Dans l’ombre se cache une autre réalité, ce que nous percevons n’en est qu’une partie infime. Pour l’instant, Stephen Strange semble plus préoccupé par son orgueil et ses talents de neurochirurgien que par un univers au-delà de la conscience. Notre vie ne tient qu’à un petit rien, un souffle sur l’arbre et la feuille vibre à contre-courant. Un accident et le monde que vous connaissez explose, perd ses repères, sans ses mains Stephen l’orgueilleux n’est plus que le vent sans la feuille. Il ne peut plus opérer et toute sa raison de vivre s’écroule. A l’intérieur, dans le gouffre de la conscience, une aube s’agite, une feuille commence à vibrer. L’arbre du monde attend que le vieil ermite et le jeune novice se retrouvent pour que de nouveau tourne la roue du karma.
Pour l’instant, c’est le temps de l’errance, la rédemption n’est qu’une graine que l’on ignore en son cœur. Ailleurs, un ancien porte le fardeau d’une autre réalité d’un monde invisible que seules les portes d’une autre perception ouvrent sur l’infini cosmos. Il résiste au vent de folie qui secoue la trame des galaxies et notre monde un autre disciple, un autre chemin et plus rien. Kaecilius le fils prodige s’est trompé de lutte et aujourd’hui le voilà en lutte contre la mère des mondes. Quelque part dans l’infini néant, le souffle du vent touche la feuille qui commence à vibrer. Strange pose le premier pas sur la voie.
Elle le conduit à la porte d’un temple perdu au Népal où l’ancien l’accueille et l’éduque, mais la route est longue et périlleuse et le temps manque. L’orgueil se brise sur l’arbre du monde et l’humilité, l’apprentissage des arts magiques, ouvrent les portes d’une autre perception au Docteur Strange. Mais le diable caché en chacun de nous, les démons avides de pouvoir lui laisseront-ils le temps de parfaire son apprentissage ? Les ténèbres s’éveillent, oubliant que pour une nuit il faut un jour. C’est la lutte pour l’équilibre du monde qui achève l’arbre du sorcier ou le coupe à la racine.
C’est en 1963 que le Docteur Strange apparaît pour la première fois aux Etats-Unis et en 1971 en France. Il est marqué par ce courant des années soixante et soixante-dix, la quête d’une autre sensibilité, les portes de la perception chantées par les Doors, la voie du peyotl, LSD ou le voyage à Katmandou. Le chamanisme, la quête du Graal, les Celtes se retrouvaient au cœur d’une vague qui influence une partie de la jeunesse. C’est dans ce vivier d’idées, entre art magique, mystique et bouddhisme tibétain que Stan Lee et Steve Ditko créent le personnage donnant les bases d’une mythologie particulière. Plusieurs équipes se succèderont pour donner vie au projet qui s’arrête en 1999. On le retrouve dans la minisérie Strange par Joe Michael Straczynski et Brandon Peterson parues sous le label Marvel Knights. Strange c’est d’abord un chemin initiatique, celui d’un homme qui pense tout connaître du monde.
Nous retrouvons le principe universel du disciple qui, un jour, prend conscience de sa nature et décide de frapper à la porte du vieux maitre. En général, c’est un être égoïste croyant tout savoir, avide et cupide. Il passe de l’ombre à lumière, chemin inverse de son miroir noir Kaecilius qui était autrefois la promesse d’un nouveau maitre. Hier, il était le meilleur des élèves, il suit le chemin inverse, de la lumière aux ténèbres. Nous retrouvons cette idée dans le chemin de la transmission du maître qui choisit parfois un autre pour porter son enseignement. Le nouveau Docteur Strange respecte la bande dessinée des origines en lui apportant des modifications légères, mais importantes comme une femme dans le rôle de l’ancien. Tilda Swinton en fait un personnage plus ambigu, plus complexe, renforçant le récit et le choix du chemin à prendre. Strange trouve dans ce temple du Népal la voie de sa rédemption et enfin un vrai sens à sa vie.
