C'est un conte, une histoire de la vie. Raphaël revient d'une guerre de boue et de sang, des tranchées, plaies béantes. Il quitte les profondeurs de la terre pour le chemin du retour. Il revient au village, le visage et l'âme meurtris pour retrouver son soleil, Juliette. La mère est morte et Adeline a recueilli la petite dans cette ferme à la lisière du village. C'est un endroit particulier pour que les âmes fracassées trouvent leur envol. C'est un lieu retiré de la haine du monde, pour des artistes, un forgeron et sa femme. Artisan du métal, Raphaël et ses mains magiques transforment le bois en proues de navires ou en jouets. La petite Juliette prend son envol dans cette communauté sous l'œil bienveillant d'Adeline et des autres. Mais les gens du village, comme le dit la chanson. « Les brav's gens n'aiment pas que L'on suive une autre route qu'eux… » Une magicienne prédit à la jeune Juliette que les voiles écarlates l'emmèneront ailleurs. L'arrivée d'un aviateur pourrait bien transformer ce conte en chemin de vie.
Après la remarquable adaptation de Martin Eden de Jack London sur l'envol d'un jeune écrivain parcourant le monde, c'est un autre texte d'un Russe oublié Les voiles écarlates d’Alexandre Grine adapté librement par Pietro Marcello. C'est une mise en scène à l'image du récit, entre rudesse, fragilité et onirisme. Il mêle des images de documentaires pour mieux saisir la vérité de l'époque. C'est une photo particulière, tournée en 16 mm à l'ancienne et numérisée, donnant son grain à l'histoire. La première partie s'ancre dans la terre, au cœur d'un monde qui a connu l'enfer des tranchées. Nous retrouvons un personnage à l'image de Martin Eden, artisan, qui est son propre mentor et la différence de classes. Peu à peu, l'homme aux mains de géant, à la figure d'ogre, se transforme et devient un fabricant de jouets comme Geppetto. Il les fabrique pour les enfants de la ville, délicats avions, montgolfières, navires prêts au départ.
C'est une ferme isolée, un paradis, un îlot dans un monde qui peine à se reconstruire. Ailleurs, au village, les langues jasent, les hommes dépassent la bienséance, la haine sourde trace sa route. Les âmes perdues guérissent sous le regard d'Adeline, magnifique Noémie Lvovsky en gardienne de ce cromlech. A l'extérieur, dans les buissons et les prés, au cœur de la forêt, Yolande (Yolande Moreau) est peut-être la version féminine de Merlin, Morgane en île d'Avalon. Raphaël est rejeté à cause d'une vieille histoire liée à la mort de sa bien-aimée. Nous n'en dirons pas plus pour ne pas dévoiler un point important du récit. La petite Juliette et son père deviennent comme deux parties d'une même pièce, un yin et un yang inséparables.
Dans la deuxième partie, la réalité se teinte des couleurs de la magie du monde, de sa place au sein de cette nature sauvage qui nous façonne. Elle prend forme dans les quatre éléments et toute une symbolique du conte. On retrouve, comme dans Martin Eden, l'ailleurs que l'on arpente pour se construire et découvrir le monde, loin des cités et des villages. Il nourrit les récits de Martin et les chansons de la jeune Juliette. C'est la voix qui s'envole vers l'ailleurs, portée par le vent. Elle finit par attirer un aviateur, prince charmant joué par Louis Garrel. Il apporte l'avenir à cette princesse des bois et des champs. Juliette ne peut partir de ce monde retiré, quitter ce père, pilier protecteur. Pourtant, un jour, les enfants sont faits pour partir prendre leur envol et construire leur vie. Il vous reste encore de nombreuses paraboles à découvrir dans ce conte que nous aimons beaucoup.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original et français : L'Envol
Réalisation : Pietro Marcello
Scénario : Pietro Marcello, Maurizio Braucci, Maud Ameline avec la collaboration de Geneviève Brisac, librement adapté de la nouvelle Les Voiles écarlates d’Alexandre Grine
Musique : Gabriel Yared
Photographie : Marco Graziaplena
Costumes : Pascaline Chavanne
Montage : Carole Le Page et Andrea Maguolo
Sociétés de production : CG Cinéma, Avventurosa, Rai Cinema ; coproduction : Match Factory Production, Arte France Cinéma, Zweites Deutsches Fernsehen (ZDF), Les Films du losange3
Société de distribution : Le Pacte (France)
Pays de production : France, Italie, Allemagne
Genre : drame
Durée : 100 minutes
Dates de sortie : 18 mai 2022 (Festival de Cannes - Quinzaine des réalisateurs) 11 janvier 2023
Distribution
Juliette Jouan : Juliette
Raphaël Thiéry : Raphaël
Noémie Lvovsky : Adeline
Louis Garrel : Jean
Yolande Moreau : Yolande
François Négret : Fernand
Natascha Wiese : Carmel
Ernst Umhauer : Renaud
Lolita Chammah : la femme de Renaud
Bernard Blancan : maître d'oeuvre chantier
Sélections
Festival de Cannes 2022 : Quinzaine des réalisateurs
Festival du film de Munich 2022