Ricky et Abby tentent de construire un petit bonheur ordinaire dans la charmante ville de Newcastle. Ils rêvent, comme tous les couples du monde, d’un petit coin de terre partagé par toute la famille. Pour cela, ils triment dur sur la place du capitalisme qui ne les épargne pas. Abby s’occupe des personnes âgées à domicile, ne comptant pas sa peine et son temps. Les patrons voudraient qu’on les nomme des « clients ». Abby voit encore en eux des âmes sensibles, au crépuscule de leur vie. Ricky ne garde pas un travail bien longtemps, sans que l’on sache la faute à qui. Il vient de trouver une dernière place qui pourrait concrétiser leur rêve. Chauffeur-livreur en tant qu’auto- entrepreneur. Il lui faut investir, malgré le surendettement, les maigres économies du couple. « Jusqu’ici tout va bien » dit le proverbe, « l’important c’est la chute ». Abby vend sa voiture et prend les transports en commun pour cette nouvelle espérance. Jusqu’ici, dans la tourmente, la vie familiale reste le dernier havre de paix. Dans ce capitalisme effréné, on pouvait compter sur elle, pour prendre encore le temps de savourer la joie d’être ensemble. Les dérives du système n’épargneront personne. Il est à craindre que la chute entraine toute la famille et son fragile petit bonheur.
Ken Loach dénonce, une fois de plus, avec force et vigueur dans une démonstration sans faille, les dérives du capitalisme. Comment il broie dans ses mâchoires les derniers territoires du bonheur familial. Il s’attaque à l’ubérisation qui coupe le travailleur des siens dans ce cercle sans fin qui l’entraine vers la chute. Les dernières actualités ne semblent pas lui donner tort. Cette famille tient dans la tourmente parce que chacun comprend combien l’autre est le dernier havre de paix auquel s’accrocher, espérer. Quand il ne reste plus aucune île pour poser son bagage, le navire finit par sombrer. La cellule familiale tenait malgré tout dans la tourmente sociale et ce capitaliste effréné. Elle finit par éclater avec l’ubérisation. Il ne reste plus de temps pour s’occuper d’un fils qui refuse le système et lutte à sa façon.
Plus de temps pour dire je t’aime, savourer la candeur d’un soir d’été. Au départ, l’offre semble pleine de promesses, ouvrant les portes à l’accès d’un rêve autrefois impossible. Déjà se dessine au loin le petit foyer pour construire sa vie. Hélas, face à la dure réalité de la société, le rêve vole en éclat et le travailleur finit prisonnier d’une situation qui ne lui laisse aucun espoir. Pour s’en sortir, Ricky n’a plus d’autre choix que de travailler encore et encore. C’est cette escalade que dénonce Ken Loach en partant de cette idée alléchante d’auto-entrepreneur, accès au bonheur idéal. Il démonte un à un les rouages de la machine, perverse dans ce qu’elle possède de plus négatif. Certes, il existe sans doute des réussites, mais pour quels sacrifices et combien d’échecs ? C’est bien toute la question.
C’est une mise en scène à l’image de tous ces films dans le style du mélodrame anglais réaliste. À chaque fois, il met en cause la famille Kes, 1969, ou Family Life, 1971, puis Sweet Sixteen, 2002, l’Etat, The Navigators 2002, les services sociaux Moi, Daniel Blake, en 2016, la nation irlandaise dans Le vent se lève, 2006. Nous retrouvons dans toute son œuvre les organisations militantes, associatives, syndicales permettant l’émergence d’une conscience de classe. Souvent, il dénonce la situation de l’individu corvéable à merci, broyé par le système capitaliste. C’est avant tout l’humain qui intéresse Ken Loach, plus que le social. On peut donc dire qu’il est un réalisateur humaniste. Nous pourrions encore nous interroger longuement sur la place de l’humain dans cette société de l’argent Dieu.
Patrick Van Langhenhoven
Titre français : Sorry We Missed You
Réalisation : Ken Loach
Scénario : Paul Laverty
Direction artistique : Julie Ann Horan
Décors : Fergus Clegg
Costumes : Jo Slater
Photographie : Robbie Ryan
Montage : Jonathan Morris
Musique : George Fenton
Pays d'origine : Royaume-Uni
Format : Couleurs - 35 mm
Genre : drame
Durée : 100 minutes
Dates de sortie : 16 mai 2019(festival de Cannes 2019), 23 octobre 2019
Distribution
Kris Hitchen : Ricky Turner
Debbie Honeywood : Abbie Turner
Rhys Stone : Seb
Katie Proctor : Lisa Jane
Linda E Greenwood : le chauffeur
Harriet Ghost : Office Staff
Charlie Richmond : Henry Morgan
Alfie Dobson : Jack O'Brien
Mark Burns : le sans-abri