Antoine et Olga trouvent dans ce petit village de Galice leur paradis perdu. Ils s’occupent d’une ferme écologique et de la restauration de vieilles maisons abandonnées dans le village. Ils espèrent attirer d’autres personnes dans ce coin où leur bonheur s’épanouit. En refusant de signer l’installation d’éoliennes contre l’avis des autochtones, ils provoquent une série de conflits mettant en péril la paix. Ils se retrouvent confrontés aux frères Xan et Lorenzo qui voyaient l’opportunité d’un changement avec l’argent du projet. Ils espéraient quitter ce coin perdu pour construire un autre rêve en ville. La tension monte de plus en plus pour finir par exploser, provocant l’irréparable.
Rodrigo Sorogoyen découvert avec Que dios nos perdone, abordait déjà la frontière entre le bien le mal. Depuis, il a réalisé deux excellents films, Reino, et Madre. On pourrait penser que l’exode inverse de la ville vers la campagne est facile. Personne n’accueille Antoine et Olga à bras ouverts, encore moins Xan et Lorenzo. C’est d’abord de la méfiance, des petites agressions verbales et plus. Les deux frères espéraient échapper à une condition difficile grâce aux éoliennes. Puis tout bascule dans le drame. Ce sont deux rêves, deux visions du monde qui s’entrechoquent. C’est celui des citadins venus trouver le bonheur et un petit coin de paradis sur les terres de l’oubli. Ce retour à la terre convient bien à Antoine et Olga. Ils semblent plus proches de la vraie vie simple, des horizons se cognant sur les montagnes.
La ville et son univers impitoyable de mensonges et de fausse sincérité apparaissent bien loin. Pour Xan et Lorenzo, c’est une tout autre idée. Il s’agit d’échapper à la misère de la terre, à l’horizon des murs de la grange. La vie est dure, pénible. Elle n’offre qu’une prison sans avenir. L’arrivée des éoliennes serait le moyen de fuir tout cela et de construire un autre avenir en ville. Ils ignorent que leur rêve, tout comme celui d’Antoine et Olga, possède une large part d’utopie. L’un et l’autre s’appuient sur une idée, un idéal avec lequel il faut composer. Il y a aussi la méfiance envers l’étranger, celui qui n’est pas né ici. Certains acceptent le couple avec bienveillance, tissent des liens sincères et les suivent dans leur idée de préserver ce bout du monde. Rodrigo Sorogoyen explore la montée de la violence entre les deux camps. On pense au western auquel il empreinte les codes de vengeance et de violence, avec sa scène incontournable du saloon. C’est le bistrot, lieu de convivialité et de règlement des tensions. C’est toute cette mécanique qu’explore avec justesse et sans haine le réalisateur.
Il n’excuse pas la haine et la violence, ni le misérable chemin qu’elles empruntent, qu’il montre sans fioriture. La première partie aboutit à un point de non-retour que nous ne dévoilerons pas. Denis Ménochet nous étonne une fois de plus dans un rôle complexe. Dans la deuxième partie, Marina Foïs confirme sa capacité à épouser aussi bien le drame que le rire avec talent. Tout se joue sur le non-dit, le paysage sauvage, les maisons en ruines que l’on reconstruit, à l’image de sa vie. Olga et Antoine espèrent trouver la rédemption que Lorenzo et Xan pensent perdue à tout jamais. Dieu les a oubliés au purgatoire, aux portes du paradis à jamais closes. La lumière s’appuie sur des extérieurs en demi-teintes, à la limite de la brume et des intérieurs éclairés par les lampes rognant les coins d’ombre. Elle est à l’image de la vie dans ce coin du monde, dure et fragile, merveilleuse pour certains, terrible pour d’autres. As Bestas est un grand film nous rappelant que les humains sont fragiles. Il suffit de presque rien pour qu’ils deviennent sourds au chant des autres.
Patrick Van Langhenhoven.
Titre original : As bestas
Réalisateur : Rodrigo Sorogoyen
Scénario : Rodrigo Sorogoyen, Isabel Peña (es)
Photographie : Alejandro de Pablo (es)
Montage : Alberto del Campo
Musique : Olivier Arson
Société de production : Arcadia Motion Pictures, Caballo Films, Cronos Entertainment, Le Pacte
Société de distribution : Le Pacte
Pays de production : Espagne - France
Langue originale : espagnol, français, galicien
Format : Couleur - 2,35:1
Durée : 137 minutes
Genre : thriller
Dates de sortie : 26 mai 2022 (Festival de Cannes 2022) 20 juillet 2022
Distribution
Denis Ménochet1 : Antoine
Marina Foïs1 : Olga
Luis Zahera (es)1 : Xan
Diego Anido (gl)1 : Lorenzo
Marie Colomb4 : la fille d'Antoine et Olga