La descente aux enfers d’un avocat pénal, attiré par l’excitation, le danger et l’argent facile du trafic de drogues à la frontière américano-mexicaine. Il découvre qu’une décision trop vite prise peut le faire plonger dans une spirale infernale, aux conséquences fatales.
On croirait presque à un rite de passage tant, cette année, les artificiers hollywoodiens cherchent tous à avoir leur petit film indépendant. On pense notamment à Michael Bay qui, tout juste sorti de la franchise aux gros sabots Transformers, s’offre un petit No Pain, No Gain mais aussi à Gore Verbinski pour sa tentative avortée d’émancipation avec Lone Ranger après les Pirates des Caraïbes. Ridley Scott avait lui aussi besoin de prendre un nouveau virage, surement motivé par une certaine liberté de ton, une façon de renouer avec l’essence de son cinéma et avec ses marottes. Pour sa petite incartade, le réalisateur britannique s’offre le premier scénario original du romancier Cormac McCarthy (No Country for Old Men) et rassemble une équipe d’acteur cinq étoiles. Pas sûr que cela suffise pourtant à animer la besogne, surtout si son faiseur lui-même ne croit pas en ce qu’il fait.
Cartel est un film en deux temps. Passé une ouverture touchante dans le lit de l’avocat et de sa bien-aimée, le film présente dans une première partie un à un ses (nombreux) protagonistes, d’importances inégales, chacun récitant une succession de dialogues quasi-philosophiques sur les énigmes du destin, le triomphe de la mort, quoi qu’il arrive et le sens de la vie en général. Des conversations agrémentées de périphrases, de métaphores, de suggestions et de récit indirect pendant que derrière, un flux musical tente de nous alerter crescendo du caractère prémonitoire de ces digressions, en vain. Cette complaisance conceptuelle du scénario finit par agacer d’autant qu’à la fin de cette première partie léthargique, on ne retire pas grand chose si ce n’est la certitude que toutes ces circonvolutions auraient pu être résumées en deux phrases ou mieux, deux plans. Qu’il ne se passe rien, c’est une chose, mais c’en est une autre lorsque tout ce petit monde (acteurs, réalisateur et scénariste) va s’évertuer à faire comme s’il se passait réellement quelque chose, en brassant de l’air à grands renforts de regards fuyants, d’anecdotes troubles, de travelings mystérieux et de décors imposants.
En réalité, il faut faire preuve de patience dans Cartel et attendre que le film en arrive à l’action propre. Utilisant ces scènes de violence comme un exutoire de toute cette causerie, Ridley Scott n’a pas la main légère lorsqu’il s’agit des exécutions. A l’image de la préparation méticuleuse pour abattre le motard, décapité par un filin tiré en travers de la route, à hauteur calculée de sorte que la décapitation soit nette au moment où il va lever la tête, interpellé par les spots lumineux sur le bord de la route. Mais Scott ne veut pas se contenter de quelques scènes d’exécution sommaire et tente de bousculer un peu partout, encourageant la garce du film à provoquer un prêtre et à atteindre la jouissance sur le pare-brise d’une Ferrari (un flashback qui vient habiller une énième digression). Pas de doute, il y a de l’assurance et de l’audace derrière tout ça, mais elle repose sur un pessimisme absolu où tout est naufrage et où il ne sert de courir. Si on peut croire le scénario de McCarthy en majorité responsable de l’affront, il n’en est rien, ou plutôt, à proportion égale avec Ridley Scott qui, visiblement séduit par la verve littéraire de l’auteur, en oubli son langage cinématographique. On voit bien la patte du réalisateur, notamment dans sa manière saisissante et chirurgicale de filmer le trouble sur le visage humain (il rend toute son émotion au personnage de Penelope Cruz dans un rôle pourtant sacrifié). Sauf qu’il perd toute perspective artistique lorsqu’il se réoriente dans une illustration plate du scénario dans laquelle il embringue tous ceux réunis autour de lui, techniciens, scénariste et acteurs (tous irréprochables, mention spéciale à Fassbender impeccable).
Trahi par sa volonté de renouveau, Ridley Scott se perd dans un thriller sombre sans âme auquel il ne va rendre son plus bel effet. Gageons qu’il ne s’agit là que d’une tentative de rajeunissement, un léger glissement de terrain, permettant au réalisateur de retourner dans le droit chemin.
Eve BROUSSE