Nous sommes en France à Ennui-sur-Blasé. Le journal américain The French Dispatch possède une antenne dans ce coin perdu. Arthur Howitzer Jr envoie une bande de journalistes encore accrochés à la bonne vieille investigation pour trois reportages marquants. Ce sont trois regards sans concession rendant compte du monde. Nous commençons par un tueur psychopathe, Moses Rosenthaler, devenu un artiste peintre de grande renommée. Comment cet homme se retrouve-t-il sur le devant de la scène mondiale avec sa muse, la gardienne Simone ? Que voit dans ses tableaux le galeriste Julian Cadazio, lui-même interné le temps d’un soupir ? C’est bien les mystères de l’art et de ces gribouillages d’enfant. Est-ce une arnaque ou une révolution ? C’est bien une révolution que dévoile la plume acerbe de Lucinda Krementz. C’est celle d’une jeunesse de 68 faisant table rase du poids de ses patriarches. Elle suit avec ferveur cette mise à bas des anciennes valeurs pour écrire son nom, liberté ! Le dernier reportage se veut d’abord culinaire. Il voudrait rendre compte du travail du plus grand chef français portant au niveau de l’art celui de manger. Le maître à penser est aussi policier, le lieutenant Nescafier. Chez lui, on passe à table au sens propre comme au figuré. Ces trois articles s’interrogent sur l’âme du temps perdu de cette madeleine de Proust, l’écrivain cher aux Français.
« Chercher une chose manquante et être en manque d’une chose oubliée » lieutenant Nescafier.
Nous retrouvons toute la fantaisie de Wes Anderson dans ce nouvel opus tourné en France. C’est à la fois une déclaration d’amour à un pays et un regard sur l’actualité d’hier pour mieux aborder aujourd’hui. Chacun trouvera matière à sa propre réflexion dans ce voyage fantaisiste. La littérature n’est jamais loin dans l’œuvre du réalisateur, qu’elle soit sous forme d’adaptation ou de clin d’œil glissé dans le cadre. Elle développe tout un art narratif allant d’un certain âge d’or du journalisme à la bande dessinée. Les images suivent le récit, se transformant en animation pour une course poursuite, en une de journaux, extraits d’articles et chapitres, comme dans un roman. Il déploie une galerie de personnages pittoresques, du peintre fou amoureux de sa gardienne aux jeunes révolutionnaires de mai 68. Un vent de folie parcourt les différents récits pour se moquer des petits travers de notre société.
Le premier s’amuse de l’art moderne, on cherche encore la forme dans ce chaos pictural. Le génie nait peut-être dans la folie quand plus aucune barrière ne retient le champ des possibles. Mais c’est aussi comment créer de toute pièce un artiste en vogue pour faire monter la cote. Dans le suivant, c’est un regard attendri sur cette jeunesse en pleine révolte en quête de liberté. La poésie et les échecs se marient avec bonne humeur en toile de fond des barricades. Un manifeste fait beaucoup parler de lui, clin d’œil à tous ces petits livres de couleur rouge et autres, propres aux révolutionnaires. Dans la dernière histoire, c’est la loi avec ces flics échappés des Cinq dernières minutes ou d’un roman de Simenon peut-être.
L’art de table, une des valeurs sures de la France, est en toile de fond de cette affaire policière. En prologue, la mort marque la fin d’une époque que clôt l’épilogue. C’est un temps qui s’achève et ne reviendra plus que dans nos souvenirs. On trouvera bien d’autres pistes de réflexion. Le cinéma de Wes Anderson est souvent multiple, ouvrant la porte sur le grand large. La mort est souvent présente comme point de passage du récit, ici dès l’ouverture. On pense parfois à un autre Andersson, Roy, lui aussi adepte de la fantaisie, de la poésie et du passé pour parler d’aujourd’hui. Nous retrouvons les mêmes nuances de couleurs, propres aux deux réalisateurs. Avec The French Dispatch, Wes Anderson confirme sa place particulière dans le paysage cinématographique mondial avec sa grammaire rigoureuse et une bande-son toujours surprenante.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original et français : The French Dispatch (litt. « La Dépêche de France »)
Sous-titre sur l'affiche : of the Liberty, Kansas Evening Sun (litt. « Du The Evening Sun à Liberty, Kansas »)
Réalisation : Wes Anderson
Scénario : Wes Anderson, d'après une histoire de Wes Anderson, Roman Coppola, Jason Schwartzman et Hugo Guinness
Décors : Adam Stockhausen
Costumes : Milena Canonero
Musique : Alexandre Desplat
Photographie : Robert Yeoman
Montage : Andrew Weisblum
Production : Wes Anderson, Jeremy Dawson, Steven M. Rales et Scott Rudin
Sociétés de production : Searchlight Pictures, American Empirical Pictures, Indian Paintbrush et Scott Rudin Productions
Sociétés de distribution : Searchlight Pictures (États-Unis), The Walt Disney Company France (France)
Pays de production : États-Unis
Langue originale : anglais
Format : couleur et noir et blanc
Genre : comédie dramatique, film choral
Durée : 103 minutes
Dates de sortie : 12 juillet 2021 (Festival de Cannes) 27 octobre 2021 (sortie nationale)
Distribution
Benicio del Toro : Moses Rosenthaler
Adrien Brody : Julian Cadazio
Tilda Swinton : J. K. L. Berensen
Léa Seydoux : Simone
Frances McDormand : Lucinda Krementz
Timothée Chalamet : Zeffirelli
Lyna Khoudri : Juliette
Jeffrey Wright : Roebuck Wright
Steve Park : le lieutenant Nescafier
Bill Murray : Arthur Howitzer Jr.
Owen Wilson : Herbsaint Sazerac
Christoph Waltz : Boris Schommers
Jason Schwartzman : Hermes Jones
Mathieu Amalric : le commissaire
Liev Schreiber : l'animateur du talk-show
Elisabeth Moss : Alumna
Edward Norton : le chauffeur
Willem Dafoe : un prisonnier
Lois Smith : Upshur Clampette
Saoirse Ronan : première showgirl
Cécile de France : Madame B
Guillaume Gallienne : Monsieur B
Rupert Friend : sergent instructeur
Henry Winkler : Oncle Joe
Bob Balaban : Oncle Nick
Hippolyte Girardot : Chou-fleur
Anjelica Huston : une narratrice
Fisher Stevens : conseiller juridique
Pablo Pauly : le premier serveur
Griffin Dunne : éditeur d’histoires
Wally Wolodarsky : « l’écrivain joyeux »
Denis Ménochet : garde pénitentiaire
Benjamin Lavernhe : un présentateur au show télé
Gilles Gaston-Dreyfus : le maire
Félix Moati : un serveur
Stéphane Bak : C.R.S.
Alex Lawther : Morisot
Damien Bonnard : un policier
Morgane Polanski : la camarade étudiante
Anjelica Bette Fellini ; la lectrice de Proof
Tom Hudson : Mitch-Mitch
Rodolphe Pauly : Patrouilleur
Nicolas Saada : Avocat
Alexandre Steiger : Docteur
Grégoire Leprince-Ringuet : TV reporter