Jeanne voit la vie comme un rêve. A peine sortie du couvent, protégée dans son cocon familial, le beau Julien n’a pas trop de mal à la séduire. On fait sa cour, on murmure les mots doux dans le soir d’or et de velours. On joue la tendresse, les beaux jours à venir et le temps de l’éternité pour l’aimée. Pas facile, quand le cœur n’a pas connu grand-chose d’autre que les pas furtifs des couvents fermés. Jeanne se trouble, s’enchante, a le cœur qui bat la chamade, aime pour la première fois. C’est le mariage. Le beau jeune homme est un excellent parti pour cette famille de la haute bourgeoisie normande. C’est la vie qui chante les couleurs du bonheur quand les blés se couvrent des ors et sang des couchants dans les bras des amoureux.
C’est présager sans la tempête qui se lève et brise les certitudes, déploie son vent de folie et sa rage pour effacer les pas des amants sur la plage. Malgré la naissance du petit François, le vrai visage de Julien Lamar se dessine dans la lueur du feu de bois du soir quand la nuit ne peut plus cacher la fourberie. Le cœur saigne, l’âme transpire de désespoir, elle tient bon, croit que la tempête passera sans naufrage. Hélas, la folie l’emporte et la mort frappe à la porte du bonheur qui éclate et vole en lambeaux. Il ne reste plus à cette femme trompée que le temps pour effacer les douleurs et survivre au néant qui tente de l’engloutir. Une vie passe sans qu’elle en tombe à genoux.
Après le succès de La loi du marché, Stéphane Brizé continue de scruter l’âme humaine et son humanisme. On peut rapprocher Jeanne et Thierry dans cette même force à résister et conserver son âme pure dans un monde où tout s’écroule. Hier, c’était la difficulté de tenir dans la tempête du chômage sans pervertir ses pensées les plus profondes, son choix de vie. C’est bien avant La loi du marché que le réalisateur rencontre le texte de Maupassant, Une vie et trouve un écho à ses questions humanistes. Comment dans ce ruban de l’existence garder foi en la vie et ses idées les plus profondes ? Jeanne ne doute jamais, vacille, tremble dans la tempête, mais tient bon. Elle ne versera pas dans le désespoir, la désillusion et l’espoir que le monde puisse être meilleur.
Stéphane Brizé confirme qu’il porte le message de chacun d’entre nous, des plus pauvres aux plus puissants. Comment trahir Maupassant et son style tout en conservant l’âme du récit, tout en lui donnant l’image pour nouvelle lecture ? C’est ce que fait admirablement le réalisateur à travers le choix de ses acteurs et de sa mise en scène, de la même façon que pour La loi du marché. La caméra s’efface pour que naisse l’histoire. Elle nous emporte dès le premier plan, simple instant de vie où deux êtres jardinent. Le poids de la terre de nos origines se retrouve dans cette image symbolique. Un rayon de soleil, un arbre, une robe effleurée par le vent et qui frisonne, c’est le bonheur simple et ultime. Il ne se mesure pas aux dorures des lambris ni aux ors des carrosses, juste à la place qu’occupe le visage souriant.
Maupassant, maitre de la nouvelle ironique, porte un regard sur cette société dans l’esprit de Madame Bovary de Flaubert. Premier roman de l’auteur, c’est d’une façon plus sombre qu’il ausculte cette bourgeoisie montante ou finissante de la Normandie. Comme le film, c’est d’abord l’envol du bonheur, des jours heureux où tout est promesse. Madame Bovary est sacrifiée à un monde où elle n’a rien à dire. Jeanne est une femme qui résiste, s’accroche, annonçant toutes ces figures libres à venir. Sa seule faiblesse est sa maternité, son enfant qui la perdra dans les recoins sombres du malheur. Stéphane Brizé saisit un sourire, un regard, un geste, une brume sur les champs qui s’élève et le soleil aux couleurs chaudes de l’automne. Puis, vos convictions, vos certitudes volent en éclat, éclaboussent votre cœur qui s’accroche et tient bon. C’est bien comment dans cet espace où la douleur vient remplacer les sourires, ne pas faiblir, comme Thierry, rester debout.
Une vie s’étire, conduit le fil du temps de l’espoir au néant sans que la figure sur la falaise ne s’effondre. Plus que Madame Bovary marqué par son époque, Une vie de Maupassant (et encore plus chez Stéphane Brizé) se montre universel. Cela résonne en nous, appelle d’autres échos qui deviennent les nôtres et nous encouragent à notre tour à tenir bon le cap sans fléchir. Nous découvrons une Judith Chemla tout en douceur, mais aussi avec cette force intérieure, donnant au personnage tout son relief. Il nous offre à la fois le jeu et le non-jeu quand tout à coup, caméra et comédiens se fondent dans une vie. Autour les seconds rôles, Yolande Moreau et Jean-Pierre Darroussin touchant à l’essence de la réalité saisie par un l’œil de l’objectif tout en finesse. Une vie est un film qui longtemps résonnera comme La loi du marché dans votre cœur, car il parle de vous de nous, de la vie !
Patrick Van Langhenhoven
Bonus:
Du roman au film, par Stéphane Brizé (26')
Réalisation : Stéphane Brizé
Scénario : Stéphane Brizé - Florence Vignon
Directeur de la photo : Antoine Héberlé
Ingénieur du son : Pascal Jasmes
Montage : Anne Klotz
Scripte : Marion Pin
Décoratrice : Valérie Saradjian
Costumière : Madeline Fontaine
Genre : Drame
Producteurs : Miléna Poylo - Giles Sacuto
Production : TS Productions
Co production : France 3 Cinéma - F comme cinéma
Distribution : Diaphana Distribution
Date de sortie : 23 novembre 2016
Durée : 1h59
Distribution
Judith Chemla : Jeanne Le Perthuis des Vauds
Yolande Moreau
Jean-Pierre Darroussin : Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds
Jalil Lespert
Swann Arlaud: Julien Lamare
Nina Meurisse