Dany est une jeune secrétaire un peu naïve qui ne refuse rien à son patron. Quand il lui demande de venir taper un rapport à la maison et de le conduire le lendemain avec sa femme, une vieille amie, elle ne refuse pas. La petite rousse comme un soleil flamboyant rêve de voir la mer, quelle meilleure occasion que ce jeu du hasard ? Il suffit d’un coup de volant, d’une autre bretelle d’autoroute pour concrétiser ses rêves. Après tout, personne n’en saura rien, de retour du week-end la Thunderbird trônera dans l’allée de la villa. Entre temps Dany découvrira la mer et les plages enchanteresses du sud de la France. Le beau programme vole en éclats à la première halte dans une station-service.
Suite à une agression mystérieuse, elle se retrouve avec un poignet cassé et en bonus des inconnus qui semble la connaître. La patronne d’un café, les clients et le patron de la station-service, un motard, tous semblent l’avoir déjà vue passer. La belle doute de sa santé mentale. La folie, le destin, un double… les questions s’élancent en rafales pour la troubler au fond de son âme. Le sort s’acharne avec un bellâtre qui s’invite dans la partie et lui dérobe la voiture. Elle finit par la retrouver avec un petit cadeau dans le coffre ! Elle ne voulait voir que la mer, un rêve simple qui la conduit aux portes de l’enfer et de la folie. Le destin oublie juste que cette femme n’est peut-être pas une gentille biche innocente. Il faudra prendre garde à la tempête qui s’annonce.
« Deux gendarmes en uniforme kaki étaient arrêtés devant. Je ne les ai vus qu’au dernier moment, presque en arrivant sur eux. Je regarde toujours au sol en marchant, par crainte de buter sur un éléphant quelconque qui échapperait à ma vue. Jusqu’à l’âge de dix-huit ans, j’ai porté des verres qui étaient loin d’être aussi bons que ceux que j’ai à présent, j’étais plus souvent jambes en l’air que debout, on m’appelait : « l’avion-suicide ». Sébastien Japrisot
Une belle boîte avec rien à l’intérieur, c’est sans doute en raccourci la première impression sur le troisième film de Joan Sfar. Après le Gainsbourg, le chat du Rabbin, nous retrouvons sa volonté de se démarquer des réalisations banales en créant un univers propre au récit. Ici nous sommes dans le polar des années 70, avec ses figures féminines inattendues cachant d’autres ressources sous leur air d’innocent. C’est un remake d’un roman de Sébastien Japrisot, déjà adapté en 1970 par Anatole Litvak, avec Samantha Eggar et Oliver Reed. Il nous invitait à un long voyage où la question de la réalité et de l’identité de Dany imprégnait le récit.
Toute l’histoire devient une quête de soi,quand tout bascule et que les évidences deviennent floues. En remontant un voyage qu’elle n’a pas fait ou finit par douter d’avoir fait, elle remonte jusqu'à son âme et à la fin se dégage la vraie Dany. Les masques tombent non seulement sur les coupables et manipulateurs mais aussi sur l’âme de la jeune femme. Elle n’affrontera plus le monde derrière sa myopie, elle peut enlever les lunettes - je vous rappelle que la myopie se caractérise par une vision nette de près, mais une vision floue de loin. C’est assez symbolique et du récit et du personnage, hélas peu visible dans le film.
Nous percevons difficilement le basculement dans une autre perception du monde échappant à la jeune fille. Tout le jeu du mystère et du suspens que ne renierait pas le maitre Alfred Hitchcock s’évapore dans l’air. Le roman s’amuse sans cesse avec les apparences, ce qui se cache derrière les personnages ou la réalité. Les acteurs semblent ne pas être habités par leurs rôles, trop sur le même ton, sans relief. Freya Mavor s’évade parfois de cette trame soporifique, mais n’arrive jamais à nous accrocher. Elle est loin des faux airs de Brigitte Bardot qu’elle se donne, sans doute le choix du réalisateur. Nous imaginons sans peine la Brigitte Bardot d’En cas de malheur incarner le personnage avec beaucoup plus de conviction.
Oubliant la direction d’acteurs, Joan Sfar se concentre sur le look pour imprégner son style personnel. Nous aimons beaucoup le jeu sur les apparitions et disparitions qui nous renvoie au thème du film, celui des apparences. De la même façon certains cadres, talons ras du sol, gros plans de visages, nous séduisent, tout comme l’atmosphère des décors dont nous devinons le soin particulier à leur recherche. L’utilisation du split screen, apparu avec L’étrangleur de Boston en 1968, nous renvoie à l’univers dessiné de Sfar. La fin, hommage à Ennio Morricone et au polar de l’époque, ne ressemble à rien, une dernière confrontation pour donner les ficelles de l’intrigue. Tout s’explique dans un déballage accumulant les raisons de tout ce micmac sans saveur.
C’est juste une liste de course balancée pour boucler le programme. Le problème de narration apparaît au grand jour, tout cela pour même pas un dernier coup d’archet ! À la décharge du réalisateur, c’est un projet qu’il n’a pas écrit, mais proposé. Il aurait sans doute mieux valu qu’il se le réapproprie, il correspond parfaitement à son univers.
« A nouveau, ce sentiment de vivre éveillée dans le rêve de quelqu'un d'autre. Et je ne souhaite plus, moi, de toutes mes forces, que de dormir aussi - ou bien alors que celui qui rêve s'éveille, et que tout soit silencieux et paisible, que je meure, que j'oublie. » Sébastien Japrisot.
Patrick Van Langhenhoven
• Titre : La Dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil
• Réalisation : Joann Sfar
• Scénario : Patrick Godeau et Gilles Marchand d'après le roman de Sébastien Japrisot
• Photographie : Manuel Dacosse
• Production : Patrick Godeau
• Société de production : Alicéléo
• Distribution : Wild Bunch
• Pays : France
• Date de sortie : France : 5 août 2015
Distribution
• Freya Mavor : Dany
• Benjamin Biolay : M. Caravaille, le directeur
• Elio Germano : Vincenzo Longo
• Stacy Martin : Anita Caravaille
• Eléo Solet : Bertrand
• Thierry Hancisse : Le garagiste
• Olivier Bonjour : Le gendarme motard
• Alexandre von Sivers : Le réceptionniste de l'hôtel