Sieranevada

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Un film de Cristi Puiu ,
Avec Mimi Branescu, Judith State, Bogdan Dumitrache,

Genre : Drame psychologique
Durée : 2h53
Roumanie

En Bref

Une réunion de famille à Bucarest, quarante jours après la mort du père c’est la commémoration réunissant tous les membres du clan éclaté en Roumanie et de par le monde. C’est l’occasion pour Lary, quarante ans, médecin de revenir au pays et de retrouver la famille. Au cœur du foyer de la mère, ce jour de souvenir risque de se transformer en règlement de comptes. Au début, en attendant le pope orthodoxe, tout se déroule dans une ambiance où le monde influe sur la vie de ce microcosme. Les attentats de Charlie Hebdo et plus loin, le onze septembre, ont des répercussions jusqu’ici.

Complot, information circulant sur le net, chacun possède sa version des faits et d’un monde en mutation, comme le pays. Les discussions basculent du monde au pays, à l’ancienne Roumanie, avec une invitée encore accro aux Ceausescu. Du monde au pays et à la famille, il suffit d’un pas pour que chacun étale, sur la table du défunt, ses grandes douleurs cachées. Peu à peu, la réunion éclate et se transforme en une mise à nu où chacun dévoile sa vraie nature et ses secrets enfouis. Personne ne sortira indemne de cette réunion qui ne devait être que le souvenir d’un père…

Le cinéma roumain devient de plus en plus le lieu d’un renouveau en inventant des formes de narration où le quotidien devient la métaphore du pays, et ici du monde. Cette année, Cannes compte deux films marquants, celui de Cristian Mungiu Baccalauréat et Sieranevada de Cristi Puiu. Nous retrouvons la même obsession, comme les conversations dans les voitures, lieu où se dévoile la vérité pas toujours bonne à dire. Les plans séquences s’emparant du quotidien pour ancrer la parole dans la réalité, comme si la caméra devenait invisible. Cette obsession est chère à Claude Lelouch, qu’il découvre avec le cinéma russe et que reprennent aujourd’hui des réalisateurs comme Stéphane Brizé chez nous et la nouvelle vague du cinéma roumain.

Le spectateur regarde ce monde s’agiter, s’énerver, débattre, se battre, fléchir et mourir pour renaitre du point de vue du mort silencieux. Les portes s’ouvrent, se ferment, dans un ballet perpétuel où nous passons de la tante dévoilant les obsessions et tromperies de son mari à la nièce débarquant avec une amie saoule ou droguée. Plus loin, c’est la remise en cause du système avec les attentats cachant derrière un monde de mensonge et de manipulation comme sous l’ère communiste. C’est encore la religion avec ce pope qui tarde à venir pour clore le déballage de vies qui éclate sous le regard silencieux de l’esprit du mort. Le monde est une valse où se jouent nos désirs, accrochant nos chants d’un monde nouveau à venir. C’est, comme pour Cristian Mungiu dans son Baccalauréat, un regard désabusé sur un pays qui n’a pas encore réussi sa mutation. Lary, dans une belle séquence de voiture mal garée, finit par avouer à sa femme une vérité qui peut remettre le couple en jeu.

De simples anecdotes, de vieux souvenirs deviennent les clefs ouvrant des portails plus dangereux sur le présent. C’est comme si le mort ouvrait les vannes des secrets des vivants pour qu’ils s’émancipent. Tout est à l’image d’un jeu de miroirs plus grand que nous, le foyer, le pays et le monde explosent et se trouvent une nouvelle voie où imprégner leur quête du bonheur. Le cinéma roumain est en quête du vivant qu’il attrape à bras-le-corps, sans tricher, n’évacuant rien de ses remords et espoirs. Par les thématiques qu’il évoque, il devient universel. Cristi Puiu s’inscrit comme un digne successeur de Robert Altman, comme le dit si bien Pierre Murat de Télérama.

Patrick Van Langhenhoven