C’est le temps où les notes volent dans le silence, frappent le cœur et emportent les sourires d’une belle. C’est l’enivrant printemps de l’existence, quand les corps se frôlent, les gestes esquissent la danse de l’amour. Didier, joueur de Bluegrass, croise le regard d’Élise la tatoueuse, au corps racontant toute une histoire. Ces deux-là devaient se guetter dans les méandres du temps, sur les routes du vivant. Alors vient l’aube des baisers volés, des éclats de rire, des soleils éclatants quand tout est promesse et rien ne ressemble à la détresse. Arrive l’été avec la promesse de la naissance, le cœur qui bat dans votre corps, deux âmes dans un même corps.
Élise attend une petite perle de bonheur, un vent d’espoir qui attache des guirlandes de bonheur dans les chevaux du vent, Maybelle la délicatesse. Surpris, Didier finit par accepter cette petite comète de vie. Le temps du bonheur emporte le trio dans les couleurs de l’océan des promesses d’or. Mais le vent de la colère, la terre des tempêtes s’annoncent, la faucheuse est en route. Maybelle est atteinte d’un cancer. Le couple doit faire face, subir la cohorte des fantômes de douleurs, des cris, du désespoir, de l ‘impuissance. Après la désolation, l’Ankou, gagnera-t-il moments de joie et d’espoir ? La vie se couvrira-t-elle de terre noire ou d’éternels recommencements ? Élise et Didier supporteront-ils le choc, la perte pour se reconstruire, ou le diable de la destruction, comme tout mauvais diable, emportera-t-il leur dernière lueur de raison ?
Félix Van Groeningen choisit une mise en scène où passé, présent se mélangent dans un ballet où, comme dans le bluegrass, on se met à chanter sur la peur de la mort. Les premières images jouent du gros plan, parfois du décor qui s’efface pour que les visages baignent dans la lumière. Elles racontent le temps de la rencontre, des premiers mots, des premiers émois, inondées souvent par les rayons du soleil. Les corps se dénudent et s’épousent pour ne devenir qu’un. ..Elles s’appuient souvent sur des détails, un regard un geste, une main sur le banjo, pour Élise contre son ventre, traquer le gros plan pour renforcer l'ensemble.
Elles se mélangent à celle de la fin du voyage pour une petite âme. Une enfant fragile, tendre, au sourire d’espérance se confronte aux examens, à la douleur, la peur. La mise en scène utilise les non-dits, ce qui installe un suspens sur la réponse finale, mourir ou vivre. Le spectateur balloté entre les images de cette petite fille calme, une certaine détresse des parents, et leur rencontre, moment de joie et de bonheur, attend le souffle court que tombe le verdict. Cette façon de procéder déjà dans le film précédent, « la merditude » des choses, semble une marque de fabrique du réalisateur. Dans cette histoire elle trouve sa force dans ce montage qui amplifie comme un volcan en colère et éclate. D'abord, la maladie et l’histoire de leur rencontre donnent plus de poids à ce qu’il adviendra. Dans la seconde partie le kaléidoscope s’appuie sur la colère, la rage, nous basculons de la vie aux terres de la mort. Le spectateur comme l’oiseau du film se fracassent sur cette vitre qu’il croyait transparente.
Pris au cœur cette fragrance de douleur s’insinue dans notre conscience profonde, jaillit et emporte tout. Nous sommes pris au piège du bonheur, elle nous renvoie à nos propres fantômes, nos déchirures ou à celle de ceux que nous aimons. Ne pas montrer la douleur, la cacher, la taire, voleuse tapie dans l’ombre, d’où l'importance du silence, du non-dit, de la retenue.
Félix Van Groeningen laisse juste la réalité frapper, des images de la maladie qui ronge et mange la vie. Nous croyons dans notre besoin de bonheur, partir de la fin, la mort que l'on entr’aperçoit pour remonter à la source, la vie. Il est trop tard quand nous nous apercevons que nous nous sommes trompés.
La métaphore est omniprésente : comme lorsque Maybelle rentre de sa première cure le groupe lui chante Le lion est mort. Le bonheur peut reprendre ses droits, les terres de soleil se gorger et la vie hurler sa victoire. C’est à la télé l’image du 11 septembre, une tumeur qui atteint l'Amérique, un cancer inconnu. Le corps tatoué comme un livre d’Elise nous conte une histoire, celle de sa vie. Y inscrira-t-elle la mort ? La mort de l'oiseau… une métaphore de celle de Maybelle qui refuse de l'abandonner, c'est sa propre vie qu'elle retient ! La scène du cimetière, sublime, imprègne encore ma mémoire, la pluie, la douleur, une chanson d’adieu, la mort, la douleur des vivants.
Défilent-les hier, les semaines, les jamais, les peut -être, un peu de terre jetée sur le bois et l'hiver des consciences disparaît dans le silence. Et l'absence, cette compagne du vide, ce trou noir qui nous absorbe et efface toute trace des anciennes présences. Le vent de la colère des reproches pour accoucher d'un pourquoi donner une raison à la mort alors qu'il n'y en a pas. Nous comprenons que la passion de l'Amérique n'est pas un choix innocent. C'est le pays où l‘ on peut tout recommencer, mais nous finissons par laisser l’ombre nous dévorer. La peine devient folie et nous n’y pouvons rien. Le film, au-delà du désespoir et du couple qui explose, aborde aussi plein d’autres faces. Changeons- nous de vie en changeant de nom ?
C'est aussi un regard sur la religion chrétienne et particulièrement sur les fondamentalistes qui nient l'évolution et la recherche. Il ne faut pas confondre le message de dieu et ce qu'en font les hommes. La vie est- elle généreuse ? Nous rétorquerons que la vie est la vie. Une étoile continue d'exister comme une vie tant que nous nous en souvenons. Alabama Monroe est un film riche. Sans cesse il renvoie au chemin de notre existence, toutes ces questions que nous lançons à la face du temps pour croire en notre immortalité. Pour finir en beauté, juste une image qui en dit long… un tatouage, qui clôt une histoire. On peut refermer le livre, et sortir nos mouchoirs.
Patrick Van Langhenhoven
Réalisation Félix van Groeningen
Scénario Carl Joos & Félix van Groeningen
Producteur Dirk Impens
Coproduction Topkapi Films
Producteur exécutif Johan Van den Driessche
Photographie Ruben Impens
Montage Nico Leunen
Son Jan Deca
Mixage Michel Schöpping
Décors Kurt Rigolle
Costumes Ann Lauwerys
Maquillage Diana Dreesen
Musique originale The Broken Circle Breakdown Band, dirigés par Bjorn Eriksson
Casting
Veerle Baetens Elise
Johan Heldenbergh Didier
Nell Cattrysse Maybelle
Geert Van Rampelberg William
Nils De Caster Jock
Robby Cleiren Jimmy
Bert Huysentruyt Jef
Jan Bijvoet Koen
Blanka Heirman Denise