Film modeste à la mise en scène classique et élégante, Jersey Boys sert à Clint Eastwood pour aborder l’autre face du rêve américain, celui de quatre mômes du New Jersey propulsés sous les sunlights qui tomberont de haut.
C’est la balade de quatre gamins du New Jersey, leurs cœurs balancent entre la mafia, les 400 coups et le soir dans les pizzerias du quartier ou les lieux embrumés, leur groupe de musique. Le parrain local considère le jeune Frankie Valli comme son Sinatra et veille à ce que son poulain ne suive pas la mauvaise pente. Le début marque l’ascension entre la prison pour certains et les scènes du coin où la voix particulière de Valli enchante les belles et charme le public. À force de volonté, de pousser des portes et en payant leur premier enregistrement, ils se hissent en haut de l’affiche. C’est le temps de la gloire, de la route étoilée, du rêve américain tenant ses promesses. Devenus les Four Seasons, sous l’impulsion de leur chanteur et du parolier Bob Gaudio, ils enflamment l’Amérique. A la même époque à la télé, un jeune acteur tente de faire sa place dans une série western, Rawhide. L’ascension fut longue et pleine de sacrifices, la descente sera fracassante et rapide, suite aux dettes de l’un d’entre eux, le groupe explose, et s’éparpille. Frankie Valli et Bob Gaudio continueront une carrière en solo, mais les palaces et les salles rutilantes laissent la place aux lieux obscurs et minables. Valli rembourse la dette avec ses petits cachets, tente de rassembler sa famille qui éclate. Le temps de l’espérance et des arcs-en-ciel ne reflète plus que les ténèbres et la déception d’un rêve perdu.
La fin nous montre un retour dans les années 90, pour un ultime concert d’un vieux groupe qui résista à la vague des Beatles et des Rolling Stones. Jersey Boys est l’adaptation d’une comédie musicale à succès de Broadway remise en forme par Clint Eastwood. Il lui apporte des petits plus comme le point de vue sur la vie privée du groupe un peu plus accentuée. Il utilise ce groupe qui ne vécut que le temps d’un soupir pour cacher dans sa mise en scène quelques réflexions sur la famille et le rêve américain. Personne ne connaît ce groupe mais pourtant nous fredonnons encore leurs succès (Sherry, Big Girls Don’t Cry, Walk Like a Man…) Ce n’est pas la nouvelle vague Rock n’ roll, Beatles et Rolling Stones qui achève l’aventure, mais les egos et trahisons de chacun. Le rêve prend des allures de cauchemar, l’ascension rapide ne vous donne pas les clefs pour gérer votre couple, ne pas confondre carrière et embrouille mafieuse, résister à la personnalité de chacun et former un groupe solidaire. Le rythme emporte l’histoire où les membres du groupe s’expriment face à la caméra, sauf Valli. Il marque l’ouverture d’un nouveau chapitre.
Clint Eastwood évite de se figer dans le temps et de servir un chromo vieillot d’une époque où les moins de vingt ans… La partie mafieuse apparaît la moins tenue, nous imaginons ce qu’un Scorsese spécialiste de la Familia en aurait fait. Clint semble plus à l’aise avec l’histoire musicale. Elle l’intéresse, non pas pour le style, il est plus jazz (Bird) ou le folk country (Honky Tonk Man). Il s’intéresse à l’arrière cour, la difficulté de se faire connaître, de trouver une salle, etc. Il manque juste un petit rien, une âme pour retenir notre souffle, mais l’histoire passe, s’attarde et nous captive. La fin s’achève entre Bollywood et Fame avec ces danseurs éclatés dans la rue pour un dernier spectacle. Dans ce sens, Eastwood mène sa barque sans temps mort et sur un sujet moins personnel, plus de commande, il insuffle une énergie communicative. Dans les mains d’un autre, le film passerait comme une comète dans le ciel ou une saison, le temps d’une chanson. Pour notre part, nous retiendrons le regard sur la famille et la musique. Celle de la Mafia avec son code d’honneur, son sens du tragique que Valli semble le seul à porter, nous paraît moins réussi.
Il ira jusqu'à rembourser les dettes astronomiques de l’un d’entre eux. Un temps Joe Pesci, acteur fétiche de Scorsese, s’occupa de la carrière du groupe, paradoxe des frontières qui éclatent entre le show biz et la mafia. Les uns rêvent souvent de ressembler aux autres… Nous parlons de famille de cinéma fonctionnant sur un petit air de mafia… C’est quand ils ne formeront plus une famille que la descente s’accélère et conduit à la chute. Tant qu’ils se soutiennent, acceptent les qualités et défauts de chacun, s’appuient sur elle pour bâtir leur rêve, la gloire est au rendez-vous. La fratrie la grande utopie américaine et peut-être celle de Clint Eastwood, un moyen pour lui, plusieurs fois remarié, de s’interroger sur celle-ci peut être ? Les scènes les plus fortes restent justement celles où elle est en danger et tente à tout prix de demeurer soudée, comme la confrontation finale dans la maison du mafieux. Christopher Walken s’amuse de ce rôle de parrain et lui donne un ton à la fois inquiétant, cruel, et amusant. Nous retiendrons cette belle scène de Valli et sa fille, émouvante poignante, résumé de l’histoire du groupe. C’est dans ces séquences où le film s’interroge sur ce qu’est la famille que l’on retrouve le réalisateur percutant d’hier.
Patrick Van Langhenhoven