« Les petits cons de la corniche. La bande. On ne sait les nommer autrement. Leur corps est incisif, leur âge dilaté entre treize et dix-sept et c’est un seul et même âge, celui de la conquête : on détourne la joue du baiser maternel, on crache dans la soupe, on déserte la maison. » Maylis de Kerangal
Le long de la corniche, les corps s’élancent vers le soleil, épousant le ciel bleu pour fracasser les embruns. Ils cherchent peut-être à fuir un monde qui les rejette, ne s’inquiètent pas de leur devenir. Ils cherchent peut-être à dompter la vie au pied des immeubles où vivent les bons bourgeois, eux minots sans foi ni loi. La corniche interdite devient leur territoire pour braver l’ordre et la vie, crier au monde, quoi, ils sont capables avant d’être coupables. Suzanne les regarde se perdre de sa fenêtre, dompter la vie. Un jour, elle franchit la ligne, brise les règles des quartiers huppés pour se mêler à la bande. Elle cherche peut-être à briser l’ennui d’une vie pas si différente dans la tourmente des premiers jours, quand on arpente le trottoir de la vie, avant que tout ne devienne règle et serment. Une romance prend vie dans le soleil de la ville pas comme les autres. Un Jules et Jim à la marseillaise sur fond de corniche. Leur histoire est bousculée par une enquête policière qui leur rappelle que pas loin, la société veille au bon ordre.
Après le très réussi Réparer les vivants et bientôt Naissance d’un pont par Julie Gavras, Dominique Cabrera adapte Corniche Kennedy. Elle saisit avec poésie et délicatesse une jeunesse en perdition et une ville où la magie s’imprègne du vent marin. Rien que pour ces deux morceaux, le film mérite que l’on s’y attache. La partie policière est moins réussie et la figure du capitaine méritait un peu plus. Dommage qu’elle n’utilise pas mieux cette femme, autoritaire, compréhensive, figure maternelle portant l’inquiétude que l’avenir leur réserve. Dans ce rôle, Aîssa Maîga est parfaite avec une séquence très symbolique à la fin. À notre avis, Dominique Cabrera aurait dû rester concentrée sur le cœur du roman, une jeunesse se cherchant un futur.
Que ce soit les gamins des quartiers chauds ou Suzanne, la petite-bourgeoise, tous semblent perdus dans un monde sans avenir. Comme le dit l’un d’entre eux à Awa, la femme flic. « Tu es éteinte toi ! Moi je suis allumé, je suis à fond ! » C’est bien le cœur du récit, un monde qui aurait perdu le goût de tout, broyé par un monde qui n’a plus de sens. Comment peux-tu tracer ta route quand même les adultes semblent désemparés face à la société ? Ces derniers ont fui l’horizon que les minots retrouvent en sautant de la corniche. Mieux vaut vivre ses rêves au risque d’en mourir qu’être un mort-vivant. La réalisatrice trouve la bande parfaite, entre comédiens de métier et non-professionnels. Elle donne à voir une ville loin des stéréotypes de l’actualité, souvent repris par le cinéma.
Elle nous entraine dans une balade poétique à la découverte de l’âme de Marseille à la rencontre des terres gorgées de soleil aride et de la mer où naissent les légendes des pays lointains. Elle décrit un monde multiculturel où chacun trouve sa place et bâtit son avenir dans le creuset des différences. L’histoire d’amour, trio amoureux paisible très contemporain, ne joue pas sur la violence, mais comme le groupe, sur le partage et la compréhension. À la fin, Medhi aura un geste noble comprenant que Suzanne a fait son choix. C’est un film où chacun se construit, trouve le sens de son existence et s’envole pour arpenter le monde.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : Corniche Kennedy
Réalisation : Dominique Cabrera
Scénario : Dominique Cabrera, d'après Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal
Musique : Béatrice Thiriet
Montage : Sophie Brunet
Photographie : Isabelle Razavet
Décors : Christian Roudil
Costumes :
Producteur : Gaëlle Bayssières
Production : Everybody on Deck
Distribution : Jour2fête
Pays d'origine : Drapeau de la France France
Durée : 94 minutes
Genre : Drame
Dates de sortie : 18 janvier 2017
Distribution
Lola Créton : Suzanne
Aïssa Maïga : Awa
Moussa Maaskri : Gianni
Kamel Kadri : Marco
Alain Demaria : Mehdi