Virginie est une agricultrice au bord de la faillite, mère de deux enfants, Gaston et Laura. Elle effectue un virage en se lançant dans un projet moderne l’entomoculture, l’élevage de sauterelles comestibles. C’est une des clés de l’alimentation de demain. Dans le milieu, on ne voit pas d’un bon œil que la bergère se lance dans une folie d’écolo rêveur. L’élevage d’insectes n’est pas encore passé dans les mœurs et ressemble plus à une lubie. Gaston et Laura doivent faire face aux moqueries de leurs camarades et au portrait d’une mère originale, voire folle. Seul Karim, un vigneron passé au bio, comprend sa démarche et la soutient. Virginie se lance corps et âme dans son entreprise qui peine à démarrer. Jusqu’au jour où, par l’effet du hasard, elle découvre un moyen de booster la qualité et le rendement. L’exploitation s’envole et semble toucher les sommets, mais à quel prix. Elle vient de franchir une limite qui l’emporte vers une voie, un secret plus sombre, qui risque de la dévorer aux sens propre et figuré.
Just Philippot renoue avec le cinéma fantastique à la française, jouant sur l’atmosphère et la tension, avec souvent, en toile de fond, un aspect social. C’est, par exemple, La main du diable de Maurice Tourneur 1943, L’auberge rouge Claude Autant-Lara 1951, Dans la brume de Daniel Roby 2018, etc. L’intérêt du film est son discours social, écologiste, un regard sur le monde paysan en difficulté et des thématiques très modernes. Il prend le temps d’installer une ambiance qui, peu à peu, échappe à Virginie et au spectateur. Le sang devient un élément symbolique dans ce qu’il raconte du sacrifice de cette femme pour survivre. Il nous rappelle cette expression « se saigner aux quatre veines ». Jusqu’où est-on prêt à aller pour réussir, aimer, se sacrifier pour l’autre, ici les enfants.
C’est se saigner au sens figuré, le travail acharné, jusqu’à l’épuisement, la folie. C’est se saigner au sens propre, en donnant son sang comme nourriture. Elle devient aveugle, ne perçoit pas la chute et jusqu’où l’entraine son obsession. Le prix est peut-être trop élevé, même si le résultat est là. La transformation devient un autre symbole, celui de Virginie et des sauterelles devenues carnassières. C’est bien l’environnement et le monde d’aujourd’hui qui poussent la jeune femme à cet extrême qui l’entraine en enfer. Derrière la fable fantastique, c’est tout un discours profond sur l’agriculture aujourd’hui et sa nécessaire mutation. Il se dévoile, à travers le portrait central de Virginie, mais aussi celui de Karim et la transformation de la vigne, des acheteurs pour nourrir leurs troupeaux.
Loin des effets spéciaux et des combats pour sauver le monde, La nuée trouve un ancrage profond dans la réalité autour de son récit fantastique. Il raconte aussi la difficulté d’insertion, de compréhension, l’amour d’une mère et l’adolescence rebelle. Il doit plus son ambiance anxiogène à un discours profond et réaliste qu’à des effets annoncés. La mise en scène joue sans cesse sur le cadre, opposant nature et horizon face à ces petits humains perdus au cadre plus rapproché. La lumière oscille entre brume, nuit et crépuscule aux tons plus gris et vert, et la clarté du jour très présente dans une première partie. Elle est peu à peu remplacée par le crépuscule et l’ombre. La nuée est un premier film fort annonçant un réalisateur à suivre.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : La Nuée
Réalisation : Just Philippot
Scénario : Jérôme Genevray et Franck Victor
Photographie : Romain Carcanade
Son : Maxime Berland
Décors : Margaux Memain
Costumes : Charlotte Richard
Montage : Pierre Deschamps
Musique : Vincent Cahay
Production : Thierry Lounas, Manuel Chiche
Sociétés de production : Capricci Films et The Jokers ; Arte France Cinéma et Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma (coproduction)
Société de distribution : Les Bookmakers (France)
Pays d'origine : France
Langue originale : français
Format : couleur
Genre : drame, fantastique, thriller
Durée : 101 minutes
Dates de sortie : 29 août 2020 (Festival du film francophone d'Angoulême) 16 juin 2021 (sortie nationale)
Classification : interdit aux moins de 12 ans
Distribution
Suliane Brahim : Virginie
Sofian Khammes : Karim
Marie Narbonne : Laura
Raphael Romand : Gaston
Nathalie Boyer : La mère de Kévin
Victor Bonnel : Kévin
Vincent Deniard : Briand
Christian Bouillette : Duvivier
Distinctions
Récompenses
Festival international du film de Catalogne 2020 (Sitges) : prix spécial du jury et prix de la meilleure actrice pour Suliane Brahim4
Festival international du film fantastique de Gérardmer 2021 : prix de la critique et prix du public
Sélection
Festival de Cannes 2020 : sélection en Label Semaine de la critique 2020