humaine symbolisée par la course de la machine et les tripots odieux est contrebalancée par le rêve d’Élie et cette magnifique séquence sur le métier de luthier. La roue et son travail titanesque de restauration permettent de replacer le film et son réalisateur comme un moment important de l’histoire du cinéma hexagonal. Il existe un avant et un après La roue, qu’Abel Gance souhaitait tourner en version parlante sur la fin de sa vie.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus : Documentaire sur le travail de restauration (30 min) - Avant/après sur la restauration de l’image (2 min) - Archives et extraits d’interviews avec Abel Gance (12 min) - Scènes coupées (5 min) - Livret : - Retour sur le travail de restauration du film et de sa musique - Retour sur la collaboration des Cinémathèques suisse et française - 12 questions à Bernd Thewes (en charge de la reconstruction de la musique) - Liste des compositions musicales utilisées pour le film.
Comme chaque fois chez Pathé, un soin particulier est apporté aux bonus qui permettent de mieux comprendre le projet et sa restauration.
Titre initial : La Rose du rail
Réalisation : Abel Gance
Scénariste : Abel Gance
Assistant : Blaise Cendrars (bénévole)
Production : Abel Gance ; Charles Pathé
Direction artistique : Robert Boudrioz
Photographie : Gaston Brun, Marc Bujard, Léonce-Henri Burel, Maurice Duverger
Musique originale : Arthur Honegger, ébauche de ce qui va devenir Pacific 231
Montage : Marguerite Beaugé, Abel Gance
Pays d'origine : France
Format : Noir et blanc - Muet - 1,33:1 - 35 mm
Genre : Drame
Durée : entre 273 minutes (4 h 33 min) et plus de 8 h suivant les montages
Date de sortie : 17 février 1923
Affichiste : Fernand Léger
Distribution
Séverin-Mars : Sisif
Ivy Close : Norma
Gabriel de Gravone : Elie
Pierre Magnier : Jacques de Hersan
Max Maxudian : Le minéralogiste Kalatikascopoulos
Georges Térof : Machefer
Gil Clary : Dalilah