Jérem, rappeur au talent méconnu, rêve de percer avec son premier disque. Son ami et agent le tanne pour sortir rapidement un succès commercial qui ne vient pas. Installé dans la maison de mémé, il glande et peaufine son chef-d’œuvre. C’est alors que débarque dans sa vie So, une enquêtrice pour Digital Cool. Elle lui propose de tester Yves, un frigo révolutionnaire et connecté. Jérem voit surtout l’occasion de bouffer à l’œil et de contempler les beaux yeux de So. Il ignore encore qu’Yves prendra plus de place que prévu dans sa vie. L’objet inanimé possède peut-être une âme. La machine dépasse ses fonctions de gestion des stocks culinaires. Il se prend une âme de compositeur, et plus tard de séducteur. Il aide Jérem à percer dans sa voie musicale et à gagner le cœur de So. C’est un beau roman, c’est une belle histoire d’aujourd’hui ! Ils se retrouvent bientôt tous les deux en concurrence pour charmer la belle et en procès pour des droits musicaux. Le conflit tourne vite au vinaigre et aux coups bas. Cette histoire idyllique finit par suivre le cours du mauvais sort. Qui du frigo ou du jeune rappeur aura le dernier mot ? Ça, c’est une longue histoire !
On connaissait Quentin Dupieux pour ses objets échappant à toute règle, possédant une âme ou pas. La comparaison s’arrête là. Benoit Forgeard semble plus optimiste, plus près de la farce sociale mais tout aussi décalé et délirant. Il nous offre une fable des temps modernes plus proche de l’univers de la bande dessinée, du cartoon et de la culture pop que de celui des surréalistes. Il glisse en fond une romance qui défie tous les codes du genre dans sa finalité. Il prend l’univers du monde connecté, virtuel et de ses objets qui demain plongeront dans notre inconscient. Dans cet esprit, il nous interroge sur le pouvoir de la machine quand elle prend vie et se dote peut-être d’une âme.
Le sommet de cette dérive, quand la métaphore joue du stradivarius, est un concours de l’Eurovision d’objets connectés. Il confronte Yves et Jérem dans une battle de slam au final ubuesque. Nous sommes sur les terres du burlesque capable de tout, dans l’esprit des Tati et autre Buster Keaton. Le réalisateur utilise une galerie de personnages loufoques bien typés. Jérem, garçon cossard bien sympathique, finit par vendre son âme, la perdre au profit de ce Faust de frigo. L’amour devient le lien révélateur pour le sortir de sa torpeur. Yves, machine au service de l’homme, finit par inverser les rôles et se prendre pour un humain. So, jeune fille en quête de l’élu de son cœur, finit par se retrouver dans une romance à trois.
Benoit Forgeard apporte un soin particulier aux seconds rôles complétant le propos comme l’agent de Jérem ou le patron de So. Il doit beaucoup à sa bande de comédiens talentueux et inspirés, William Lebghil, Doria Tillier, Philippe Katerine. Il nous conte, au-delà de l’effet sociétal, la naissance d’un musicien, l’humanisation de la machine, une romance à trois, le tout sur une bande musicale surprenante. On vous conseille le titre phare : Rien à branler !
Patrick Van Langhenhoven
Titre : Yves
Réalisation et scénario : Benoît Forgeard
Photographie : Thomas Favel
Montage : Maryline Monthieux
Musique : Bertrand Burgalat
Direction artistique : Youna De Peretti
Décors : Anne-Sophie Delseries
Costumes : Annie Melza Tiburce
Son : Laure Arto
Production : Emmanuel Chaumet (Ecce Films)
Distribution : Le Pacte
Genre : Comédie
Pays : France
Durée : 107 min
Date de sortie : 26 juin 2019
Distribution
William Lebghil : Jérem
Philippe Katerine : Dimitri
Doria Tillier : So
Alka Balbir : Nicole
Antoine Gouy : Yves