Anatolia

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Un film de Ferit Karahan,
Avec Samet Yıldız, Ekin Koç, Mahir İpek ,

Genre : Drame psychologique
Durée : 1h25
France

En Bref

Au cœur des montagnes de l’Anatolie orientale, Yusuf et son meilleur ami, Memo, survivent dans un pensionnat pour garçons kurdes. Ils baignent dans un univers de violence où la moindre chose est un combat quotidien. L’encadrement ne connaît qu’une règle, celle de la répression à l’ancienne. Ce sont des méthodes dures pour former le caractère et faire plier ces enfants. Ils apprennent à devenir de bons citoyens turcs. Dans ce paysage enneigé six mois de l’année, se construire un avenir n’est pas la priorité. Il faut juste survivre pour surpasser la tempête des années. Il faut juste garder en soi un peu de compassion pour ne pas reproduire le même schéma une fois dehors. Dans cet ouragan, Yusuf et Memo préservent leur amitié pour passer le cap. Memo devient une ombre, trop malade pour réagir. Yusuf devra déplacer des montagnes pour que son ami revienne au pays des vivants. Il possède un atout dans cette tempête intérieure, quand rien ne va plus et tourne au cauchemar. Les adultes encadrants ne souhaitent pas faire de vagues. Ils ne souhaitent pas laisser apparaître leurs failles et trafics. Dans ce contexte, il faudra peut-être quand même un miracle pour que Memo et Yusuf sortent de l’ornière.

Ce huis clos que connaît bien le réalisateur pour l’avoir vécu, est l’occasion d’aborder plusieurs sujets forts. C’est la condition des enfants et du peuple kurde dans un pays qui ne les reconnait pas. C’est la perte de l’innocence pour Yusuf, muraille de colère silencieuse. Le garçon parle peu, comme si la parole ne délivrait que souffrance. Comme si les mots, dans ce territoire du mensonge, n’entrainaient que punition. Seul le regard, rempart noir, raconte ce que les mots ne peuvent dénoncer. Les adultes encadrants sont souvent d’anciens élèves qui reproduisent le système. Comment se construire, ne pas laisser la haine, la colère et la violence s’emparer de votre âme ? Tout est lutte et magouille pour obtenir une douche de plus par semaine, un morceau de pain.

L’amitié des deux gamins est silencieuse, invisible, fragile. Il faut la cacher pour ne pas en mourir. C’est l’idée d’une éducation à la dure pour forger le caractère et les corps. Elle finit par échapper aux tortionnaires et les menacer du scandale. Comme le dit le réalisateur, « nous avons baigné dans la cruauté avant même la chance d’apprendre ce qu’était la compassion ». L’histoire se déroule sur une journée et s’attache à nous montrer l’environnement répressif aux plans physique et mental. C’est une parcelle d’un chemin d’initiation, d’apprentissage de la survie en combattant la mort. La vérité finit par se montrer, nue comme au premier jour et terrifiante dans ce qu’elle nous dit dans son silence. Yusuf est un personnage passif, comme la majorité des gamins.

Ferit Karahan s’est inspiré de ceux de Marcel Proust. Yusuf ressemble à cette branche ballottée par le torrent qui n’atteindra peut-être pas la mer. Elle se cogne au rocher, résiste pour ne pas se briser. Il faut plier comme le roseau. Quelques fortes têtes tentent de se rebeller mais finissent par céder sous le poids de la violence constante. L’infirmerie n’est même pas une oasis, une île calme pour souffler. La rage est partout, elle s’insinue dans les moindres recoins. Les pensionnats n’ont pas changé, ils créent toujours des moutons dociles. C’est un système de répression ne laissant aucune place à la création ni à l’éveil. Anatolia nous montre comment régner sur un pays par la peur, encore aujourd’hui.

Patrick Van Langhenhoven