Le monde ne connaît plus que l’hiver, partout à perte de vue, les villes croulent sous la couche blanche, dernière page d’une société qui n’a peut-être plus rien à écrire. Dans cette plaine vierge, un trait noir et glacé recouvert de givre tourne dans une boucle éternelle, le Transperceneige. Aux dernières heures, quand le monde fou s’autodétruisait en tentant de rétablir l’équilibre d’une planète prête à devenir une étoile en se consumant dans la folie des hommes, un fou des trains sauve une part de l’humanité dans sa soif de survivre. Il rêvait d’un parcours éternel, un ruban de Moebius, un voyage extraordinaire, bien au chaud dans un train pour s’élancer à la découverte du monde. L’hiver de nos incertitudes s’abattra comme une volée de moineaux inondant la place, son utopie devient l’unique porte de sortie, de survie.
Les nantis trouvèrent, à coup de pièces sonnantes, leur place en bonne position à l’avant, les gueux, les miséreux se contentèrent des derniers wagons. Aujourd’hui, au cœur de la lie du monde, la révolte gronde. Ils réclament leur part de rêve. Les traine-wagons, les sans-avenir, les miséreux, quémandent leur morceau de bonheur. Ils ne se contentent plus de l’assistanat les emprisonnant aux portes de la survie. La masse fait front, s’unit et s’élance dans un cri de révolte. Elle remonte de wagon en wagon, visant la locomotive. Elle traverse un monde qu’elle ne connaît pas. Elle résiste aux attaques des chiens de garde des favorisés. Le monde n’a pas changé. C’est le lieu qui se réduit à un train et devient aujourd’hui son terrain de jeu. Il existe toujours des floués, des arnaqués et des riches qui ne céderont pour rien leur place au soleil. La cohorte hurlante, la plèbe remonte le serpent d’acier pour atteindre le grand coordinateur, le dieu dans la machine suprême et lui confronter son chant de révolte !
Adapté de l’œuvre de Lob, reprise par Benjamin Legrand pour les tomes deux et trois, le Transperceneige se classe dès sa parution en 1982 comme une œuvre culte. Disparu trop tôt, Lob ne prolonge pas cet univers pensé au départ pour le dessinateur Alexis mort trop rapidement pour la dessiner. Rochette lui donne toute la force et la démesure d’un mythe, d’une BD culte. Il s’inscrit dans ces récits post-cataclysmes, en général causés par le nucléaire, qui connaissent leur âge d’or dans les années 70. Les raisons de la catastrophe qui conduit à ce train tournant perpétuellement en rond restent évasives.
Le réalisateur Bong Joon Ho l’inscrit dans notre société par un conflit climatique et écologique sans précédent. Snowpercier nous ramène sans cesse à lui et au regard que portent les créateurs aujourd’hui. Il est marqué à la fois de façon intemporelle, car se passant dans le futur, mais nous pouvons penser que le monde, comme le train tournant en rond, ressemble au notre dans le fond. Nous errons sans but depuis un moment, sans horizon, sans port où attacher nos rêves d’avenir. Il existe toujours des pauvres et des très riches qui profitent de leur volonté d’atteindre une quête utopique du bonheur pour les exploiter et les diviser. Le récit s’inscrit bien dans ce courant de la science-fiction, venant après les sociétés utopiques imaginaires, comme celle de Jules Verne et de bien d’autres. Le nucléaire pour certains est bénéfique et pour d’autres, suite à la bombe atomique d’Hiroshima, notre Satan. Quelques auteurs décrivent des catastrophes écologiques, surtout en France, Pelot et bien d’autres. Lob s’intéresse à la société et imagine une autre façon de survivre que celle d’Auclair en BD, marqué, lui aussi, par l’apocalypse.
Bong Joon Ho conserve le principe de base, un homme remonte du fin fond du néant, du wagon des miséreux pour aboutir au cœur de la machine chez Dieu. Il emploie la même trame, mais lui donne une autre option, un regard sur notre société actuelle. Nous noterons qu’il n’existe pas de classe moyenne, comme aujourd’hui, celle-ci ayant tendance à disparaître. L’autre aspect intéressant du film, c’est l’hypothèse soumise à son auteur. Le Transperceneige représente une lecture de l’histoire de l’humanité. Nous partons du commencement, l’homme debout s’organise, lutte pour sa survie et décide d’aller voir plus loin ce qui se passe. Les wagons et l’ordre qu’il traverse marquent les grandes lignes de l’évolution, la nourriture avec la domestication des espèces, là on arrive grâce à un recyclage rappelant Soleil vert à une nourriture en abondance pour la plèbe.
