Curieux parcours que celui du réalisateur français Louis Leterrier. Après avoir assisté Jean-Pierre Jeunet et fait ses armes aux côtés de Luc Besson et d’Alain Chabat, il s’attaque à la réalisation du Transporteur et du très bon Danny the Dog. Propulsé aux Etats-Unis, il va signer L’incroyable Hulk et plus récemment le flop commercial Le Choc des Titans. Pour Insaisissables, quatre ans plus tard, il va délaisser les monstres de la mythologie grecque et les Dieux de l’Olympe au profit d’un tout autre univers, la magie et son grand spectacle.
« Les Quatre Cavaliers », un groupe de brillants magiciens et illusionnistes, viennent de donner deux spectacles de magie époustouflants : le premier en braquant une banque sur un autre continent, le deuxième en transférant la fortune d’un banquier véreux sur les comptes en banque du public. Deux agents spéciaux du FBI et d’Interpol sont déterminés à les arrêter avant qu’ils ne mettent à exécution leur promesse de réaliser des braquages encore plus audacieux. Ils font appel à Thaddeus, spécialiste reconnu pour expliquer les tours de magie les plus sophistiqués. Alors que la pression s’intensifie, et que le monde entier attend le spectaculaire tour final des Cavaliers, la course contre la montre commence.
Ecrit par Boaz Yakin (Safe) et Ed Solomon (Men in Black, Charlie et ses drôles de dames) d’après une idée originale d’Edward Ricourt (un petit nouveau), le scénario est construit sur un récit à trous qui dissimule sans cesse son motif. Un thriller à tiroirs qui enchaine les twists scénaristiques et les renversements de situation pour fourvoyer le spectateur. Conçu comme un tour de magie géant, l’intrigue générale s’articule autour de l’illusion : ce que vous percevez n’est pas forcément définitif, et livre ainsi tout son caractère ludique et divertissant. Conscient des enjeux de cette superproduction abracadabrante qui suit des robins des bois des temps modernes pris en chasse par la police, Louis Leterrier dévoile illico un incroyable dispositif de mise en scène piloté pour servir l’illusion. Après une intro émérite où il catapulte ses « quatre fantastiques » dans le récit, le réalisateur, dans un méticuleux désordre, opte pour un montage sur ressort efficace qui met clairement à l’honneur tout le potentiel « The show must go on » de son film. Dans un vertigineux et spectaculaire effet de lumières, Leterrier filme les tours de magie comme une finale de catch. Véritables scènes d’action indépendantes, les scènes de magie sont sublimées par des travellings circulaires et une caméra tremblotante à vous coller des frissons. Dans une autre catégorie, la course-poursuite très réussie confirme l’application constante de Leterrier dans sa mise en image, propre et extrêmement fidèle à son script. Dommage que derrière, le-dit script ne suive pas comme escompté. Si l’entrée en fanfare place la barre déjà haut, la suite accuse un rythme en berne et des rouages qui s’embourbent dans des intrigues parasites. En résulte ainsi un survol perpétuel de tous les personnages qui se refuse à la moindre psychologie ou approfondissement, pariant quasi uniquement sur ses morceaux de bravoure et ses effets de manche. On a dés lors la désagréable sensation que l’entreprise calle à chaque fois qu’elle s’enflamme en nous renvoyant vers d’autres préoccupations, notamment les émois barbants du tandem policier.
En outre, il faut accepter le fait qu’une bande de quatre gars puissent tout régir, tout tromper, et ce par leur simple don d‘anticipation et de ruse. Et avec l’aide, croyez le ou non, d’une hypnose bien réelle, aussi appelée mentalisme pour faire dans l’air du temps. Il faut aussi déplorer une étrange approche de la magie qui entend que le seul attrait de la chose repose sur la révélation des ficelles. Certes, cela apporte quelques éléments de réponse au scénario mais d’une façon fort malhabile. L’exercice exige donc du spectateur une once de crédulité et d’indulgence. Ensuite, libre à lui de plonger dans le grand spectacle, l’enchainement, le mysticisme et le show et de se laisser porter par le casting ultra-séduisant (mis de côté les frenchy amplement dispensables). Au premier plan, Jesse Eisenberg n’a pas perdu de sa volubilité aperçue dans The Social Network. Le néo-geek joue parfaitement l’expert en carte qui affiche une fausse assurance. A ses côtés, Isla Fisher joue de ses charmes pour envouter son audience, Woody Harrelson, agaçant manipulateur, hypnotise à tour de bras tandis que Mark Ruffalo affiche sa mine des mauvais jours et ne fais pas d’étincelles.
Arrivant à combler ses trouées scénaristiques par un montage efficace et par des scènes d’action purement divertissantes, Insaisissables sauve la face in extremis et perd par la même occasion un peu de sa magie. En ressort un objet stimulant, qui à l’instar de la magie qu’il met en scène, use d’illusions d’optique et d’esbroufe pour camoufler la bricole.
Eve BROUSSE