Il devra apprendre les arts magiques et mystiques sans oublier la méditation. Le deuxième point important est la visualisation de la magie, habilement menée, et la vision de cette réalité que le profane ignore. Pour faire simple, le monde que nous voyons n’est pas le monde réel. Il appartient donc au disciple par la méditation et le chemin d’éveil de l’appréhender dans sa vraie nature. C’est l’influence bouddhiste plus tibétaine que Zen et Tao encore que… Une deuxième influence magique plus occidentale apparaît. Elle prend sa source dans le chamanisme, un peu des mythes celtes, l’alchimie, et la sorcellerie de nos campagnes. Doctor Strange mélange de façon habile le creuset pour trouver sa pierre philosophale. N’oublions pas que l’alchimiste touche à la création du monde à travers le grand œuvre. La transformation se fait à travers les trois couleurs, le noir, le blanc et le rouge. La noirceur de notre âme, de nos pensées a transformé en blanc par le contact avec l’ancien et le rouge de l’éveil où le disciple est en harmonie avec le monde.
Il n’était pas évident de rendre abordables toutes ces notions complexes. Les sorts seront des cercles de lumière rouge et vert pour Strange, clin d’œil à la roue des renaissances, de l’univers, le cercle infini. Il restait l’aspect de ce monde invisible à nos yeux et là, c’est du côté de Nolan et Inception avec ses immeubles destroy. Pour donner vie au personnage, il fallait un acteur qui, comme pour Sean Connery, apporte tous les codes à la création du personnage, et lui donne une stature crédible. Benedict Cumberbatch réussit ce tour de force avec, à ses côtés, Mads Mikkelsen dans le rôle du méchant de l’histoire et une pléiade de seconds rôles excellents. Un petit mot pour finir sur le look du film qui s’émancipe de celui de la BD très branchée des sixties. C’est avec plaisir que nous découvrons enfin, sans être trahi, au contraire avec enthousiasme un personnage de notre jeunesse. Comme nous il suivait une voie qui le conduirait loin d’un monde cupide et sans âme. Il nous propose un univers où l’énergie du vivant dépasse notre entendement.
Vous trouverez tous les albums de Strange aux éditions Marvel Panini dont l’intégrale des années 63 à 66.
Patrick Van Langhenhoven.
Titre original et français : Doctor Strange
Titre québécois : Docteur Strange
Réalisateur : Scott Derrickson
Scénario : Thomas Dean Donnelly, Joshua Oppenheimer et Jon Spaihts, d'après les personnages créés par Steve Ditko et Stan Lee
Direction artistique : Ray Chan
Décors : Charles Wood
Costumes : Alexandra Byrne
Photographie : Ben Davis
Casting : Sarah Finn
Musique originale : Michael Giacchino
Montage : Wyatt Smith
Effets visuels : Industrial Light & Magic
Producteurs : Kevin Feige
Producteurs délégués : Victoria Alonso, Stephen Broussard, Louis D'Esposito, Alan Fine, Stan Lee, Charles Newirth
Société de production : Marvel Studios
Société de distribution : The Walt Disney Company
Langue originale : anglais
Genre : science-fiction
Durée : 130 minutes
Dates de sortie1 : 26 octobre 2016
Distribution
Benedict Cumberbatch (VF : Jérémie Covillault) : Dr Stephen Strange / Doctor Strange
Chiwetel Ejiofor (VF : Frantz Confiac) : Karl Mordo / Baron Mordo (en)
Tilda Swinton (VF : Juliette Degenne) : l'Ancien (en)3
Benedict Wong (VF : Xavier Béja) : Wong (en)
Michael Stuhlbarg : Dr Nicodemus West
Rachel McAdams (VF : Noémie Orphelin) : Christine Palmer
Mads Mikkelsen (VF : Yann Guillemot) : Kaecilius
Amy Landecker
Scott Adkins
Stan Lee : (caméo)