Capitaine Phillips retrace l’histoire vraie de la prise d’otages du navire de marine marchande américain Maersk Alabama, menée en 2009 par des pirates somaliens. La relation qui s’instaure entre le capitaine Richard Phillips, commandant du bateau, et Muse, le chef des pirates somaliens qui le prend en otage, est au cœur du récit. Les deux hommes sont inévitablement amenés à s’affronter lorsque Muse et son équipe s’attaquent au navire désarmé de Phillips. À plus de 230 kilomètres des côtes somaliennes, les deux camps vont se retrouver à la merci de forces qui les dépassent…
Après Bloody Sunday, sur le conflit en Irlande du Nord et Vol 93, sur l’attentat du 11 septembre, le réalisateur de Jason Bourne 2 et 3, Paul Greengrass, se confronte à un nouveau sujet d’actualité dans son dernier film Capitaine Phillips. Issu du documentaire, Greengrass affectionne particulièrement cette dimension « histoires vraies » qui rend chaque récit plus prenant et palpitant. Mais alors qu’il avait réussi avec brio à imposer son style ultraréaliste dans Vol 93, il va rencontrer quelques remous pour trouver l’équilibre entre thriller haletant et amertume documentaire ici. L’expérience n’en est pas moins extrêmement immersive et on prend un plaisir non dissimulé à partager l’angoisse du capitaine, jusqu’à la dernière seconde.
En juillet dernier, on découvrait dans nos salles sombres Hijacking de Tobias Lindholm, fiction très réussie sur un navire danois pris d’assaut par des pirates somaliens au large de l’océan indien. Ne bénéficiant pas du même budget ni des mêmes intentions artistiques que Greengrass, Lindholm avait misé sur l’anti-spectaculaire en préférant se confronter à la psychologie de ses personnages et notamment au fameux syndrome de Stockholm que développent les otages, comptant les jours de leur lente dérive.
Connaissant bien le capitaine à la barre de ce divertissement ci, on pouvait se douter d’entrée que le film n’allait pas prendre cette direction. Même s’il empreinte quelques notions de réel, Capitaine Phillips est surtout et avant tout un blockbuster spectaculaire, davantage qu’un documentaire scénarisé. D’une part, puisqu’il pioche allègrement dans les codes du drame en insérant un pur héro hollywoodien, bon père de famille avec une femme aimante qui l’attend à la maison et qui joue un rôle paternel pour son équipage. Et d’autre part, parce qu’il navigue entre deux eaux lorsqu’il s’agit de comprendre la situation en Somalie. Au détour d’une conversation coupée court ou d’une brève foire au travail, il se décharge de certaines questions essentielles et simplifie un sujet qui aurait mérité un traitement plus profond, même si on comprend manifestement la disparité : attendez de voir le déploiement des forces américaines autour du rafiot des pirates…
Pour autant, grâce notamment à la plume bien affutée du scénariste Billy Ray (Hunger Games, Jeux de pouvoir, Flight Plan), Paul Greengrass va tout de même accorder un peu de temps au développement d’un lien ambigu entre les deux personnages principaux, le capitaine et le chef des pirates. Relation de confiance, de force, de confidences, de leader, de défiance, le réalisateur les met constamment en confrontation jusqu’au moment où ils vont se retrouver fatalement dans le même panier. Par cette tentative de parité, il évite tout manichéisme et patriotisme et laisse même un espace suffisant pour encourager l’empathie vis-à-vis des « méchants ». Malgré tout, il épouse bel et bien le point de vue de Richard Phillips, tour à tout héroïque et pétrifié, toujours réfléchi et censé face à la situation qui échappe à tout contrôle. Dans un rôle de composition pas évident, Tom Hanks est un peu pris au piège par des ficelles faciles pour servir l’effet dramatique et forcer l’identification mais s’en sort honorablement en homme ordinaire qui doit affronter une situation extraordinaire. Sans mériter un oscar pour sa performance, il fait preuve d’une réelle sensibilité de jeu et devient carrément bouleversant quand arrive la scène de fin. Mais il n’est pas la seule bonne surprise de la besogne. Capitaine Phillips est aussi l’occasion de découvrir Barkhad Abdi qui réussit à tenir tête avec aplomb au comédien doublement oscarisé.
Derrière son casting de qualité, on découvre progressivement l’acteur principal du film : la mise en scène. Dans une ambiance cocotte-minute insoutenable, Greengrass distille un style viscéral qui lui est propre avec caméra à l’épaule et montage sec, et offre des séquences hallucinantes à l’image de l’abordage ou du cache-cache avec l’équipage. Plus tard, confiné dans un canot infiniment plus petit, le cinéaste arrive toujours à entretenir son suspense dans un face à face avec la marine US sans issue. En conciliant souci du détail et nervosité documentaire, il arrive ainsi à patiner les longueurs qui s’imposent dans la deuxième heure, inévitables du fait de l’espace réduit et de la finalité irrémédiable.
La fin, amer, va démontrer toute l’intelligence de Greengrass. Sous ses faux-airs de happy-end, les intrigues se dénouent sans relâcher la pression pour conclure sur la fatalité déchirante de ce genre d’enjeu. Une note défaitiste, un regard sur le monde loin d’être sans fond qui bouscule le statut de victime et qui laisse le spectateur sur un soulagement/regret interpellant. Derrière les impératifs d’un grand divertissement, Paul Greengrass a beau édulcorer légèrement la réalité, il livre avec Capitaine Phillips un film haletant et troublant qui met votre palpitant à rude épreuve.
Eve BROUSSE