C’est un matin comme un autre, la douceur du jour prend le temps d’accompagner le passant à travers les ombres. Sasha se rend à son travail pour une journée habituelle, sans heurt inscrit au calendrier des jours qui tournent, comme hier et le jour d’après. Sauf, qu’il n’y aura plus jamais de demain. Elle s’effondre dans le cœur léger de l’été, sur la couche verte d’un printemps qui ne reviendra plus. La mort viendra bien assez tôt faucher le bel âge, brûler les promesses d'avenir ébauchées. Il ne restera que l'onde d'une présence fantomatique avant que le temps ne l'efface. Les souvenirs prendront les couleurs de l'automne et mourront dans cet hiver creusé par l'absence.
Aujourd'hui, profitons de l'été et de la chaleur encore vive des évocations comme la flamme du foyer. On construira des temples au fond de notre âme avec ces petits riens qui restent et nous rappellent l'autre. C'est ce voyage que nous invite à faire Ce sentiment de l'été. L'après, la longue réédification à travers plusieurs années et plusieurs lieux. Chacun, à sa façon, rebâtit son existence comble le vide, réapprend à aimer et surtout à poser un regard de vivant sur chaque jour. Le film joue la carte de l'intime, du temps qui passe, effleurant les cordes du violon de l’existence. Le deuil obscur et profond rompt la parole, installe le silence, le vide. Peu à peu, les mots, les gestes reviennent, reprennent la route pour reconstruire une nouvelle promesse du jour. Nous abandonnerons là nos voyageurs endeuillés, libérés du poids de la mort pour un retour au monde des vivants.
Mourir, c'est faire le deuil de l’autre, ouvrir une route où il n’ira jamais. Comment les survivants continuent d'avancer sur le chemin de la vie. Et surtout, est-ce que ça vaut le coup de vivre sa vie ? Tu ne peux pas te mettre à l'écart, autour de toi les petites existences pâlottes continuent leur ballet d'illusions ou de certitudes. On voudrait figer le temps pour que l'autre s'éternise dans les abîmes de notre conscience, ne disparaisse jamais. Le sentiment de l'exil, ailleurs sera toujours meilleur qu'ici, c'est peut-être une façon de fuir. C’est l’éternel Ulysse en quête de son Ithaque perdue. Aveugle et sourd au monde, tu es porté par ta douleur. Tu n'entends pas le bruit de la pluie. La pluie se lamente et emporte dans ses ruisseaux les bribes, les morceaux du passé pour que fleurisse de nouveau le chant des beaux jours. Alors on peut reprendre en main le battement de son cœur et bâtir, sur le printemps, la venue d'un nouvel été.
Comment vivre le présent avec hier en fond pourrait être une des questions que pose Mikhaël Hers. Déjà dans Memory Lane, certains des personnages recherchaient le temps des vieux soupirs, souvenirs. La mort de Sasha brise les promesses du présent et l’idée d’un futur à deux. C’est avec subtilité, délicatesse et tendresse que, dans l’errance, la balade d’une fin de deuil ouvre la promesse des lendemains libérés des chaînes d’aujourd’hui. Le réalisateur saisit plusieurs villes dans les couleurs de l’été indien, entre la fin des fortes chaleurs et le début des rouges et or pleins de richesse. Zoé, la sœur de Sasha et Lawrence, son amoureux, son autre moitié désarmée, cherchent le chemin des habitudes, rebâtir un champ d’espoirs sur une terre où ne coulent que les larmes.
Juste se réapproprier les petites choses insignifiantes et pourtant si importantes du rythme des jours. Il existe entre ces deux-là quelque chose de mystérieux, un lien tissé par l’absente qui les rapproche. Pourtant Mikhaël Hers évite de les rapprocher âme contre âme, au contraire, il tisse autre chose dans leur relation de plus infime. Tous les deux, au bout de la longue errance, balade dans le cœur de villes aussi différentes que Paris, Berlin, New York ou Annecy trouveront la force de sourire de nouveau, d’aimer, de vivre. Ce sentiment de l’été c’est cet arrêt du temps, quand le deuil frappe au cœur. Il fige la montre égraine le tic-tac du vide et de l’absence. C’est dans la douceur de l’été qu’ils puisent la force d’une reconstruction, d’un oubli.
C’est dans l’espace bousculé, reconstruit pour la mère, dans la maison où Sasha courait enfant. C’est dans l’espace de l’exil des villes que Lawrence trouve le terreau pour planter la nouvelle graine. C’est dans celui de sa vie que Zoé reprend le fil de la route. Il ne restera plus, accrochée au mur, que la photo d’hier qui n’a pas jauni et qui porte les vieux rires pour que résonnent à nouveau les grelots de la joie. Film zen à la Ozu, la vie devient la toile du récit où elle prend toute sa richesse que nous oublions souvent, pris dans ses méandres. Nous pensons à des réalisateurs comme Éric Rohmer, Woody Allen, Noah Baumbach, Yasujirō Ozu, Joachim Trier, Mikhaël Hers s’approprie l’espace et le fluide de la narration dans le même sentiment ineffable du temps qui passe et pourtant laisse une trace plus profonde que ce simple vent léger. Anders Danielsen Lie fortifie la qualité de son jeu tout en finesse, s’appuyant sur des petits riens pour nous prendre au cœur. Judith Chemla, actrice prometteuse, confirme qu’elle mérite une place plus importante dans notre paysage cinématographique.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : Ce sentiment de l'été
• Réalisation : Mikhaël Hers
• Scénario : Mikhaël Hers et Mariette Désert
• Musique : Thomas Jamois
• Montage : Marion Monnier
• Photographie : Sébastien Buchmann
• Costumes : Caroline Spieth
• Décors :
• Producteur :
◦ Coproducteur : Vanessa Ciszewski, Olivier Père et Remi Burah
◦ Producteur délégué : Pierre Guyard
◦ Producteur associé : Christophe Rossignon, Philip Boëffard et Ève François Machuel
• Production : Katuh Studio, Rhône-Alpes Cinéma, Arte France Cinéma et Nord-Ouest Films
• Distribution : Pyramide Distribution
• Pays d'origine : France et Allemagne
• Durée : 106 minutes
• Genre : Drame
• Dates de sortie : 17 février 2016
Distribution
• Anders Danielsen Lie : Lawrence
• Judith Chemla : Zoé
• Marie Rivière : Adélaïde
• Féodor Atkine : Vladimir
• Dounia Sichov : Ida
• Stéphanie Déhel : Sasha
• Lana Cooper : June
• Thibault Vinçon : David
• Laure Calamy : Anouk
• Timothé vom Dorp : Nils
• Jean-Pierre Kalfon : Faris
• Marin Ireland : Nina
• Josh Safdie : Thomas
• Mac DeMarco : Marc