Le vieil homme n’a plus toute sa tête. Dans son esprit, la mémoire commence à lui jouer de vilains tours. Elle l’entraine sur les territoires de la confusion, vidant les pièces, les murs de la maison des souvenirs. Les visages deviennent troubles, se mélangent, pour recomposer une autre histoire. Elle n’a plus rien à voir avec celle d’hier. Elle s’accroche à des riens pour recomposer des tous, sens dessus dessous. C’est le temps des portes qui se ferment pour ne plus s’ouvrir, des pièces qui se vident, métaphore de la demeure chargée de notre passé. Il s’effacera peu à peu, les visages, les mots, les souvenirs si bien cadenassés resteront sans écho. Il n’en demeure plus rien que le vide, le gouffre avant que la mort ne l’emporte, trop absent pour rester encore accroché à la vie.
Floriant Zeller, auteur de théâtre à succès, adapte dans une première réalisation réussie la première pièce de sa trilogie, Le père, avant Le fils et sans doute La mère. Il ne faut pas craindre de se perdre, de ne plus reconnaître le fil de la narration, dans ce labyrinthe de la mémoire qui s’enfuit. Le spectateur, comme le père aux portes de l’Alzheimer, ne reconnaît plus le sens de la vie. Il s’égare entre les visages, redessinant la carte des fidèles, de la fille, aux auxiliaires médicales. Ils deviennent les pièces d’un puzzle jeté sur la table de l’existence. Le vieil homme n’arrive plus à trouver le chemin pour reconstituer le tableau de la vie. L’Alzheimer, le déclin programmé, est devenu un sujet de cinéma avec des grands moments comme N’oublie jamais, Still Alice, Se souvenir des belles choses, Amour, et bien d’autres.
La pièce de Florian Zeller connaissait une adaptation sympathique de Philippe Le Guay avec un Jean Rochefort en pleine forme pour son dernier rôle. C’est souvent le propos pour faire pleurer Margot quand il est moins inspiré. En général, le point de vue est celui de l’entourage qui ne peut retenir cette mémoire qui fout le camp et la violence qui finit par un placement. Dans The Father, c’est celui du père, le spectateur prenant place pour ce voyage sans retour dans son esprit. Il finit comme Anthony, admirablement joué par Anthony Hopkins, par ne plus savoir où il est.
C’est la première fois que l’acteur, habitué aux personnages forts, interprète un homme brisé, faible. Olivia Colman n’est pas en reste dans le rôle de sa fille. C’est bien cette descente dans le vide et une nouvelle composition du paysage, le cœur du récit. C’est troublant, agaçant pour certains, mais si réel. Zeller renforce notre peur de cette confrontation avec la dégénérescence, l’Alzheimer, l’oubli. Comment ne pas craindre de tout perdre aux portes de l’Hadès, franchir le Styx à nu, comme au premier jour de notre naissance ? C’est ne plus être qu’une coquille vide de sens, ne plus reconnaître ces visages tant aimés. Florian Zeller a eu la bonne idée de confier sa pièce à Christopher Hampton pour une version cinéma. Il évite les pièges comme le théâtre filmé, les sorties extérieures quand on n’a plus rien à dire, etc.
À l’inverse, la mise en scène élégante s’appuie sur un cadre resserré, sans horizon, marquant cet esprit qui peu à peu se resserre et se vide. Il utilise la lumière, la musique, les pièces de la demeure, miroir de notre cerveau, métaphore de cette dégénérescence. Les portes se ferment et s’ouvrent, marquant à chaque fois la progression du mal. Le temps est représenté par l’obsession de la montre, nous rappelant l’inéluctable fin qui approche à grands pas. La dernière séquence est un petit bijou de cinéma. Deux corps enlacés, la caméra s’échappe par la fenêtre, caresse les feuilles d’un arbre et s’évanouit dans le bleu de l’horizon infini, métaphore de l’oubli.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : The Father
Réalisation : Florian Zeller
Scénario : Florian Zeller et Christopher Hampton, d'après la pièce Le Père de Florian Zeller
Photographie : Ben Smithard
Montage : Yorgos Lamprinos
Musique : Ludovico Einaudi
Production : Philippe Carcassonne, Simon Friend, Jean-Louis Livi et David Parfitt
Sociétés de production : Trademark Films, Cine@, AG Studios NYC, Embankment Films, F Comme Film, Film4 et Viewfinder
Sociétés de distribution : Lionsgate (Royaume-Uni), Orange studio / UGC (France), Sony Pictures Classics (USA)
Budget : n/a
Pays d'origine : Royaume-Uni, France
Langue originale : anglais
Format : couleur
Genre : drame
Durée : 97 minutes
Dates de sortie : 26 mai 2021
Distribution
Anthony Hopkins (VF : Jean-Pierre Moulin ; VQ : Guy Nadon) : Anthony
Olivia Colman (VF : Isabelle Gélinas ; VQ : Manon Arsenault) : Anne
Rufus Sewell (VF : Bernard Gabay ; VQ : Daniel Picard) : Paul
Imogen Poots (VQ : Stéfanie Dolan): Laura
Olivia Williams (VQ : Anne Bédard) : Catherine
Mark Gatiss (VQ : Sylvain Hétu): Bill