Dans un institut spécialisé à Lisbonne, Ian (Edward Hogg), un enseignant aux méthodes originales rejoint l'équipe pédagogique. Il y fait la rencontre de jeunes enfants malvoyants et d'Eva, une jeune femme allemande très discrète et effrayée à l'idée de sortir de l'institut.
Troisième long métrage du réalisateur polonais Andrzek Jakimowski, plusieurs fois primés pour Un conte d'été Polonais (2003) et Plisse les yeux (1999), Imagine est une plongée dans l'univers des malvoyants. Le film s'intéresse au système d'écholocation (définition de la position et de la taille des objets aux alentours en utilisant les échos acoustiques).
Au delà de la découverte de cette méthode, le film trouve sa force dans l'onirisme qu'il dégage. Nous suivons donc Ian, éducateur malvoyant qui compte prouver à ses jeunes élèves qu'avec de l'entraînement et beaucoup d'imagination, ils peuvent (presque) voir le monde comme tout le monde.
Andrzek Jakimowski ne s’apitoie pas sur ses personnages ni sur leur handicap ainsi, les enfants émettent des doutes sur la technique employée par Ian et en viennent même à penser qu'il n'est pas vraiment aveugle car il se déplace sans canne. Ce scepticisme quant aux nouvelles méthodes d'apprentissage rappelle le sujet du film Le cercle des poètes disparus par la réaction du directeur de l'établissement qui n'a pas confiance en Ian et le freine dans ses expérimentations, pensant qu'il est un danger pour les jeunes enfants. Pourtant, la technique du professeur intrigue Eva, la jeune femme pensionnaire de l'institut. Elle entend Ian sortir en ville le soir venu et désire elle aussi découvrir Lisbonne de façon autonome. Ils vont nouer un début de relation et Ian va l'emmener en ville en la poussant à écouter le monde qui l'entoure et surtout à imaginer le monde. Ensemble, ils vont faire du shopping et boire un verre en terrasse, comme n'importe quel couple. Inutile de s'étaler sur l'interprétation formidable de l'ensemble des comédiens (enfants et adultes) qui contribue à rendre cette histoire belle et crédible.
Pour mettre en scène cette histoire, Andrzek Jakimowski choisit de la filmer sous un autre angle de vue, la caméra se concentre sur les visages et les pas des passants sur les pavés, laissant la plupart du temps le décor en hors champs. Il met ainsi le spectateur dans la position des malvoyants, le laissant imaginer la ville de Lisbonne. Dans Imagine, le spectateur se doit d'être attentif. Attentif, comme les jeunes élèves aux descriptions que Ian fait, il doit guetter le moindre son qui permettra d'aider à voir les choses et les gens.
Malheureusement pour Ian, peu de gens sont donc prêts à croire à sa méthode, ses élèves y compris. Beaucoup ne croient que ce qu'ils « voient » ou ce qu'il peuvent sentir. Seul le jeune Serrano (Melchior Derouet), d'abord suspicieux va accepter de suivre Ian jusqu'au port de Lisbonne pour écouter avec lui le bruit de l'océan et des bateaux, heureux de découvrir des sons et sensations qu'il pensait ne jamais pouvoir connaître. Eva, d'abord séduite, doute également de la sincérité de Ian pensant être manipulée par lui. Finalement, elle va le suivre dans les rues de Lisbonne, laissant libre court à ses sentiments et à son imagination, prenant son envol de l'institut où elle s'enfermait...
L'espace sonore du film est mis en avant comme jamais, la richesse sonore de notre environnement nous pousse à ne plus voir le handicap comme une contrainte mais presque comme une richesse.
La lumière est également utilisée tout en finesse dès les premières images, le soleil de Lisbonne irradie et caresse les visages, contribuant à la poésie de l'histoire.
Imagine est donc un film dense, qui nous pousse à appréhender le monde dans lequel nous vivons autrement. Andrezj Jakomowski ne s'enferme pas dans le drame et utilise les déambulations de Ian pour apporter des notes de poésie et de comique à son propos. L'obstination du personnage pousse au respect et l'inventivité dont fait preuve le film pour nous entraîner dans ce monde sans lumière en fait une petite pépite du cinéma polonais.
Sarah Lehu