Après le Printemps arabe, Selma, 35 ans, psychanalyste, revient au pays de ses origines pour ouvrir son cabinet. En France, la concurrence se faisait trop sentir avec un psy à tous les coins de rue. Elle s’installe dans le petit studio sur le toit chez son oncle, dans un quartier populaire avec vue sur la ville. La jeune femme espère une clientèle nombreuse dans un pays traumatisé par une révolution toute nouvelle. Femme libre, elle dénote dans cette société corsetée. Elle doit faire face à une administration sclérosée, un espoir de changement avorté, la corruption, et les premiers patients peu convaincus. Au fil des séances, son regard évolue sur un pays qu’elle avait perdu de vue. La thérapie se fera autant pour les névrosés masqués, avoués, que pour sa vision d’une société en mutation. Dans ce monde aux couleurs du soleil, on cache souvent la profondeur de son âme sous la volubile parole inconstante. Face à la montée des islamistes, l’espoir de ne pas aller dans le mur, la libération de la parole pourrait représenter une nouvelle voie. A la fin de la prise en charge, tout le monde aura changé de point de vue sur le monde.
« Nous on a Dieu, on n’a pas besoin de ces conneries »
Cette comédie aux apparences légères, loin de l’image d'Epinal et du manichéisme, explore avec justesse l’âme d’un pays en mutation. C’est à travers ses patients que se dessine un portrait d’une Tunisie post-Printemps arabe. Le temps de l’engouement et de la liberté nouvelle laisse la place à une interrogation sur les chemins de demain. Le pays cherche son émancipation, marqué par la vieille génération toujours attachée à Ben Ali, l’espérance de jours nouveaux et la montée des islamistes. Cette libération de la parole trop longtemps muselée aura des effets immédiats sur l’entourage de Selma. Les psychanalystes comme elle sont des électrons libres, des perturbateurs dans un pays encore sous le carcan des conventions. Ce sont les femmes qui gagneront à cette poussée d’un temps nouveau, s’emparant d’un bien, la liberté, qu’elles n’avaient plus. Dans cette galerie de portraits aux portes de la déraison et de la folie douce, la cousine portant le voile pour d’autres raisons que religieuses, la mère étouffée sous le poids des traditions, et la coiffeuse fantasque à l’âme troublée, nous marquent profondément.
Les hommes ne sont pas en reste, l’oncle et son alcoolisme caché, un imam sans barbe, cocu, rejeté par ses fidèles, un patient aux rêves hantés par les dictateurs arabes, un flic amoureux, en disent long sur la société. Les tracas administratifs donnent une bonne idée du chemin qu’il reste à faire. C’est un regard juste, sans concession, et tout en profondeur, en seconde lecture, que le spectateur attentif découvre derrière la comédie. Comme souvent, elle cache derrière la dérision une introspection plus grande sur une société ou un individu. Au bout de la route, Selma en apprendra beaucoup sur ce qui la pousse à revenir au pays que de nombreux Tunisiens voudraient fuir. Dans ce maelström de figures pittoresques, Golshifteh Farahani trône comme une fleur des sables que le désert nous aurait cachée.
La réalisatrice apporte un soin particulier à tous ses personnages comme ce duo de flics aux méthodes particulières. Un divan à Tunis appartient à ces comédies tendres en demi-tons de la nouvelle génération, dans les pas de Woody Allen, que nous aimerions voir plus souvent. Pour son premier long métrage, la réalisatrice franco-tunisienne Manele Labidi livre un regard universel et un talent prometteur. La mise en scène ensoleillée s’envole comme un nuage de pétales livrant le cœur de la fleur.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Un divan à Tunis
Réalisation : Manele Labidi
Assistants réalisateurs : 1) Guillaume Huin / 2) Yosra Bouzaiene
Scénario : Manele Labidi, avec la collaboration de Maud Ameline
Décors : Mila Preli, Raouf Hélioui et Hyat Luszpinski
Costumes : Lenaig Periot-Boulben
Directeur de la photographie : Laurent Brunet
Montage : Yorgos Lamprinos assisté de Morgane Maurel
Musique : Flemming Nordkrog
Superviseur musical : Martin Caraux
Son : Olivier Dandré
Producteur : Jean-Christophe Reymond
Producteur associé : Amaury Ovise
Coproducteur : Olivier Père
Sociétés de production : Kazak Productions et Arte France Cinéma
Sociétés de distribution Drapeau de la France France : Diaphana Distribution
Pays d'origine : Drapeau de la France France et Drapeau de la Tunisie Tunisie
Langue originale : français et arabe
Format : couleur
Genre : Comédie dramatique
Durée : 88 minutes
Budget : 2 millions d'euros
Dates de sortie : 12 février 2020
Distribution
Golshifteh Farahani : Selma Derwish
Majd Mastoura : Naïm, l'inspecteur de police
Hichem Yacoubi : Raouf, un patient de Selma, boulanger
Ramla Ayari : Amel, la tante de Selma
Najoua Zouhair : Nour, la secrétaire du ministère de la Santé publique
Jamel Sassi : Fares, l'imam
Aïsha Ben Miled : Olfa, la nièce de Selma
Feriel Chamari : Baya, la propriétaire du salon de coiffure
Moncef Ajengui : Mourad, l'oncle de Selma
Zied Mekki : Amor, un policier
Oussama Kochkar : Chokri, l'autre policier
Amer Arbi : Haroun
Mhadheb Rmili : Ferid
Rim Hamrouni : Meriem
Yosra Bouzalene : Hafifa