Ensuite survient la découverte de la guerre, la police tente de les arrêter dans une bataille rangée. L’éducation, une des plus belles scènes du film, très Terry Gilliam, celle de l’école. L’abondance, l’insouciance, les wagons où vivent les nantis, ressemblent à nos sociétés actuelles, avec le divertissement. Ils terminent la route dans la locomotive avec la rencontre avec le créateur Dieu. Nous trouvions déjà cet aspect dans l’œuvre originale.
Le lieu détermine une mise en scène du huis-clos. Loin de jouer sur l’intimisme de deux personnages en tête à tête, Bong Joon Ho joue à la fois avec le lieu et l’ampleur de l’histoire qui, dans ce train, entraine le reste de l’humanité. La caméra s’empare du lieu pour lui donner de la profondeur et transcender l’espace restreint. Parfois voyeuse, par le regard des acteurs, elle s’échappe à l’extérieur pour nous faire voir un monde blanc où les morceaux d’humanité apparaissent ou se devinent. Le train porte ses légendes, une tentative de sortie par un groupe, aujourd’hui statue de glace dénonçant l’ironie de l’entreprise. C’est la carcasse d’un avion comme point de repère, repassant chaque année après avoir bouclé le tour du monde. La mise en scène s’appuie sur les personnages pour donner de l’espace par leur tempérament et vociférations pour certains. De même, l’affrontement donne lieu à une séquence impensable ailleurs. Je vous laisse deviner, à la fois enfer et bataille mythique.
Chris Evans guide de cette bande de gueux en quête d’un avenir meilleur, joue sur toutes les subtilités du personnage pour porter la longue cohorte en tête. Il retrouve en partie l’esprit de révolte de Captain America, mais en plus sombre et plus anarchique. Tilda Swinton compose un bras droit responsable des derniers wagons démentiels, dans une transformation physique et même dans le langage. Elle représente, l’ordre, la loi. Quand le chaos vient, elle tente de rétablir l’ordre. La scène de classe est l’apothéose de ce que représente le train. Nous pouvons y voir un clin d’œil à 1984, surtout que la mise en scène s’apparente à celle de Brazil de Terry Gilliam. Ils passeront par d’autres lieux où la mise en scène prend de l’espace s’élargit dans les serres ou se restreint dans les derniers wagons de tête, Sodome et Gomorrhe.
Elle rejoint la part biblique, antique de la tragédie humaine. John Hurt, vieux sage se sacrifiant pour rester avec les plus démunis, figure ancienne du roi de sagesse donne toute la vigueur et la profondeur au rôle. Ed Harris est surprenant dans ce créateur visant l’éternité. Enfin, nous noterons des seconds rôles comme Octavia Spencer en mère blessée, Jamie Bell en bras droit du meneur et Song kan Ho et sa fille dans le film. Ils sont ceux qui trahissent leur classe avec pour but un autre avenir auquel personne n’avait pensé.
Nous l’avions découvert avec un polar surprenant, Memories of Murder, il confirmait avec The Host toutes les promesses tenues. Mother et Snowpiercer, Transperceneige prouvent qu’il reste un réalisateur à suivre aux projets ne finissant pas de nous étonner.
Patrick Van Langhenhoven
· Titre français : Snowpiercer, le Transperceneige
· Réalisation : Bong Joon-ho
· Scénario : Bong Joon-ho et Kelly Masterson, d'après la bande-dessinée Le Transperceneige de Jean-Marc Rochette et Jacques Lob
· Direction artistique : Stefan Kovacik
· Décors : Ondrej Nekvasil
· Costumes : Catherine George
· Photographie : Hong Kyung-pyo
· Montage : Steve M. Choe
· Musique : Marco Beltrami
· Production : Park Chan-wook, Lee Tae-hun, Park Tae-jun, Dooho Choi, Robert Bernacchi, David Minkowski et Matthew Stillman
· Sociétés de production : Moho Films, Opus Pictures et Stillking Films
· Sociétés de distribution : CJ Entertainment (Corée de Sud), The Weinstein Company (États-Unis), Wild Side Films/Le Pacte (France)
· Budget : 45 000 000 000 won, soit 39 200 000 de dollars4,5,6
· Format : couleur - 2.35 : 1 - Dolby Digital - 35 mm
· Genre : science-fiction
· Durée : 126 minutes